Le billet vert de Gildas Bonnel

[Chronique] Quand quelqu’un dit « j’ai une déontologie », on entend un peu « il a un corset, un carcan ». Mais on peut aussi y voir un cadre, une boussole pour orienter les collaborateurs ou commanditaires vers une communication responsable.

De plus en plus souvent, lors d’interventions dans les écoles de commerce ou de communication, on m’interpelle : mais comment une communication dite responsable peut-elle promouvoir n’importe quels marques ou produits sans tenir compte de leurs impacts sociaux et écologiques ? Une question revient, vous vous en doutez : « Est-ce que vous travailleriez pour Total ? ». Un jeune communicant en agence, un jour, m’avoua son désarroi alors qu’on venait de lui annoncer qu’il avait la chance inouïe de collaborer avec un compte nouvellement gagné de junk food à emporter... Il se retrouvait dans un conflit de loyauté intenable entre sa fidélité à son job, à son équipe, à son métier, et un sentiment intérieur puissant de ne pas être aligné avec ses valeurs. Des communicants évoquent, de plus en plus souvent, une sorte de clause de conscience, comme les avocats qui ont, légalement, le droit de refuser un dossier pour des motifs de « conviction personnelle profonde ».

Ils ont raison. Si nous savons écrire de belles histoires, cela ne doit pas éclipser notre rôle essentiel : celui d’interface avec les publics auxquels nous nous adressons. Nous sommes, avant tout, là pour ça : pour nous interroger sur leurs attentes, leurs perceptions, leur défiance souvent. Pour porter dans nos projets les sensibilités qui s’expriment dans la société, dans les communautés, et veiller à ce que nos messages respectent toutes et tous. Pour servir, en fait, celles et ceux qui seront exposés à nos campagnes, loin de nos tours d’ivoire. C’est une immense responsabilité de parler fort, de se mettre en lumière et d’occuper l’espace médiatique qui nous est concédé. N’oublions jamais que cette position nous oblige.

La bonne direction

Derrière ces questions, se cache un mot qui sent un peu la naphtaline. Un mot un peu gris qui parle d’interdits, de refus, peut-être de protection surannée. Un mot, un peu vieillot, qui semble raidir le débat et les positions de chacun. « Déontologie ». Quand quelqu’un dit « j’ai une déontologie », on entend un peu « il a un corset, un carcan ». Mais on peut aussi entendre tout autre chose. On peut y voir un cadre, une boussole, une étoile à suivre, un radar… plein de fonctions bienvenues dans le capharnaüm qui nous sert d’époque. Car la déontologie peut donner aux collaborateurs comme aux commanditaires un sens, une cohérence. Elle peut offrir une navigation plus avisée, plus prometteuse en eaux troubles. Un conseil adossé à des règles de pilotage a plus de valeur, y compris pécuniaire. Évidemment.

Il est probablement temps de faire de cette paire de lunettes stratégique un outil de performance et de valeur ajoutée pour qui la possède et la propose. La déontologie n'est pas forcément un code sectoriel empesé. Elle peut devenir, dans nos agences, source de plus d’alignement, de bien-être, voire, osons-le dire, de joie ? Chez Sidièse, nous avons opté pour une règle écrite : s'autoriser à répondre à n'importe quelle organisation, mais en garantissant de ne pas lui proposer n'importe quoi. Ça nous force à guetter davantage le « n’importe quoi ». Ça nous aide à le voir s’inviter dans nos propositions et nos réunions d’équipe – et il n’y manque pas. Nous avons des critères précis de tri que nous apprenons à rendre joyeux (l’ombre dominatrice du censeur hante encore nos échanges). Nous réapprenons une pratique essentielle de notre métier. Nous avons twisté le mot pour casser son côté prétentieux : « déontolojoie » parce que c’est simplement joyeux de se sentir mieux sans ses pompes ! Parfois, nous échouons mais nous continuons à apprendre. Cet exercice est aussi périlleux que précieux car passer un projet de communication à la moulinette d'une déontologie bien affutée, d'une revue critique partagée, débusque ce qui, insidieusement, gâche le plaisir de créer.

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