Coup de tonnerre dans les médias français : le milliardaire franco-libanais Rodolphe Saadé, propriétaire du groupe de transport maritime CMA CGM, va racheter Altice Media, et sa chaîne d’info BFMTV, à l’homme d’affaires Patrick Drahi, dont le groupe est empêtré dans une affaire de corruption.

Avec le rachat probable d'Altice Media, maison mère de BFMTV, le patron du groupe CMA CGM Rodolphe Saadé, réputé pour sa discrétion, s'est installé en deux ans comme un nouveau magnat de la presse en France. En quelques acquisitions, ce Franco-Libanais s'est hissé au niveau d'autres milliardaires particulièrement actifs dans le secteur des médias, comme Xavier Niel, Vincent Bolloré ou le tchèque Daniel Kretinsky.

Né au Liban le 3 mars 1970, Rodolphe Saadé est le dépositaire d'une saga familiale initiée par son père Jacques Saadé, parti de rien pour construire un mastodonte des mers, numéro trois du transport maritime mondial. En 1978, Jacques Saadé quitte le Liban pour fuir la guerre civile et s'installe à Marseille, où ses trois enfants (Rodolphe, Tanya et Jacques Jr) le rejoignent en 1981.

« Mon père a choisi Marseille car cette ville lui rappelait Beyrouth. Nous devions rester quelques semaines, nous sommes là depuis 40 ans », racontait Rodolphe Saadé devant la commission des affaires économiques du Sénat en juillet 2022. L'attachement à Marseille, ville d'adoption de la famille en exil, est constamment revendiqué par le clan Saadé. Il y a apposé sa marque avec son siège haut de 147 mètres, devenu l'un des bâtiments emblématiques de la cité phocéenne. Le nom du groupe s'affiche même sur le maillot de l'Olympique de Marseille, dont Rodolphe Saadé va régulièrement voir les matchs.

Père exigeant

A son lancement en 1978, la Compagnie maritime d'affrètement (CMA) n'opère pourtant qu'un navire et une ligne reliant Marseille à l'Italie, à la Syrie et au Liban. Rodolphe Saadé va grandir au sein de cette entreprise en même temps qu'elle acquiert une envergure mondiale. « Très tôt, il a eu cette idée qu'il aurait un rôle dans le groupe familial, et il en avait envie », raconte à l'AFP l'ancien adjoint au maire Yves Moraine (LR), qui le connaît depuis la 3e.

Titulaire d'un diplôme de commerce et de marketing obtenu au Canada, il commence par fonder une entreprise de refroidisseurs d'eau au Liban, avant de rapidement rejoindre le groupe familial en 1994. En 2017, Rodolphe Saadé succède à son père à la tête du groupe. « Il a eu une super préparation sur plusieurs années. Il avait un père qui n'était pas simple, qui était très exigeant, très ambitieux qui ne laissait rien passer, c'était une école à la dure », confie à l'AFP l'avocat Georges Sioufi, qui a travaillé 25 ans aux côtés du fondateur de CMA CGM.

Sous son impulsion, le groupe se diversifie. Le secteur du transport maritime est trop cyclique et le groupe a frôlé la faillite au tournant des années 2010. Il rachète en 2019 le logisticien Ceva Logisitics, poursuit sa boulimie d'acquisition (Gefco, Ingram, Colis Privé) grâce aux profits faramineux engrangés pendant les années Covid, pour aboutir au rachat de Bolloré Logisitics, qui fait de CMA CGM le cinquième logisticien mondial.

Travailleur et discret

« C'est quelqu'un de très déterminé, très entrepreneurial, avec une forte vision stratégique », décrit son proche collaborateur, le directeur financier de CMA CGM, Ramon Fernandez. Issu d'une famille de tradition chrétienne-orthodoxe, Rodolphe Saadé cultive la discrétion et n'accorde que peu d'interviews. Il est décrit comme très exigeant, gros travailleur. « Sa vie c'est le groupe fondé par son père », selon le président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Renaud Muselier. « Son seul loisir, c'est d'aller courir et de rester avec ses enfants. Ou de partager un bon repas, avec un verre de rhum pour terminer », confie Yves Moraine.

Ce père de deux enfants accorde aussi une grande importance à la famille, avec qui il assume de diriger ses affaires. Sa soeur Tanya est directrice générale déléguée et présidente de la fondation. Son frère, Jacques Jr, s'occupe de l'immobilier. Sa femme Véronique Albertini-Saadé dirige elle Whynot, la branche média du groupe, en passe de devenir un acteur de premier plan.

« Nous nous demandons à La Provence quelle va être notre place dans ce mastodonte », s'inquiète auprès de l'AFP Sophie Manelli, élue SNJ du quotidien régional. « Quand Rodolphe Saadé était en négociation avec nous, il expliquait ne pas avoir d'ambitions dans les médias », rappelle-t-elle.