Chronique

Tout semble indiquer que les organisateurs du débat de l'entre-deux-tours n'ont pas pris la mesures des évolutions sociologiques et médiatiques.

Nous avons sans doute assisté le 20 avril au dernier débat de l’entre-deux-tours dans son format 1974. C’était il y a un demi-siècle. Les organisateurs n’ont visiblement pas pris la mesure de nos évolutions sociologiques et médiatiques. Tout le monde a fait comme si la grand-messe allait encore attirer la foule des fidèles. Le score est sans appel : 15,6 millions. Un million de téléspectateurs de moins qu’en 2017 et moitié moins qu’en 1981 et 1988. Pire, 75 % des téléspectateurs ont sauté du train avant l’arrivée à quai sur les coups de minuit. On aurait pu pourtant imaginer qu’après une pandémie qui a mis en péril la santé de la moitié de l’humanité, un risque de guerre mondiale et des enjeux climatiques planétaires, on se serait précipité pour écouter la parole des candidats à l’élection suprême.

La question du débat démocratique dans le pays se pose, mais pas seulement en termes politiques. Elle se pose aussi en termes médiatiques. On a dit la campagne ennuyeuse, accusant un peu facilement les candidats. Mais qu’en est-il des médias, des directeurs de chaîne ? Il n’y a jamais eu autant d’émissions politiques programmées et tous les formats ont été testés. De la traditionnelle interview aux programmes plus audacieux comme Présidentielle : Candidats au tableau !, Face à Baba, Face à BFM ou encore Les propositions face aux Françaises de LCI. À chaque fois, la zappette nous est tombée des mains… et les audiences ont rarement été au rendez-vous, au point que le favori des sondages en vienne à bouder l’émission phare du service public ! Le plus souvent hélas, il n’y a pas eu débat mais… match. Match nul, nul en arguments, nul en respect, nul en intérêt.

Il est urgent de repenser le débat démocratique dans les médias en associant professionnels et politiques dans un cadre impartial, le CSA par exemple. Quelques pistes, à toutes fins utiles :

- Faire court. Le débat du 20 avril a battu tous les records : 2h45 ! Les seuls formats qui ont tiré leur épingle du jeu (C à vous sur France 5, interview au journal de 20h de TF1) ont pu le faire grâce à un timing resserré.

- Limiter et sélectionner les interviewers. On croyait que la mode des consultants se limitait aux commentateurs sportifs ou aux gradés de plateau, en temps de guerre. Eh bien non ! on a pu constater lors de cette campagne présidentielle que la France comptait autant de consultants politiques que de sélectionneurs… 

- Le débat du 20 avril a été qualifié de « bonne tenue ? » Encore heureux ! Le marécage ne le guettait pas tant il était corseté, verrouillé, compartimenté par le travail préparatoire des animateurs et des entourages. « Vous avez x minutes sur l’Ukraine, y minutes sur les retraites et z sur l’écologie etc. ». On est loin du « Osons ! » d’Elkabach ! Il faut revenir à quelques thématiques larges et laisser les débatteurs débattre. Mesdames et messieurs les journalistes, acceptez avec humilité de vous retirer, de vous décentrer pour faire place à la parole politique et laisser le débat vivre !

- Jeter ses fiches ! Ceci est un message particulier à l’adresse des candidats (les législatives arrivent…). À la différence de l’Américain, l’orateur Français a un gros défaut : son versant auteur est hypertrophié au détriment de son versant acteur (1). Du coup, il prépare, il prépare et il prépare encore… et arrive sur les plateaux avec la tête pleine à ras bord de fiches, de data, d’éléments de langage, de punchlines, de ripostes et contre-ripostes… Loin d’être des esprits libres, ils ne sont plus que des avatars téléguidés par ces oreillettes de papier, qui sont à la démocratie ce que le PowerPoint est à l’entreprise : un poison lobotomisant.

Le moment est donc venu de changer de siècle et de construire les bases d’une démocratie médiatique à la hauteur des enjeux qui nous attendent. Nous le devons notamment aux jeunes électeurs qui, depuis bien longtemps, ont éteint la télévision.

(1) Stéphane André, Le Secret des orateurs, éd Stratégies.

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