Les 15 spin doctors

Quelles sont les clés de la performance de la communication politique dans la campagne présidentielle, version 2022 ? Un savant mélange de coups d'éclats, parfois de coups de bluff, sans perdre de vue les sujets de préoccupation majeure des électeurs. 

La scène électorale se transforme. Elle était autrefois l’apanage de figures classiques comme le meeting jaugé au nombre de participants, la visite de terrain mesurée à la chaleur des poignées de main, le show médiatique apprécié à l’aune des « bons mots » ou le débat entre protagonistes jugé sur la pertinence des propositions. Elle est depuis vingt ans, avec l’avènement de l’information en continu, le terrain d’expérimentation de figures nouvelles qui empruntent à la notion de performance, au sens anglo-saxon du terme. De quoi s’agit-il ? Dans le domaine artistique, la performance désigne une pratique qui se concentre radicalement sur l’effectuation d’une action et l’immédiateté de son pouvoir signifiant. Autrement dit, elle vise non pas la considération pour la mise en forme d’une œuvre mais la seule curiosité pour un acte exercé au mépris des conventions de la représentation. Traduite en termes politiques, elle s’inscrit dans ce que Christian Salmon nomme L’ère du clash (éd. Fayard, 2019). Mais elle n’est pas que transgression aux limites de la vérité. La performance politique est fille de l’économie de l’attention. Elle a pour principal objectif de surprendre et de canaliser un moment le flux médiatique. Peu importe, d’ailleurs, les commentaires élogieux ou réservés. Seul compte l’intérêt pour l’inattendu. Primus inter pares pour la campagne présidentielle de 2022, bien que non candidat alors déclaré, Emmanuel Macron cède au genre en déclarant, dans Le Parisien du 4 janvier : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ». Quand bien même il exprime tout haut ce que pense tout bas une majorité de concitoyens, il sort volontairement de son statut de président de tous les Français pour poser des mots qui n’ont d’autre but que de provoquer une forme de sidération.

« Un environnement médiatique surabondant »

« De façon plus générale, explique Benoît Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique, la performance a pour but de se faire entendre dans un environnement médiatique surabondant. Capter l’attention, c’est l’esprit même du web et c’est ce qui justifie la manière dont les candidats en font usage ». La prestation d’Arnaud Montebourg mettant en scène sur les réseaux sociaux ses appels téléphoniques à ses concurrents de gauche, avant de renoncer à la compétition, en est une bonne illustration. Éric Zemmour, lui, fait de sa stratégie digitale le canal de coups d’éclat destinés à marquer les esprits. « Ses dérapages contrôlés sur l’immigration ou les handicapés, sont relayés par un activisme effréné sur les réseaux de la part de ses partisans pour imposer, via les médias, les sujets à l’agenda », souligne Thierry Herrant, ancien directeur général de Publicis consultants et aujourd’hui consultant pour Visibrain. Ce peut être aussi des coups de bluff quand les images diffusés de Français criant « Zemmour Président ! » révèlent, après contrechamp, la présence de seuls militants mobilisés pour l’occasion.

Une première mondiale

Au rang de la performance visant a émerger au-delà même de la confrontation des idées, Jean-Luc Mélenchon choisit, comme en 2017, de revisiter le traditionnel meeting. Ce fut l’hologramme il y a cinq ans. C’est désormais le rassemblement immersif et olfactif. Une sorte de première mondiale avec quatre murs-écrans carrés permettant la projection d'images à 360°, tandis qu'un dispositif diffuse des odeurs dans la salle. « C'est un début d'année et un début de campagne. Il fallait faire un coup d'éclat », lance le candidat sur scène. Tous les concurrents ne connaissent pas le même succès d’estime dans leurs tentatives de briser les codes d’une campagne électorale classique. « La vidéo d’Anne Hidalgo, regrettant que “l’humain” ait laissé la place aux distributeurs automatiques de billets dans les gares, suscite la moquerie, relève Laurent Telo, journaliste au Monde. Même sa descente de train pour revenir à Paris précipitamment et aller au journal de TF1 proposer une primaire de la gauche – une figure inédite dans une programmation pourtant millimétrée - fait un bide. »

D’autres performances relèveraient de l’anecdotique si elles n’imprimaient finalement pas sur la course à l’échalote des sondages qui écrasent la perception de la compétition pour les électeurs. En revendiquant les bienfaits de la gastronomie française traditionnelle, son steak frites et son bon vin, Fabien Roussel réussit à provoquer un débat momentané qui donne corps à son slogan « La France des jours heureux » et à un succès d’estime sondagier. Plus sérieusement, l’interpellation de Valérie Pécresse dénonçant les violences faites aux femmes devant Jean-Jacques Bourdin, maître de cérémonie d’une émission spéciale de campagne mais par ailleurs mis en cause par certains témoins, relève d’une prise de risque calculée. Elle participe de la construction d’une image de présidentialité qui revendique sur son statut de femme et fait fi des bonnes manières entre politiques et journalistes de renom.

« Attention au coup d'éclat »

Deux candidats, cependant, semblent avoir fait le choix de s’abstenir de toute prouesse hors cadre. Misant sur un seul registre, celui de la déclinaison d’un programme et du souci de respectabilité, ils n’en avaient pas encore, fin février, recueilli les bénéfices en intentions de vote : Yannick Jadot, empêtré dans sa classification « à gauche », synonyme de division, et Marine Le Pen concurrencé par son bouillant rival Éric Zemmour. « Attention au coup d’éclat sans message politique, précise Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de l’institut Harris Interactive. Même dans un environnement dominé par l’immédiateté et l’avalanche de l’information, la mémorisation d’une campagne, et donc la formation de l’opinion finale des électeurs, se construit sur leurs sujets majeurs de préoccupation. La petite phrase “Mon ennemi, c’est la finance”, lors de son grand meeting du Bourget, est probablement ce qui a fait gagner François Hollande en 2012. » Il reste que, dans l’histoire récente des campagnes présidentielles, la performance entendue comme une injonction à regarder l’inattendu a pu servir la cause des candidats. Celle d’Emmanuel Macron renversant la table « Droite-Gauche » en 2017 en est une démonstration éclatante. De même que celle de François Bayrou, claquant un jeune qui lui faisait les poches ou dénonçant en direct au journal télévisé de Claire Chazal la collusion des médias et des politiques, en 2007, faillit lui ouvrir les portes du second tour. Celle de René Dumont, premier candidat écologiste à une présidentielle, en 1974, restera comme une lointaine figure pionnière. Venu avec un verre d’eau à la télévision, pour expliquer en quoi la raréfaction de ce bien commun était l’enjeu du siècle, il n’en tira pas un succès électoral. Mais son geste n’était-il pas prémonitoire d’un sujet plus global – la transition écologique - qui domine désormais le débat public ?

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