Disparition

Ces quinze derniers jours, l’ensemble des médias français se sont passionnés pour la monarchie anglaise, déployant, pour couvrir l’actualité, des dispositifs inédits.

De l’annonce de la disparition de la reine Elizabeth II, le 8 septembre, à ses funérailles, le 19 septembre, les Français ont eu, en moyenne, 159 contacts avec cette information, selon l’institut Onclusive, qui mesure l’impact d’un événement d’actualité via l’indicateur UBM (unité de bruit médiatique), basé sur l’intensité d’un événement et sa durée à la une. Cela correspond à 1 327 UBM par jour en moyenne, et 3 640 au plus haut. « Au-delà de 1000, c’est exceptionnel », avance Sonia Metché, directrice des études. Le décès de Jacques Chirac avait occasionné un pic à 4 132 UBM, celui de Johnny Hallyday, à 3 853. Deux intensités plus fortes mais avec une couverture médiatique moins longue. « Les médias ont misé sur l’intérêt des Français », note l’observatrice. Au risque de lasser ? « Ce n’est pas l’événement le plus médiatisé de l’année », tempère-t-elle, le voyant étant surpassé par l’élection présidentielle (8 000 UBM par jour au pic) et l’Ukraine (4 500 au plus fort).

Des moyens fastueux à télévision

Selon Onclusive, la télévision et le digital, suivis par les magazines d’actualité, ont en premier lieu contribué à ce bruit médiatique. « C’était beaucoup de mise en scène visuelle », analyse Sonia Metché. « L’événement a été très produit par les Anglais », abonde Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFMTV. Avec deux pics d’intérêt. Le jour de la disparition de la souveraine, où 4 millions de personnes ont regardé l’Édition spéciale de France 2, première en part d’audience devant TF1, et les funérailles, où certaines antennes sont passées en éditions spéciales dès 6 h du matin, avec 16 h 30 d’émissions délocalisées sur BFMTV, une antenne commune TF1-LCI, comme lors du Jubilé en juin ou du 14 juillet… Les moyens déployés sont à la hauteur. Des dizaines de journalistes et équipes techniques sont à Londres et dans l’ensemble du Royaume-Uni, quand d’autres planchent en studio et sur le terrain en France. Particularité de France Télévisions, le groupe s’est appuyé à la fois sur son réseau mondial de correspondants dans le Commonwealth et en région. Sur BFMTV, les présentateurs se rendent aussi sur place, ce qui reste rare. Le tout a été (très) anticipé : deux réunions par an sur la chaîne info pour peaufiner le dispositif, notamment pour affiner les faisceaux souhaités pour émettre, qui devaient être préservés auprès de l’agence AP. « Nous avions un conducteur type, un travail entamé il y a deux ans », confie Michel Dumoret, directeur des rédactions nationales de France Télévisions. Même constat à TF1, où « tout était consigné dans un gros dossier de 82 pages », selon La Revue des médias de l’INA. Ce qui n’empêche pas les imprévus et les aléas logistiques…

Des éditions spéciales préécrites à la radio

« Pour couvrir le royal décès, le préconducteur d’une spéciale dédiée était déjà prêt depuis mon arrivée », détaille Frank Moulin, à la direction de l’information de RTL depuis 2021. La journaliste Sophie Aurenche, qui a signé pour la radio une série de podcasts sur Elizabeth II, avait prédétaillé quels reporters envoyer, où, quels sons utiliser, dans quel ordre… Un partenariat avait été signé avec le magazine Point de vue pour s’assurer la présence d’un journaliste spécialisé. Sur place, cinq personnes ont été dépêchées par RTL qui a joué la carte groupe en s’appuyant sur les équipes de M6 présentes au Royaume-Uni. De quoi nourrir l’antenne et le site en éditions spéciales. Sur les 1,5 million de pages vues le 8 septembre, 50 % du trafic traitait de la reine. François Hollande, qui avait déjà enregistré le Focus dominical de Mohamed Bouhafsi, a accepté d’être réenregistré pour réagir à ce royal décès. France Inter s’est appuyé sur le correspondant permanent de Radio France à Londres, Richard Place, avant de délocaliser ses tranches actu du 12-13 et du 18-20 le jour des obsèques dans un pub près de Victoria Station la capitale britannique. Soit neuf journalistes. Mais le décès de la Reine d’Angleterre n’a pas été la seule tasse de thé de Catherine Nayl, la directrice de l’information de France Inter. « Nous avons fait attention à l’équilibre dans notre traitement de l’actualité en considérant que d’autres informations existaient en dehors de la Grande Bretagne, comme la guerre en Ukraine. »

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Des journaux prêts à être imprimés

« Comme Elizabeth II faisait des répétitions de sa disparition depuis les années 60, nous avions tout anticipé, détaille Adélaïde de Clermont-Tonnerre qui dirige Point de Vue. Notre hors-série tiré à 200 000 exemplaires était chez l’imprimeur la veille de son décès. Et nous avons doublé le tirage de notre hebdo pour passer à 400 000 exemplaires » À Paris Match, le dossier photo avait été choisi jusqu’à la photo de couverture signée David Bailey, exclusive pour le territoire français. « Nous avions bouclé cela depuis la mort de son mari, y compris sa nécrologie que nous avons juste réactualisée », détaille Caroline Mangez, directrice de la rédaction. L’hebdo, sorti le surlendemain du décès, reste en vente deux semaines. Il a été tiré à un million d’exemplaires. Au Parisien, toute la rédaction s’est mobilisée avec quinze pages spéciales le lendemain du décès. Les ventes du journal ont fait un bond de 30 000 exemplaires, soit +30 %, et même le lendemain, les douze pages dédiées ont permis au journal de vendre 10 000 exemplaires de plus. « Cette rémanence le lendemain est rare. Nous avons aussi réactualisé et réédité le hors-série spécial jubilé qui s’était vendu à 30 000 exemplaires, ce qui est beaucoup », note Sophie Gourmelen, directrice générale du Parisien. Libération a été plus concerné par la mort de Jean-Luc Godard qui a eu droit à un tirage augmenté de 100% contre 30% pour la Reine. Le travail du journal a cependant été unanimement salué par la presse française et internationale avec sa couverture signée Cecil Beaton et titrée « La peine d’Angleterre ». « La nécrologie était prête depuis deux ans, nous raconte Dov Alfon, son patron. Même si nous avons soigné notre travail pour faire un beau numéro dont nous avions arrêté les choix photos dix jours avant, nous ne sommes pas sortis de nos gonds. »

L’écho des réseaux sociaux

D’après l’agence We Are Social, 1,3 million de conversations sur les réseaux sociaux se sont créées en France à partir du 8 septembre, dont 825 000 rien que les deux premiers jours. Outre les journalistes et les médias, d’autres typologies de locuteurs sont apparues, « des célébrités qui rendent hommage, des microcommunautés de royalistes pour saluer la reine, des communautés qui, pour rendre hommage ou en profiter pour gagner en visibilité, publient des mèmes », détaille Kevin Pasquier, planneur stratégique au sein de l’agence. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

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