Presse

Une table ronde organisée aux Assises du journalisme, à Tours, a permis de mesurer le chemin parcouru et les montagnes qu'il reste à gravir pour que l'argent des plateformes vienne rémunérer éditeurs et journalistes.

Des plateformes sans journalistes qui « volent » l’information, font des profits sur le dos de la presse et captent le lien avec les abonnés : c’est en ces termes que Jean-Marie Cavada, le président de DVP [Droits voisins de la presse], a présenté le 11 mai, lors des Assises du journalisme à Tours, un « commerce hors la loi et mondial » qui « vampirise la démocratie » en ne rémunérant pas les éditeurs et auteurs d’articles. Mais alors que DVP vient de commencer ses premières discussions avec Facebook et Microsoft, tous les regards sont tournés vers Google, le principal moteur de recherche.

Alors que la loi du 24 juillet 2019 fait obligation aux plateformes de négocier des accords de droits voisins avec les éditeurs, le géant a déjà été condamné par l’Autorité de la concurrence pour ne pas l’avoir fait de bonne foi, il a ensuite été sanctionné le 12 juillet 2021 par une amende de 500 millions d’euros et doit essuyer une troisième plainte du Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), l’un des artisans de DVP, pour ne pas avoir fourni les documents nécessaires à l’élaboration d’un tarif – le résultat est attendu avant l’été.

Un dossier « sous-estimé »

Comment obtenir, dans ce contexte, la négociation la plus favorable alors même que la presse apparaît divisée ? L’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui regroupe quelque 300 éditeurs, a déjà signé des accords avec Google et Facebook. Et certains grands titres de presse quotidienne (Le Monde, Le Figaro, Libération) comme l’AFP ont conclu des accords d’entreprise confidentiels dans lesquels il est difficile de démêler les droits voisins d’autres dispositions commerciales (le programme Showcase de mise en avant d’articles sur la plateforme, le recours à un fonds de transition numérique…). « Il est urgent de faire l’union », a martelé Jean-Marie Cavada à Tours, en soulignant qu’il « manque un zéro » à l’accord Google-Apig, évalué à vingt millions d’euros.

Pour lui, la presse influente a « sous-estimé » ce dossier et « n’a pas défendu sa propre contribution à la démocratie dans ses colonnes » face à la force de lobbying des Gafam. Sans doute pensait-elle qu’elle aurait plus à gagner à faire cavalier seul. Mais désormais, le président de DVP veut aller plus loin qu’une simple recommandation, prévue par la directive : « Il faut que la gestion collective devienne obligatoire », a-t-il déclaré le 11 mai. « La transposition de la loi en France mais aussi la technologie, l’évolution du business et la prise de conscience qu’il y a là une vraie injustice grave me poussent à vous dire que je n’en resterai pas là en ce qui concerne le cadre juridique français. »

Une gestion collective de droits voisins, qui permet aux petits d’espérer un peu plus que des miettes face aux plus gros, c’est aussi ce que souhaite la Scam, forte du soutien de l’intersyndicale des journalistes. Son directeur général, Hervé Rony, rappelle que sa société peut être chargée de sa collecte pour les auteurs et cartes de presse, comme la Sacem le fera pour le compte de DVP, le Centre français d'exploitation du droit de copie assurant la répartition. Pour lui, « beaucoup d’argent » pourrait être levé en gestion collective. « La copie privée qui se répartit aux trois tiers entre artistes, auteurs et producteurs, c’est plus de 200 millions d’euros ! », rappelle-t-il.

Seulement, encore faut-il que cette idée passe la rampe à l’Assemblée nationale. Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe LREM, a récemment donné un entretien à Jean-Marie Cavada sur un podcast du Nouvel Économiste, où elle se dit « favorable aux organismes de gestion collective », mais à condition que cela soit « une option et non une obligation ». Sans caractère obligatoire, accords individuels et gestion collective vont devoir coexister, et comme dit Hervé Rony, il est « très compliqué » de faire rentrer les uns dans l’autre. « Comme c’est très difficile au niveau de l’entreprise, le mieux est de remonter à l’échelle de la branche, estime Olivier Da Lage, pour le SNJ. Nous aimerions que le législateur complète le dispositif actuel pour permettre la gestion collective des journalistes ».  Quoiqu’il en soit, un réaménagement semble dans les tuyaux puisqu’Aurore Bergé est favorable à un renforcement en faveur d’une « rémunération juste et équitable », comme le prévoit la loi, en favorisant la transparence des données ainsi qu’un élargissement des droits au podcast ou à la presse spécialisée et scientifique.

Création d'un département scientifico-économique

Marie Hédin-Christophe, vice-présidente de Spiil et trésorière de DVP, souligne que la tâche est ardue avec les Gafam : « Encore faut-il être techniquement capable de calculer ces recettes. On aura des négociations au forfait et on va travailler avec des experts, des économistes. Il faut répondre à l’urgence  : ils ont deux ans et demi de retard car ils gardent les droits. » Google vend en effet des espaces publicitaires sur des thématiques qui correspondent aux articles de presse présentés, en générant de la fréquentation s’appuyant sur des images et les premières lignes des articles, bref, en créant un environnement captif tout en récupérant la data. D’où la création d’un « département scientifico-économique », comme dit Jean-Marie Cavada, qui appréciera en France l’ampleur du manque à gagner du fait de la migration des recettes de la presse vers les Gafam.

Reste aussi la question sensible des clés de répartition. Mais, auparavant, le président de DVP insiste sur la nécessité de collecter l’argent, avec l’appui d’une batterie d’avocats. Et, encore une fois, avec l’idée que l’union fait la force, l’Apig étant susceptible de rejoindre une démarche collective. Il « supplie » donc les organisations de journalistes de ne pas étaler publiquement des divisions. « C’est une bataille qu’on mène avec les dents, vous et nous, il sera temps de se battre après. Pour l’instant, il n’y a pas un euro dans le DVP ».

Quelle rémunération pour les journalistes ?

Si la loi fait obligation de faire profiter les journalistes des droits voisins dans une proportion « appropriée et équitable », toute la question est de savoir la part qu’ils obtiendront. Au départ, rappelle Olivier Da Lage (SNJ), les éditeurs ne voulaient pas en entendre parler : « Le rapport entre les éditeurs et les Gafam peut être transposé dans le rapport que les syndicats de journalistes ont vis-à-vis des éditeurs qui nous ont largement ignorés dans l’élaboration de la procédure ». Mais aujourd’hui, Jean-Marie Cavada cite la loi allemande qui, dans son article 87K, dit que les journalistes ont le droit de prétendre à « une rémunération de 30% du volume engrangé ». Une part qui pourrait devenir une base de négociation dans le cadre d’une gestion collective. Du côté du SNJ-CGT, Pablo Aiquel, son secrétaire général adjoint, rappelle que personne ne doit rester au bord du chemin : « Nous allons demander que tous les correspondants locaux, comme les pigistes, soient inclus dans le droit voisin », explique-t-il.

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