La chronique de Bernard Sananès

[Chronique] Entre outrances verbales, prises de distance avec la vérité, exacerbation des oppositions ou volonté de défaire l’adversaire, le débat semble souvent devenir impossible, la nuance inaudible et le compromis inatteignable. Chaque jour, l'actualité le montre un peu plus.

Réformer les retraites : nécessité économique d’allonger l’âge légal ou injustice quant à la répartition des efforts ? Bassines : solution de bon sens indispensable à l’agriculture ou « accaparement » de la ressource. Maintien de l’ordre : soutenir la réponse ferme et « républicaine » aux agissements d’une minorité ou condamner, en les généralisant, les « violences policières » ? Zones à faible émission : interdiction d’accéder aux grands centres urbains pour les moins aisés ou réponse pragmatique pour lutter contre les émissions de CO2 ? Cancel culture et wokisme : prise de conscience nécessaire ou ostracisation intolérante. Rapport au travail : valeur cardinale de la société ou revendication du droit à la paresse. La liste pourrait remplir des pages. Des débats passionnants, stimulants, légitimes. Là n’est bien sûr pas le sujet. Mais l’actualité récente les éclaire désormais sous un mauvais angle. Entre outrances verbales, prises de distance avec la vérité, exacerbation des oppositions, volonté de défaire l’adversaire, le débat semble souvent devenir impossible, la nuance inaudible, le compromis inatteignable. Comment en est-on arrivé là ? Comment le pays des Lumières semble-t-il à ce point basculer dans la confrontation permanente ? Comment recréer les conditions de l’écoute ?

Confronter les données au ressenti

D’abord en partageant les constats. La confusion entretenue autour du rapport du COR aura pesé lourd dans l’échec pour le gouvernement de convaincre de la nécessité de la réforme. Séparer, dans la conduite des réformes, le temps du diagnostic du temps des solutions, semble devenu un indispensable préalable. Partager le constat avec les citoyens pour qu’il n’apparaisse pas « déconnecté » du vécu l’est tout autant. Poser un constat, ce n’est pas construire un tableau Excel, c’est aussi confronter les données au ressenti, les moyennes à l’expérience. Ce n’est pas seulement faire la « pédagogie » dont le côté professoral crée de la distance mais se mettre en empathie avec la société. Cela suppose aussi de pouvoir fournir des éléments d’évaluation pas seulement de la solution proposée mais des alternatives sur la table.

Ensuite, en créant les conditions d’un dialogue éclairé et apaisé. L’enjeu c’est de sortir des seuls débats d’experts, tout en permettant au citoyen de renforcer son expertise. Plusieurs méthodes existent, des conventions citoyennes aux conférences de consensus, elles ont souvent besoin d’être déployées à plus grande échelle, de permettre l’accès au débat de classes d’âge et de catégories socio-professionnelles qui en sont souvent exclues. Ce qui se produit aujourd’hui autour du débat sur la fin de vie semble montrer que cela est possible. Mais la « sortie » a besoin d’être bien définie. Le Grand Débat qui aurait pu renouveler le genre a parfois laissé un goût amer sur l’imprécision de ses conclusions.

Enfin, en développant la culture du compromis. L’accord entre les partenaires sociaux sur le partage de la valeur en pleine crise sociale fait aussi la preuve que des convergences sont possibles, quand les acteurs ont les coudées franches, travaillent à l’abri des projecteurs, et mettent les « punchlines » à distance. Plus largement, la culture du compromis suppose aussi l’identification des leviers d’adhésion et la prise en compte des « minorités ». Quand votre idée pèse 30 ou 40 % dans l’opinion, elle ne peut pas être mise de côté par la loi des majorités. Bien sûr, chaque gouvernance a besoin d’une règle et celle de la majorité est la plus démocratique. Mais une société moderne doit aussi intégrer ces divergences.

Le rôle des communicants politiques ou d’entreprise, confrontés à ces situations sur des sujets sensibles, change aussi. L’émetteur n’a pas seulement à convaincre et à gagner. Il doit démontrer qu’il s’implique dans le dialogue, que son organisation et son animation sont sincères. Il doit permettre aux parties prenantes de se construire une opinion étayée. Il laisse également une place aux « opposants » dans les moyens de communication utilisés. Quand la sortie se dessine, il s’assure qu’il n’y a en communication ni vainqueur ni vaincu, met en exergue les compromis et fait le récit de leur construction. Créateur de dialogue, un nouveau challenge pour les communicants ?

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