La chronique de Bernard Sananès

[Chronique] Alors que la menace de coupures d'électricité à grande échelle est plus que jamais d'actualité, le gouvernement déploie depuis quelques jours une communication de précaution, ce qui n'est pas sans risque sur l'opinion.

C’était le 19 décembre 1978. Le froid fait grelotter la France. La journée démarre, l’activité monte en charge. A 8h27, une pointe de consommation met à mal le réseau national électrique. Une coupure de courant géante arrête le pays soudainement. Trains arrêtés, métros coincés, feux de circulation en panne et embouteillages immenses, chauffage électrique coupés… pendant près de 4h, la France tout entière est victime du dernier grand black-out électrique que nous ayons connu.

Cela fait 44 ans, autrement dit une éternité. Qui s’en souvient d’ailleurs, tant l’évènement semblait destiné aux livres d’histoire un peu vintage rangés quelque part entre Mai 68 et l’élection de François Mitterrand ? En revoyant ces images cette semaine sur les chaînes d’info, chacun mesurait l’impact que pourrait avoir sur notre quotidien la « grande panne » :  réseaux mobiles et internet coupés, appels aux urgences difficiles, ascenseurs immobilisés, écoles affectées par le délestage, les conséquences - même sur une courte période - seraient fortes.

Tous anti-coupure

Face à l’incertitude et au risque, la communication a pris dans les derniers jours une place centrale. Le gouvernement a légitimement choisi de « prendre la main » et de déployer une communication de précaution. La note adressée aux préfets comme tous les bons scenarii de crise est un peu anxiogène dans le détail des mesures prévues mais comment faire autrement ? Tout ou presque semble avoir été prévu. L’enjeu pour l’exécutif est clé : ne pas donner l’impression qu’il a été pris au dépourvu ou qu’il a sous-estimé le risque et ses conséquences. D’autant que le souvenir du démarrage chaotique de la gestion de crise Covid, malgré son caractère imprévisible, est encore fortement présent dans nos mémoires collectives.

On peut en revanche s’étonner du phasage des prises de parole au sein de l’exécutif. Après une semaine marquée par la scénarisation du dispositif envisagé par le gouvernement, le président de la République est venu donner un coup de barre qui se voulait rassurant : « Pas de panique », formulation toujours ambivalente dans une société qui exprime tant de défiance à l’égard de la parole publique. Il y a un risque que cette formulation soit interprétée, au-delà même de la sphère complotiste, par « il faut donc s’inquiéter ». Curieuse impression donnée par un président qui semble « corriger » la copie de son gouvernement. L’inversion des prises de parole aurait sans doute été plus judicieuse privilégiant d’abord le ton rassurant du président qui aurait demandé « en même temps » au gouvernement de tout préparer pour faire face.

Après la précaution, l’autre enjeu est celui de réussir à déployer une communication de mobilisation pour susciter un réflexe d’écogestes en cas de tensions sur le réseau. L’objectif de moins 10% est facilement mémorisable, l’application EcoWatt simple et pédagogique, la prise de conscience de chacun est forte. Et surtout, j’ai le sentiment que je peux agir pour un résultat immédiat : éviter la grande coupure. Tout semble réuni pour que réussir ce qui n’avait été que partiellement atteint face au Covid, la mobilisation collective, soit cette fois au rendez-vous.

Précaution, mobilisation, l’enjeu n’est pas mince pour le gouvernement. Car au-delà de l’impact dans notre quotidien, des risques et des dommages qui seraient causés par la coupure, l’effet psychologique sur l’opinion serait potentiellement désastreux. Alors que près de 7 français sur 10 estiment que la France est en déclin, le scénario de la grande panne alimenterait la lente complainte du déclassement du pays. Loin de la start-up nation, loin de la fierté du programme nucléaire, une partie des Français y verrait une confirmation d’un pays en deuxième division, ne parvenant pas à assurer son approvisionnement électrique. C’est aussi cela que la communication gouvernementale veut chercher à conjurer.

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