Chronique

« Ma mère est la ménagère à qui les publicitaires veulent la mettre » (OrelSan). La ménagère, terme marketing à l’œuvre depuis les années Draper, désigne la femme définie par son rôle de chef d’orchestre du foyer, tout affairée à l’éducation des enfants comme à la bonne tenue de sa demeure. Cette figure de proue de la société de consommation post-seconde guerre mondiale n’est plus en 2022 portée en odeur de sainteté, en témoignent ces paroles d’OrelSan.

Hier louée par le général de Gaulle comme la tenante du progrès, c’est-à-dire de la consommation des foyers et de la stabilité, la ménagère est aujourd’hui devenue infamante. Mi-femme, mi-service de couverts, l’injure peut aisément s’entendre.

Alors certes, le terme s’est réactualisé avec le temps, devenant tour à tour techniciste avec le fameux FRDA-50 (femme responsable des achats de moins de 50 ans pour les non-avertis), ou encore la « digital mum », nouvel avatar dépoussiéré symboliquement par l’emploi de l’anglais et du qualificatif numérique. Mais qu’importe l’épithète, pourvu qu’il y ait la figure d’une femme vissée à ses couches, son frigo… et son mobile.

Idéal-type de la révolution industrielle

Les concepts ne poussent pas sur les arbres. Ils sont créés, alimentés, certains prennent dans le terreau culturel trouvant une utilité, faisant écho à une certaine réalité. Ils constituent des idéal-types, comme Max Weber les qualifie, un tableau réunissant des traits supposément distinctifs et permettant de penser un tout homogène.

Alors questionnons-nous, à quand remonte la promotion de la figure de la ménagère ? Alors que l’infériorité juridique de la femme était déjà inscrite dans le code civil napoléonien, cette assignation au privé et à l’intérieur trouve son âge d’or moderne au milieu du 19e siècle où la création du travail en usine et ses longues heures éreintantes, ne peut se faire qu’à la condition où la femme réalise un travail domestique gratuit. Entretien, éducation, alimentation… Il faut donner des forces aux ouvriers et assurer la reproduction de la main-d’œuvre, clef de voûte de la révolution industrielle.

Comme l’analyse Silvia Federici, le modèle du « salaire familial », assurant une bonne paye à l’époux pour faire vivre toute la famille sur ce seul salaire, promu par le fordisme et l’Education Act en 1870 en Angleterre, finit d’entériner une répartition claire des rôles dans la cellule familiale : aux hommes les usines, aux enfants les études et à la femme le maintien de cette structure.

Mais aujourd’hui qu’en est-il de cette répartition des rôles ? Si rentrer dans le détail des évolutions qu’a connues la cellule familiale serait trop laborieux, tenons-nous-en à la question du travail qui a prévalu à sa naissance. En 2020, seuls 7 petits points séparent le pourcentage de femmes travaillant versus les hommes. C’est peu dire que l’anachronisme de pareille conception saute aux yeux. Parler de ménagère s’apparenterait à formuler une injonction sociale à une double journée travaillée, une au domicile et l’autre dans ses fonctions rétribuées par la société.

De l’archétype au déni de réalité

Mais au-delà du caractère désuet, au-delà de ne plus bien décrire la réalité, la formule le modèle voire le déforme. Et c’est là que le bât blesse. Car en tant que concept, la ménagère, loin de n’être qu’offensante à l’heure de HeForShe, laisse dans ses angles morts nombre de réalités. Celle d’une paternité qui se redéfinit de consort avec celle du genre, à mesure que les rythmes de vie évoluent ainsi que la relation au couple, etc. Une paternité qui peut se sentir déniée par cette image d’Épinal.

Celle de couples protéiformes, homoparentaux, sans enfants, monoparentaux… ou encore tout simplement égalitaires dans la pratique des tâches, justement, ménagères. Sans oublier la réalité la plus importante peut-être, celle de femmes qui ne se définissent plus par leur rôle familial mais qui ont leur propre intériorité, passions, et se vivent comme agentes par-delà les frontières de leur domicile (si tant est qu’elles se soient jamais senties comme définies par celui-ci).

En somme, à mesure que la ménagère enferme nos publics dans des archétypes datés, elle nous empêche de proposer de nouveaux récits et imaginaires, sensibles aux réalités des individus et de la société d’aujourd’hui. Laissons donc la ménagère reposer en paix (elle en a bien besoin) et intéressons-nous aux vraies personnes. La ménagère est morte vive les femmes, les parents, les couples, les habitants, les solo, les amoureux, les plus trop…. 

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