La chronique de Stéphane Distinguin

[Chronique] Cet hiver de la tech que nous traversons, avec la chute des cryptos et le ralentissement des Gafa, doit nous conduire à une phase d'introspection et de thérapie collective qui pourrait bien nous permettre de retrouver la confiance.

« Le réel, c’est quand on se cogne », disait le psychanalyste, et depuis des mois, des années peut-être, on se demandait d’où viendrait le coup, l'embûche. Chute des cryptos, escroquerie de FTX, ralentissement des Gafa, pitreries de l’homme le plus riche du monde et plusieurs fois CEO, mésaventures boursières des Big Tech, métavers qui convainc de moins en moins et désormais débâcle de LA banque de la Silicon Valley, ce n’est plus un coup mais une avalanche de chocs.

Conscience et inconscient, la langue de Freud nous a donné aussi Schadenfreude, ce sentiment inavouable du plaisir qu’on prend au malheur des autres. Et ils sont nombreux à voir dans la crise qui atteint la Tech la vengeance des justes, des moins forts… parfois celle du monde d’avant.

L’introspection a débuté. On cherche d’autres critères que ceux de la valorisation et des millions des levées de fonds, cette échelle des licornes qu’on utilise de la Silicon Valley à Shenzhen. Après l’annonce du palmarès FrenchTech avec son nouveau Next40 et 120 en février, France Digitale a publié avec EY pour la Journée de la Femme Digitale ce 8 mars une étude sur la présence des femmes dans les start-up à impact. On se désole que les femmes soient encore moins nombreuses dans le Next40 que dans le CAC40 mais on peut se consoler en les voyant plus nombreuses dans les start-up à impact.

Ouf ! Parce qu’on en arrivait à se demander si la Tech avait oublié sur son chemin glorieux son ambition initiale de «changer le monde», à mesure qu’elle le changeait vraiment. La Tech dans cet hiver 2023 qui restera le sien et pas seulement celui des cryptos bien après l’équinoxe, doit passer par cette phase de bilan et d’autocritique.

Ce sera l’occasion, pour ceux qui savent et qui font, de se réunir. De faire école. Pour être sincère, c’est le moment que je préfère dans ces cycles. Cet instant où tout n’est plus «génial», «cool», «scalable», où on ne peut plus faire croire que «fake it until you make it» est la règle. Il ne s’agit pas de se mortifier ni même d’entrer en résistance, simplement de se faire un peu discret et de profiter de cette respiration pour construire et se retrouver avec le même désir sincère de contribuer à quelque chose de plus grand et de meilleur. Appelons ça le progrès.

Discrets ? Et pourquoi pas invisibles ? Où se répand le Web3 s’il part avec l’eau du bain des cryptos et du métavers quand même Mark Zuckerberg semble y renoncer ? Pour les plus anciens, souvenez-vous du WAP (Wireless Application Protocol) devenu tellement ringard qu’on ne pouvait plus l’évoquer sans pouffer. Quelques années plus tard, l’iPhone a scellé la gloire de l’internet mobile sans qu’on n’utilise plus jamais ce mot. Connaîtrons-nous la même chose pour les NFT ? On le sait, disparaître de la hype curve, c’est être entré dans les usages. Avoir changé le monde pour de vrai. Réussir en technologie, c’est se fondre dans la vie quotidienne. Responsable et sans laisser de trace inutile.

Quand l'interface s'efface

Invisible, par essence, aussi. Parce que l’hyperpersonnalisation, fruit de la combinaison des technologies du Web3, immersives et distribuées, avec celles de l’IA générative, vont permettre aux interfaces de s’effacer. ChatGPT est le service qui a atteint le million d’utilisateurs le plus vite. Quelques années après les agents conversationnels, nous sommes donc très nombreux à avoir échangé en langage naturel avec des machines sur les sujets les plus divers sans maîtriser la moindre ligne de code.

Nous sommes passés en 40 ans de la ligne de commande aux interfaces graphiques, puis aux interfaces vocales et, désormais, autonomes. Nous assistons donc à la disparition des interfaces, leur invisibilité, leur intégration dans l'environnement de l'utilisateur pour devenir plus naturelles et moins intrusives. La promesse n’est pas tout à fait nouvelle. Nous avons déjà parlé dans ces chroniques et ailleurs avec Alexa ou Siri, il y a sept ou huit ans tout le monde voulait robotiser les échanges sur Messenger ou ailleurs. Mais ici, la vague est d’une puissance telle qu’elle pose la question même de nos usages fondamentaux sur le web, search en tête.

Analyse, introspection, discrétion, responsabilité… Que trouverons-nous à la fin de cet hiver de la Tech et de cette thérapie collective ? Invisible mais pourtant bien là, espérons que ce soit la confiance, cette belle promesse du Web3, que nous saurons cette fois tenir, pour de vrai. Oublions les expressions à la mode, acceptons que les interfaces et les technologies se fondent dans nos usages, regardons ce qu’en font les plus créatifs d’entre nous, retrouvons le goût d’expérimenter… aucune meilleure façon de retrouver la confiance. Au pire, cela nous permettra d’attendre qu’un plus génial assemble avec ce qui est déjà sous nos yeux l’iPhone ou la Tesla du Web3.

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