L’Afrique francophone a vu exploser le volume de ses productions audiovisuelles. Mais les budgets sont encore très limités et les besoins de formation, immenses.

« Prostitution, drogue et corruption, votre nouvelle série sur Canal+ Original » : c’est ainsi que se présente depuis quelques semaines Niabla, la nouvelle série policière du Franco-Ivoirien Alex Ogou. Ce « thriller social », consacré à l’univers de la nuit abidjanaise, est une des dix à douze séries premium annuelles de Canal+ Afrique. Le groupe propose aussi Obatanga, série également ivoirienne, la sénégalaise Terranga, mais aussi Spinners, coproduite avec le sud-africain Multichoice, Black Santiago Club au Bénin et bientôt Les Amarantes de Kinshasa. L’idée est, de plus en plus, de représenter toutes les Afriques.

 « Quand on regarde depuis Los Angeles, on s’arrête sur l’Afrique du Sud, estime Fabrice Faux, directeur des contenus de Canal+ International, on n’est pas encore sur leur carte ». Amazon, qui produit autant de films et de séries sur le continent, ne dépasse pas encore les frontières de l’Afrique anglophone. Mais pour combien de temps ? « Notre stratégie est d’avoir le plus gros catalogue en français ou en langues locales », souligne le dirigeant. À côté de ses grandes séries de création originale à 100 000 euros l’épisode, le groupe tourne aussi pour sa chaîne A+ des petites séries, avec 100 à 200 épisodes de 26 minutes à 5 000 euros l’unité, qui s’apparentent à des télénovelas en wolof (Sénégal), en malgache, en lingala (RDC) ou en kinyarwanda (Rwanda).

Une stratégie qui lui permet de réaliser de grosses audiences en touchant des publics en dehors des capitales, via 26 chaînes A+ assurant plus de 1 000 heures fraîches par an. Pour assurer un tel rythme de production, les talents créatifs ayant des histoires à raconter ne manquent pas. « Ce qui est compliqué, c’est la formation technique, reconnaît Fabrice Faux, on manque de monteurs, de techniciens du son, d’assistants de production, de graphistes, et les effets spéciaux sont faits en Europe ». Quant aux histoires, elles nécessitent des techniques d’écriture pour passer à l’état de scripts. Pour apporter sa pièce à l’édifice, Canal+ a créé des séances sous forme de masterclass pour former notamment des journalistes-reporters avec l’Agence française de développement. Mais le groupe attend aussi plus d’implication des États dans les formations techniques.

« Il y a une grosse évolution depuis cinq ou six ans dans le volume de productions, estimait Sébastien Onomo, producteur, réalisateur et scénariste de Special Touch à Création Africa le 6 octobre, la qualité est plébiscitée, et pas seulement sur le continent africain, on voit un dynamisme fort, une vivacité ». À Ouagadougou ou Yaoundé, le marché cherche à s’équiper de lieux de formation – films labs - pour répondre aux besoins de ces productions. « Que ce soit des jeux vidéo, du cinéma, des séries ou de la BD, c’est le même objectif », relève-t-il.

Lui-même travaille avec les éditions Dupuis pour développer des projets à 360° à partir de ses créations audiovisuelles. Encore faut-il bénéficier à la fois de la formation – comme à Dakar ou Abidjan – et des salons professionnels du type Fespaco (Ouagadougou) pour les rencontres et la découverte des œuvres. « Il y a des enjeux de structuration et de mise en réseau des professionnels, note la cofondatrice de Dakar Séries, Séraphine Angoula, qui précise aussi que, sur le terrain, « la série est l’endroit où on les forme, où les histoires se racontent avec les réactions du public. »

Séries populaires pour YouTube

C’est ainsi qu’est apparu un modèle, celui des créations Marodi, du nom d’une société de production sénégalaise créée il y a dix ans, avec ses séries populaires taillées pour YouTube (Baabel, La Graine du pouvoir, Emprises, Déchéances, Maîtresse d’un homme marié…), avec publicités et placements de produits. Les genres se diversifient : il ne s’agit plus seulement de telenovelas, mais aussi de fictions, de policiers, de thrillers… Au total, on compte une quarantaine de séries Marodi, qui atteignent facilement chacune plusieurs millions de vues sur YouTube, et sont aussi diffusées sur A+

« Il est important que sur la zone francophone, il y ait des incubateurs et des écoles qui accompagnent la nouvelle génération », confirme Séraphine Angoula. Il faut aussi, ajoute-t-elle, « créer plus de synergies pour des projets culturels au sens large ». Certains mécanismes de financement sont connus : le Fopica au Sénégal, le Fonsic en Côte d’Ivoire… La Fabrique Ciné a permis de mettre en réseau une dizaine de réalisateurs africains qui étaient deux, en 2023, à concourir pour la Palme d’Or à Cannes comme à être dans le jury. L’OIF a son fonds pour la jeune création francophone, TV5Monde vient de créer avec la SACD un fonds francophone numérique pour faire émerger de nouveaux talents et des créations innovantes. « Il y a pas mal de dispositifs internationaux mais encore faut-il que les acteurs locaux soient au courant », note la créatrice de Dakar Séries, qui estime qu’il n’y a pas une conscience suffisante de la part des gouvernements des retombées économiques d’une telle industrie.

La création audiovisuelle et cinématographique africaine, reconnue sur le plan artistique, souffre ainsi d’une qualité technique insuffisante, notamment en post-production, qui limite ou bloque l’accès aux plateformes internationales. Séraphine Angoula rêve ainsi d’une plateforme propre à l’Afrique avec des standards de qualité. Elle pointe aussi le besoin de distributeurs ou de vendeurs locaux avec leur line-up alors que l’économie des films ne peut s’appuyer que sur une soixantaine de salles de cinéma en Afrique francophone en comptant le Maghreb. À Special Touch, Sébastien Onomo réinvestit une partie de son budget de production dans la formation des talents qu’il emploie. Quant à Fabrice Faux, de Canal+, il rêve d’un succès international pour Spinners, qui permettrait de décupler ses efforts budgétaires…

Le potentiel en devenir des jeux vidéo

Sidick Bakayoko, PDG de la société ivoirienne Paradise Game, à l’origine d’Africa Corner, qui regroupe des studios africains de jeux vidéo, parie sur une « fédération panafricaine du gaming ». « C’est une cible pour les annonceurs, un potentiel sur lequel il faut pouvoir surfer », estimait-il en octobre à Création Africa. Encore faut-il connaître les usagers des jeux en ligne et les possesseurs de consoles, achetées souvent à Paris. Selon lui, l’accès aux infrastructures et aux équipements est plus aisé sur le mobile, mais il demeure compliqué pour des jeux africains – qui doivent assurer leur développement en étant parfois confrontés à des coupures internet ou d’électricité - de se vendre à l’international. À la Paris Games Week, du 1er au 5 novembre, Africa Corner présente 14 studios. On y retrouve Nutopia où une IA doit reconstruire une ville face au chaos créé par les humains, avec Altplay (Maroc), comme Dahalo, un jeu sur PC en VR et en réalité augmentée où une étudiante en médecine doit survivre dans une région infestée de bandits, avec Lomay (Madagascar).