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L’industrie musicale 3.0 nourrit bien des espoirs, à travers la vente de concerts sous forme de NFT ou d’expériences nouvelles. Artistes, majors et start-up sont déjà sur scène.

C’est un concert qui n’existe pas dans le monde réel, dont la date est inconnue et qui a réussi à vendre en vingt minutes mille tickets à mille dollars, c’est-à-dire à générer un million de dollars sur une seule promesse : assister à un événement du rappeur américain Snoop Dogg depuis sa maison californienne et devant sa collection de voitures entièrement reproduites dans un univers virtuel. La star a créé une extension de lui-même et 10 000 avatars, chaque ticket devenant une sorte de titre de propriété dans cette expérience immersive. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la plateforme The Sandbox, qui abrite cette promesse, est conçue comme un cadastre avec ses 160 000 terrains (« lands ») dans lesquels on retrouve des artistes (Ed Sheeran, David Guetta…), mais aussi des marques (Carrefour, Axa, Gucci…), ou encore des accords-cadres avec des majors (Warner Music). Bienvenue dans le monde du concert 3.0 à travers ces métavers qui passent pour l’eldorado de la musique.

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Jean-Michel Jarre, qui a eu une expérience approchante dans une Notre-Dame virtuelle à l’occasion du nouvel an 2021, a raconté au cours d’une table ronde de la Sacem, le 8 juin, son souvenir de son concert dans un monde projeté devant un public d’avatars avec des capteurs suivant chacun de ses gestes depuis le studio Gabriel : « Au bout de cinq minutes, j’avais exactement la même sensation que sur une scène physique avec des gens en face de moi ». La différence ? la scénographie n’a plus pour limite que l’imagination : « Il n’y a plus de gravité, cela change la façon dont on va concevoir un décor, expliquait-il. Et on va pouvoir aussi s’immerger dans le son. C’est un très grand potentiel de création de valeur. On va pouvoir générer une nouvelle manière de faire des films, de créer des musées virtuels, de faire des expos… ». Son concert gratuit, commande de la Ville de Paris, a rassemblé 75 millions de vues dans le monde depuis un écran de smartphone, de TV ou de jeux vidéo.

VRroom, la start-up sur laquelle s’appuie la star internationale, travaille sur le lancement de sa propre plateforme fin décembre. L’objectif est de répondre à la difficulté de monétisation que posent les solutions existantes. VRChat, par exemple, n’est pas conçue pour des transactions par cartes de crédit ou des objets virtuels (goodies). Et pourtant, comme le souligne son CEO, Louis Cacciuttolo, les retombées sont énormes : « En 2018-2019, Travis Scott a collecté 63,5 millions de dollars, sur une tournée 56 dates. Avec la logistique, cela revient à un million de dollars par date. Il a ensuite fait un concert gratuit de neuf minutes sur Fortnite qui a fait 12 millions de vues et généré 20 millions de dollars en goodies. Avec une marge de 90 à 95 % ». VRroom veut ainsi proposer aux artistes de monétiser leur création tout en leur laissant les moyens d’édifier leur univers. « Les plateformes qui font de la monétisation ne sont pas dans le beau spectacle. L’idée est de faire les deux sur une appli. On développe des outils pour le spectacle, la musique puis le théâtre, le stand-up et la danse », explique-t-il.

Créer des outils à la portée de tous, c’est aussi l’esprit de The Sandbox, monde virtuel en 3D aux 3 millions d’utilisateurs et qui met à disposition des instruments d’édition de NFT (« VoxEdit ») ou des éléments susceptibles de bâtir un univers comme des arbres ou des maisons pour construire une ville (« Game Maker »). « On peut créer sans connaissance du code », souligne Bertrand Levy, vice-président de la plateforme, en charge des partenariats, le 8 juin, au cours de la table ronde de la Sacem.

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Les grandes stars ne sont donc pas les seules à en tirer profit. Kevin Primicerio, fondateur de Pianity, raconte volontiers l’histoire de Sarkis Ricci, ce pianiste qui a créé un objet d’art en associant une de ses compositions musicales de 16 minutes à une vidéo de bateau naviguant. Il a réussi à écouler 100 NFT de cet ensemble « qui lui permettent d’avoir deux ans de revenus classiques », salue-t-il. Sur le métavers, l’œuvre musicale est constituée d’une musique, d’un visuel mais aussi de ce qu’il appelle une « boîte programmable » qui peut être un échange sur un groupe privé et une expérience réelle ou virtuelle. « Les artistes savent exactement qui sont les consommateurs de leur musique, ils vont pouvoir les contacter, entrer en interaction avec eux, aller dans un groupe de discussion et cocréer », souligne-t-il, le 8 juin.

La rareté fait bien sûr partie de la valeur. Universal Music Group (UMG) a ainsi créé une opération de NFT avec Booba, la première du genre en France. Résultat : 25 000 exemplaires ont été vendus en un rien de temps. « 30 % des gens qui consomment la musique par abonnement seraient intéressés par des objets de collection liés à la musique », rappelle Olivier Nusse, président Universal Music France. La major s’est ainsi associée à Curio, une plateforme qui a publié 75 000 NFT avec de grandes marques de cinéma, de télé ou de BD. UMG met aussi en scène Calum Scott, une artiste de Capitol Music Group, et est partenaire de Snowcrash, un service de NFT créé par des pionniers de la musique et de la technologie. Avec ChartStars de Billboard, elle s’emploie enfin à fabriquer une série d’objets de collection NFT en fonction du classement des artistes dans les tops des ventes. « Ces nouveaux partenariats ne sont pas de simples cadres ; ils sont mis en œuvre avec des engagements importants en matière de produits, en collaboration avec nos artistes et les labels », prévient Olivier Nusse.

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Seulement, encore faut-il que la valeur ne soit pas confisquée aux profits des plateformes américaines (Meta, Google, Apple…) ou chinoises (TikTok). « C’est un eldorado, mais si on ne contrôle pas les tuyaux, on deviendra les Aztèques de Cortés, achetés par de la verroterie et des alcools bon marché 3.0 », a prévenu Jean-Michel Jarre. D’où la demande d’un engagement politique plus fort pour soutenir la création d’un écosystème européen. Emmanuel Macron avait fait des annonces en ce sens pendant sa campagne. « D’un point de vue technique, créatif, on n’a rien à envier à nos concurrents internationaux mais on a un problème de moyens financiers pour développer une taille critique », pointe Louis Cacciuttolo, de VRroom. Des moyens d’autant plus attendus que le métavers a le double avantage, selon Jean-Michel Jarre, de « revaloriser la notion d’original », la valeur de l’œuvre dépendant moins du support que du « geste du créateur », et de permettre des concerts « moins énergivores » puisqu’à distance. Enfin, ce peut être une réponse à la faible rémunération des ayants droit par les géants du numérique. Cécile Rap-Veber, directrice générale de la Sacem, qui veut créer « un rapport vertueux avec les acteurs du métavers », rappelle que les plateformes gratuites rapportent moins de 100 euros pour 1 million de vues.

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