Communication

Xavier Desmaison, président du cabinet Antidox, décrypte pour Stratégies l’affrontement auquel se livrent la Russie et l’Ukraine tant sur le terrain militaire que sur celui de la communication.

Quel regard portez-vous sur la guerre de communication à laquelle se livrent la Russie et l’Ukraine, en plus du conflit armé ?

Xavier Desmaison : Il y a toujours eu des batailles de communication pendant les guerres. De là, naissent des éléments de communication qui se généralisent par la suite. C’était le cas pendant la guerre 14-18 avec la propagande de guerre, qui a donné naissance aux affaires publiques. Dans le cas de la guerre en Ukraine, la Russie a perdu la bataille narrative sur les causes du conflit. Elle a tenté de justifier son entrée en Ukraine de différentes façons : la défense des indépendantistes, l’agressivité ukrainienne, l’avancée de l’Otan et plus récemment encore les rumeurs sur la fabrication d’armes nucléaires. Mais la Russie n’a pas réussi à imposer ce narratif, y compris auprès de ses alliés traditionnels, à commencer par la Chine, qui essaie de ne pas prendre position. De là vient le problème fondamental de cette opération.

Comment analysez-vous le rôle que jouent Vladimir Poutine côté russe et Volodymyr Zelensky côté ukrainien dans cette guerre de communication ?

Nous sommes dans une époque de Netflixisation de la politique et le président russe comme le président ukrainien sont devenus des stars. Sur TikTok mais aussi sur YouTube et Instagram, des millions de vidéos mettent en avant la personne de Vladimir Poutine, qui est présenté comme une personnalité badass. En face, Volodymyr Zelensky a travaillé une autre forme de personnage, d’abord sur Twitter mais aussi sur TikTok, où il l’emporte sur Vladimir Poutine. En plus de se poser en bon père de famille, il se présente en leader très horizontal prêt à tout sacrifier pour son pays. C’est un combat presque culturel entre deux systèmes médiatiques.

Quelle place prend aujourd’hui la désinformation dans le récit de cette guerre ?

Ce genre de méthode a toujours existé. En 1991, au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak, il a notamment été dit que des soldats irakiens sont entrés dans des maternités koweïtiennes, ce qui ne correspondait pas à la réalité. Ce qui est nouveau avec l’Ukraine, c’est la volonté de truquer certains faits. C’est le cas par exemple de ce qui a été dit sur les soldats ukrainiens de l’île des Serpents. Il y a en a eu des deux côtés. On est ici dans le mensonge, mais c’est assez rapidement déconstruit. L’autre nouveauté, c’est que plutôt que de diffuser des fausses informations, on joue avec les interprétations. Il y a une bataille de narratif pour savoir qui est le coupable, quel est par exemple l’agresseur dans le Donbass. On n’est plus dans la fake news ici mais dans le combat idéologique.

Comment expliquez-vous qu’en France, la vision prorusse de ce conflit soit aujourd’hui défendue par ceux qui s’opposaient hier au vaccin anti-covid et au passe sanitaire ?

On assiste aujourd’hui à une convergence idéologique entre une frange de la population française qui se définit comme antisystème, qui refuse la mondialisation, la diversité, des sujets plus ou moins majoritaires dans les médias, et un point de vue russe en faveur du nationalisme. Cette convergence a été aidée par la Russie, grâce à son soft power. Ce n’est pas pour rien que la chaîne RT soit le média préféré des Gilets jaunes. En plus de RT, il y a aussi eu ces dernières années des créations de think tanks, des financements d’intellectuels… C’est une tradition soviétique de faire ce travail de soft power, mais ce soft power russe est aujourd’hui amoindri par cette crise.

Quel risque y a-t-il à avoir interdit les médias RT et Sputnik en Europe ?

C’était de toute façon un arbitrage perdant-perdant. Fallait-il laisser ouvert un canal de propagande avec des effets dangereux ou fallait-il, avec cette fermeture, laisser certaines franges qui défendent la Russie continuer à émettre ces discours sur les réseaux sociaux ? À moyen terme, cela pose un problème. En fermant ces médias, on a renoncé en partie à ce qui fait le sel des démocraties, à savoir entendre les critiques. C’est quelque chose de négatif à moyen terme.

Xavier Desmaison est le co-auteur de l’ouvrage Le Bûcher des vérités – Quelles stratégies dans un monde de fake news, paru en janvier 2021 aux Editions Hermann.

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