Les chaînes de télévision française qui couvrent le conflit en Israël et à Gaza ont été confrontées à la surenchère des réseaux sociaux à travers la mise en scène d’images de propagande ou amateures.

Du flou et du floutage. Face à une guerre qui « se déroule à la fois sur le terrain et dans la sphère informationnelle », comme dit David Colon, chercheur à Sciences Po et auteur de La Guerre de l’information (Tallandier), les rédactions des chaînes TV sont mobilisées, et parfois prises à partie. La frappe contre l’hôpital d’Al-Ahli Arabi, à Gaza, le 17 octobre, constitue en cela un cas d’école. Qui a tiré le premier ? Combien de victimes réelles ? Il a suffi que le groupe TF1 reprenne l’accusation du Hamas désignant Israël comme étant à l’origine d’une attaque ayant fait 471 morts, selon le ministère de la Santé à Gaza, pour qu’il soit pointé du doigt sur les réseaux sociaux.

L’analyse des caméras d’Al Jazeera balayant le ciel gazaoui ont, depuis, conforté la version israélienne selon laquelle ce serait une rocket lancée depuis Gaza qui serait à l’origine de l’explosion en retombant sur l’hôpital. « Qui a tiré ?, c’était pourtant le titre du 20 heures, répond Thierry Thuillier, directeur général de l’information du groupe. La guerre informationnelle vise à prendre le contrôle de l’opinion. Là, le Hamas communique tout de suite et il est difficile d’être dans la nuance. » D’autant que les bulles partisanes s’enflamment aussitôt sur les réseaux sociaux. Dans un contexte de bombardements massifs qui tuent des civils, un hôpital ne peut-il pas être touché ? « Il est plus facile de donner une fausse information que de faire la preuve qu’elle est fausse, reprend Thierry Thuillier. Cela imprime plus vite, et dans la course à la vitesse, on sera toujours battu. »

Pour les aider dans leur tâche, les chaînes de télévision s’appuient sur les agences de presse internationales présentes à Gaza, notamment l’AFP et AP, et sur la chaîne qatarie Al Jazeera, l’une des premières à mettre en doute la version du Hamas au vu de ses images. En l’absence d’envoyés spéciaux au sein de l’enclave palestinienne, impossible en revanche de s’en remettre à ses propres reporters. Les chaînes font appel à des journalistes palestiniens ou franco-palestiniens, des fixeurs ou des témoins recommandés par l’Institut français de Gaza. « On fait attention aux mots employés, souligne Muriel Pleynet, directrice de la rédaction nationale de France Télévisions, nous avons nos propres équipes en Israël mais c’est impossible d’entrer à Gaza. C’est donc difficile de retranscrire qualitativement et quantitativement ce qu’il s’y passe. On essaye d’être équilibré mais on reçoit moins d’images qu’en provenance d’Israël. À l’hôpital, faut-il parler de tir, de frappe, d’explosion ? Il y a une grande confusion. » Dans l’urgence de l’événement, il faut alors prendre le temps de faire le tri, de distinguer le vrai du faux, d’authentifier les sources.

Philippe Corbé, le directeur de la rédaction de BFMTV, précise que sa chaîne essaye d’entrer par le poste-frontière de Rafah pour son format Ligne rouge mais qu’en l’absence de média occidental sur place, elle « essaye de trouver des témoignages comme à la radio ». Pour une information venant des autorités de Gaza, il est précisé que c’est une affirmation du Hamas, même si cela peut sembler insuffisant, et les cadavres sont floutés, comme partout. Peut-elle diffuser des images provenant des réseaux sociaux ? « Oui, si on arrive à les localiser et à les authentifier, en parlant avec celui qui en est à l’origine », répond-il. Un travail nécessaire, et souvent éprouvant, les fausses informations circulant des deux côtés. C’est ainsi qu’ont été exposés sur les plateformes de prétendus enfants otages dans des cages ou un pseudo-charnier de personnes enlevées, des images remontant en réalité à la guerre en Syrie. À TF1, une vingtaine de personnes sont employées au fact-checking et au décryptage des réseaux sociaux.

Montrer les vidéos

La question de savoir s’il faut diffuser des images des otages et des atrocités commises par le Hamas a été vécue comme un « dilemme » à BFMTV. N’est-ce pas servir une propagande ? En édition spéciale, le 7 octobre, la chaîne a décidé de montrer les vidéos prises par les terroristes, en précisant leur origine, sachant qu’elles sont faites pour arriver à l’état brut dans les flux des réseaux sociaux, pour créer un effet de sidération et pour propager la peur. « Cela attestait que ce n’était pas seulement une incursion, que les otages étaient ramenées à Gaza, rappelle Philippe Corbé. Comme pour Daech, on les diffuse mais pas sans filtre, dans un sujet écrit, monté, validé. Le commentaire du journaliste les contextualise, on ne montre aucun visage, on essaye d’enlever toute dimension humiliante, on floute tous les corps et on fige l’image si besoin ». Reste que les vidéos des massacres dans les kibboutz n’ont pas été exploitées : « On a passé des heures à regarder des images horribles venues de Reuters et on a décidé de ne pas les diffuser. Ce qu’on y voyait disait pourtant quelque chose d’important sur la dimension annihilation et déshumanisation des corps. On a demandé aux journalistes de raconter cela ». Une cellule psychologique a été ouverte pour ceux qui ont regardé les images.

« Comme un virus »

« Depuis la guerre en Ukraine, on a franchi un cap dans la propagande sur les réseaux sociaux, note Thierry Thuillier. On en retrouve les caractéristiques dans ces affrontements avec des vidéos d’opérations militaires côté israélien mais ce qui est très nouveau côté Hamas, c’est qu’il y a une mise en scène de leurs opérations terroristes. » Depuis la clôture forcée à la tractopelle, les parapentes, l’entrée dans les kibboutz et jusqu’à la salle de contrôle des drones, tout a été filmé. À France Télévisions, la consigne a été de ne pas se précipiter : « On n’a pas été les premiers à diffuser les images fournies pas le Hamas, souligne Muriel Pleynet, on a pris le temps de les vérifier, sachant qu’il y a une multiplicité de sources et même de possibles manipulations par l’IA. »

Il faut ajouter la possibilité de commentaires erronés, en plateau, d’invités qui réagissent émotionnellement et qui peuvent avoir été désinformés sur les réseaux sociaux, voire dans les médias, comme on l’a vu à propos de la rumeur sur les « 40 bébés décapités ». Philippe Corbé remarque que ce qui a été appelé le « 11 septembre israélien » n’avait pas pour objectif la captation en direct de l’attentat par les télés du monde entier, comme en 2001, mais la « propagation en quelques heures de petites vidéos que l’on retrouve sur son fil sans l’avoir cherché, comme un virus ». La fin de la prépondérance de l’info télévisée ? « À moyen terme, les journalistes seront gagnants, assure Thierry Thuillier, s’ils sont rigoureux, ne prêtent pas le flanc aux polémiques faciles et sont transparents. Les 15-25 ans, qui ont été biberonnés aux réseaux sociaux, en connaissent les dérives et s’en méfient. »