La diffusion de films, séries ou autres émissions télé cartonne sur TikTok. Si ce phénomène permet de générer de l’engouement autour de certains contenus, il attire surtout les foudres des auteurs, qui voient leurs créations piratées sur la plateforme chinoise.

Regarder un film découpé en 57 parties à la verticale, ou pire, sur un écran de téléphone scindé en deux, avec une vidéo de jeu vidéo ou de nettoyage de tapis sur la partie inférieure… Pas très vendeur ? Pourtant, ce format cartonne sur TikTok. Désormais, loin de l’époque du piratage en ligne et des sites de streaming gratuit, une nouvelle génération a accès à une riche offre cinématographique dans le creux de sa main.

Sans surprise, cette diffusion est parfaitement illégale et enfreint les lois de propriété intellectuelle. « Le principe de base est toujours le même : l’ayant droit a un monopole sur ce qu’il peut faire de l’œuvre », explique Mathilde Carle, avocate au sein du cabinet Kramer Levin. Elle explique que le code de la propriété intellectuelle en France dispose de plusieurs exceptions, comme la liberté d’expression ou l’enseignement. « Naturellement, les films diffusés en entier par extrait sur la plateforme ne rentrent dans aucune de ces exceptions », ajoute-t-elle.

L’ayant droit peut s’appuyer sur les lois françaises et européennes pour exiger le retrait des contenus illicites. « Il y a également la source contractuelle, parce que TikTok passe un contrat avec tous ses utilisateurs, via ses conditions générales, qui reprennent le respect de la loi sur la propriété intellectuelle. On peut s’en remettre à TikTok en signalant le contenu illicite et en demandant le retrait », insiste l'avocate.

2631 contenus retirés dans le monde

Pour autant, le nombre de contenus que TikTok retire pour des motifs d’infractions à la propriété intellectuelle semble très faible au regard de l’ensemble des contenus disponibles. D’après le rapport de transparence de TikTok, publié dans le cadre du Digital Services Act (DSA), TikTok n’a retiré que 2 631 contenus pour contrefaçon de droit de propriété intellectuelle, dont 737 retirés automatiquement. Et cela dans le monde entier.

Un laxisme devenu intolérable pour Frédéric Delacroix. Le délégué général de l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) entretient un dialogue sans fin avec la plateforme pour tenter d’endiguer ce phénomène, en vain. « On travaille actuellement sur la suppression de ces contenus et TikTok n’est pas actif face à nos demandes. La plateforme doit déployer un dispositif de reconnaissance de ces contenus, qui devrait déjà être en place depuis plus d’un an », s'emporte-t-il. Une solution de reconnaissance à l’image du Content ID, l’empreinte numérique d’une œuvre, existe déjà sur YouTube. « Toutes les plateformes ont une solution pour reconnaître les œuvres, alors je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour TikTok », ajoute-t-il.

« On a beaucoup de retours de distributeurs et de producteurs qui voient leurs œuvres saucissonnées sur la plateforme et, en plus, c’est difficilement regardable », relève encore Frédéric Delacroix. Face aux demandes de ses membres et une situation qui n’évolue pas, l’ALPA pourrait prochainement engager des poursuites judiciaires.

Même son de cloche du côté de la SACD, qui représente les auteurs d'œuvres audiovisuelles. La société créée par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais est également engagée dans de longues discussions avec ByteDance, propriétaire de TikTok. Actuellement, les deux parties se concentrent sur des accords pour la diffusion à usage licite (et rémunéré), pour des auteurs qui souhaitent diffuser leur pièce de théâtre ou représentation humoristique dans le cadre de formats courts. Le volet de la piraterie est également au cœur des négociations. « Nous sommes engagés dans des discussions au regard du droit d’auteur comme nous avons pu l’être auparavant avec YouTube et Meta », partage Pascal Rogard, son directeur général. Si la SACD ne compte pas engager de contentieux pour l'instant, étant dans une phase de négociations, elle demande tout de même des garanties. « On ne peut quand même pas accepter de voir des films piratés et tronçonnés en 90 parties », tranche Pascal Rogard.

Une nouvelle stratégie

Pour les studios de production, c'est un phénomène à double tranchant. Malgré les foudres que s’attire la plateforme, le format séduit certains studios qui ont fait le choix audacieux de diffuser eux-mêmes certaines de leurs productions sur le réseau social chinois. Parmi les premiers à avoir passé le cap, Peacock, qui a proposé cet été aux utilisateurs de TikTok de retrouver des épisodes de la première saison de sa série Killing it, à l'occasion de la sortie de la deuxième saison. Le compte de la plateforme de streaming par abonnement a diffusé beaucoup d’extraits pour promouvoir ses contenus.

Plus récemment, c’est Paramount qui s’est illustré en diffusant Mean Girls, découpé en extraits en octobre dernier (le 3 octobre étant une date référence dans le film). « C’est une opération montée par Paramount monde, qui a permis de donner une excellente visibilité pour la sortie du remake de Mean Girls, qui sortira en janvier », relate Thomas Pawlowski, directeur marketing de Paramount France. TikTok est devenu incontournable pour les distributeurs qui ont des films à venir. » Bandes-annonces et extraits sont de plus en plus diffusés par les studios, qui jouent également la réussite de leur film avec une communication bien rodée sur les réseaux sociaux.

Des films plus anciens, à l’image de Mean Girls, peuvent également profiter d’une deuxième vie sur TikTok, particulièrement auprès d’un public plus jeune, qui les découvre ainsi. « C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Mean Girls, qui a plus de 20 ans. Certaines scènes cultes du film diffusées sur TikTok contribuent à renouveler l’intérêt, avant la sortie du remake », analyse Thomas Pawlowski.

De nombreux professionnels du secteur confirme cette tendance chez les distributeurs. Avec le temps, un film génère a priori beaucoup moins de revenus et le rendre disponible sur TikTok ne peut qu’être bénéfique à l’occasion de la sortie d’un remake ou de produits dérivés. A condition de résoudre un certain nombre de questions légales avec les ayants droit, ce qui parait moins souvent le cas.