Cinq ans après l’affaire qui a secoué le milieu journalistique français, de nombreux éléments convergent vers la thèse d’un emballement médiatique de grande ampleur, sans nier les souffrances réelles des victimes.

Le 8 février 2019 éclatait l’affaire de la « Ligue du LOL », groupe Facebook comprenant des journalistes, accusés de cyberharcèlement. Cinq ans après ce scandale à l’écho mondial et les licenciements qu’il avait provoqués, nombre d’éléments appuient la thèse d’un emballement médiatique. « C’est un cas d’école d’emballement médiatique, les proportions que ça a pris sont délirantes », affirme Loris Guémart, ex-médiateur d’Arrêt sur images (ASI).

Sous sa plume, ASI est le seul média français à avoir mené une relecture critique de sa couverture, fin 2021. Au niveau international, seul le New York Times a fait de même, en avril 2021. « La Ligue du LOL » est le nom d’un groupe Facebook privé, créé en 2010, qui réunissait une trentaine de membres dont de jeunes journalistes et communicants.

Début 2019, des membres du groupe ont été accusés d’avoir commis au début des années 2010 des faits de cyberharcèlement sur Twitter, principalement envers des militantes féministes. Prenant ses racines dans le petit milieu du Twitter parisien, cette affaire avait eu une résonance médiatique mondiale. Elle avait provoqué des débats sur le sexisme dans le journalisme et la violence en ligne.

Pourtant, côté justice, l’enquête du parquet de Paris pour harcèlement a été classée sans suite en février 2022, pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Alors que l’affaire avait provoqué plusieurs licenciements, Les Inrockuptibles et Libération ont été condamnés aux prud’hommes pour celui de deux membres de la Ligue du LOL : un rédacteur en chef d’une part, et Vincent Glad, créateur du groupe, de l’autre. Libération a fait appel.

En juin, Libé et un autre journaliste licencié, Alexandre Hervaud, ont conclu un accord pour clore la procédure en justice. « Je me réjouis que le temps parle pour nous », même si « un énorme traumatisme perdure », déclare Alexandre Hervaud, en déplorant « un tabou » médiatique au sujet de ce « fiasco ».

Excuses sous la menace

Des enquêtes menées par les sites L’ADN et Next INpact début 2020, puis Marianne en 2021, avaient déjà conclu à un « emballement médiatique inédit ». Comme ASI et le New York Times, elles pointaient le fait que la Ligue du LOL ait été décrite à tort comme l’instigatrice d’actions de cyberharcèlement coordonnées, menées par tous ses membres.

« En réalité, seuls quelques membres […] ont été accusés de plaisanteries obscènes, photomontages grossiers ou moqueries répétées, et non le groupe dans son ensemble », a rectifié le New York Times. Tout débute le vendredi 8 février 2019, avec un article du service de vérification de Libération, Checknews : « La Ligue du LOL a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux ? »

Il fait suite à des accusations surgies sur Twitter. Après l’article, l’affaire enfle tout le week-end sur les réseaux et une liste de noms est diffusée. « La chasse aux sorcières commence, avec des menaces de mort, de viol », raconte une membre de la Ligue du LOL qui requiert l’anonymat.

Les premières mises à pied tombent le lundi, début d’une couverture médiatique massive. Entretemps, certains accusés ont publié des excuses, qu’ils regrettent aujourd’hui, avant de se murer dans le silence. « J’ai écrit un tweet d’excuses à 2 heures du matin, en pleurs, après avoir été assailli de menaces et d’insultes », se souvient l’ex-rédacteur en chef des Inrocks, mis en cause pour un canular téléphonique. « Écrites sous pression, ces excuses ont été prises comme des aveux de culpabilité », renchérit Alexandre Hervaud.

Principaux reproches des mis en cause envers les médias : un « manque de vérification » des accusations, dans le contexte de libération de la parole post-MeToo, et une présentation « mensongère » voire « complotiste » du groupe. « Ça a été présenté comme un "boys' club" (groupe d’hommes) de journalistes, alors que beaucoup de membres n’étaient pas journalistes et qu’il y avait un bon tiers de femmes », s’insurge l’ancienne membre.

Arrêt sur images « ne dit pas que l’affaire ne méritait aucun article », souligne Loris Guémart. « Mais elle ne méritait ni le ton de la plupart des articles, ni le volume de contenus médiatiques publiés ».

Victimes réelles

Une des victimes présumées récuse l’idée d’un emballement : « Il y a eu une réaction normale des médias face aux révélations de harcèlement de la part de journalistes ». L’ex-journaliste Iris Gaudin, qui avait également dénoncé un harcèlement, est plus mesurée : « Après avoir viré dans un sens, les médias ne devraient pas virer dans l’autre. Cela risquerait de nuire aux victimes et aux souffrances réelles qu’elles ont endurées ».

Selon Alexandre Hervaud, l’histoire a flambé médiatiquement car elle comblait « un manque d’affaires emblématiques rattachées à MeToo » dans le journalisme français. « Il y a eu des titres honteux, comme "La Ligue du LOL pourrait être notre affaire Weinstein" » (producteur américain accusé puis condamné pour viol), s’étrangle Alexandre Hervaud en référence à une chronique du Monde. Sollicité par l’AFP, le quotidien n’a pas donné suite.

Ex-responsable du site de L’Express, aujourd’hui à Télérama, Emma Defaud garde de cette période « un sentiment de gâchis et d’amertume ». « Le problème c’est d’en avoir fait autant et d’avoir autant feuilletonné », analyse-t-elle, tout en n’ayant « aucun doute sur le fait qu’énormément de personnes ont pâti de la nuisance de certains » membres de la Ligue du LOL.

« Ce sujet méritait d’être traité, je ne remets pas en cause le travail de Libération » avec l’article de Checknews, « mais il a été repris dans une forme d’urgence et de course à l’échalote plutôt indigne de la profession », ajoute-t-elle. Aujourd’hui à Arrêt sur images, Robin Andraca est l’auteur de cet article déclencheur. « C’était impossible d’imaginer les conséquences que ce papier allait avoir », confie-t-il à l’AFP.

Selon lui, il « avait vocation à raconter une forme de paradoxe : des journalistes donnaient des leçons de féminisme mais étaient accusés d’avoir voulu faire taire une parole féministe quelques années plus tôt sur les réseaux sociaux ». « J’ai vu mon sujet être repris par d’autres médias et j’avoue ne pas avoir toujours reconnu l’histoire que j’avais essayé de raconter », assure-t-il.