Chronique

L’heure d’hiver et les décorations de Noël sont là. C’est la saison de l’exercice du commentaire et des constats. C’est aussi ma dernière chronique pour Stratégies en 2019, ce sera donc celle du bilan. Et on ne va pas se mentir, 2019, c'était pas du gâteau.

Imprévisibilité

À coup de tweets de Trump, on a attendu la crise comme Godot. Et elle n’est pas vraiment venue. Sauf qu’on l’attend encore. Le CAC au plus haut, le chômage au plus bas, pourtant un sentiment diffus et des taux d’intérêt négatifs qui nous disent que ça n’ira pas mieux demain.
J’ai commencé ma carrière d’entrepreneur en me disant qu’il n’y avait que les petits et les débutants qui ne savaient anticiper leur activité à plus de 3 mois, condamnés à naviguer à vue. Je me suis consolé plus tard en comprenant que les plus grands et les meilleurs étaient soumis à l’épreuve des publications trimestrielles. Je suis convaincu aujourd’hui que nous sommes tous dans ce même état d’imprévisibilité et la volatilité de tous les marchés ne tient pas qu’au high frequency trading, c’est un état de fait et du monde économique.

Un faux-plat, des échappés et des abandonnés sur la route

Raymond Poulidor est mort, cet heureux deuxième n’aura pas su nous léguer l’art de la victoire sur faux-plat, cette route qui trompe et fatigue en donnant l’impression de la facilité. Combien de fois j’aurais entendu cette année « je dois gérer le zéro ». C’est qu’en France et en Europe, on doit faire face à une croissance nulle et que du coup tous les budgets deviennent périlleux. Un rien en moins et tout s’écroule. La seule façon de faire mieux, puisque ce n’est plus de faire plus, c’est de faire autant, avec moins. Autre phrase entendue à l’envi, « ça serait plus facile à financer si nous étions en Asie ». Comme en apnée l’oxygène se réserve pour les organes vitaux, les budgets ont du coup été concentrés sur l’Asie où tout pousse et fleurit  – et je confirme que chez Fabernovel nous aurons vu nos équipes en Asie doubler cette année.
Pour des secteurs industriels entiers, il y aura eu un avant et un après. C’est le cas de la grande distribution en particulier. Crise existentielle des hypermarchés, difficultés des commerces de proximité, fuits par ceux qui connaissent des fins de mois difficiles et parfois empêchés par ceux qui luttent contre ces fins de mois difficiles, il y a eu et il y aura des morts. Et la sainte alliance qui réunit de Ken Loach à Mounir Mahjoubi contre Amazon arrive alors que les bonnes ou mauvaises habitudes ont été prises : Prime et ses livraisons comme par magie triomphent, la chaîne de valeur et les rapports de forces ont été radicalement et définitivement transformés. 
Pour filer la métaphore cycliste, c’est que sur ce faux-plat, il y a des abandonnés mais aussi des échappés, triomphants. Cela rend le décrochage d’autant plus flagrant. En 2019, très régulièrement, la capitalisation d’Amazon aura fluctué, en une journée, du même montant que la capitalisation, totale, de Carrefour. Amazon, bon an mal an, perd ou gagne un Carrefour tout entier chaque jour.

Games of Thrones du service

Parlons boutique pour finir. Stratégies publiait le 21 novembre son traditionnel Top 500 des agences et médias de France. Je cite : « Côté agences, le palmarès fait en particulier apparaître un effondrement du résultat net cumulé des entreprises répertoriées, symbole du fait que les agences ne vont pas si bien malgré un chiffre d’affaires cumulé en hausse. Autre tendance que dessine le tableau: la concentration du marché : 50 agences concentrant à elles seules presque 85 % du chiffre d’affaires. » C’était 2018 et je parie que 2019 sera la même, la croissance en moins. C’est en fait qu’un modèle tarde à émerger, un modèle hybdride et intégré, qui sache travailler avec et contre les grandes plateformes, les arbitrer en somme, ce que j’appelle la Talent Company.
Les géants du secteur, Publicis, Havas ou même WPP, chacun à leur façon tendent vers les SSII pour chercher des relais de croissance pendant qu’Accenture n’en finit pas de grandir et d’acquérir, allant – quelle drôle d’idée ! – jusqu’à racheter une des plus belles agences créatives américaines, Droga5.
Et ce Game of Thrones qui voit les familles de la publicité et de la communication, des services en systèmes d’information et du conseil se déchirer et chercher à manger dans la même gamelle est envenimé par une tendance de fond chez les clients et annonceurs : l’internalisation. Depuis 15 ans que nous serinons que la transformation numérique est un enjeu stratégique pour les entreprises, nous avons été entendus : elles se sont équipées, elles possèdent leurs équipes, leurs digital factories, et maîtrisent désormais le cloud d’Amazon, Microsoft ou Google qui remplacent leurs prestataires historiques… C’est la première fois que les guerres de religion n’existent plus en informatique, celles qui opposaient Oracle à SAP, Microsoft aux modèles open source… Et cette internalisation vaut aussi pour les agences. Procter & Gamble a annoncé avec fracas avoir remplacé ses agences par des équipes internes. Le résultat sera difficile à remettre en question : une insolente croissance organique de 8% et 50% de croissance du cours de bourse.
Enfin, un serpent siffle au dessus de nos têtes, réveillé là encore par Mark Pritchard, le directeur du marketing de Procter : la jungle des achats médias aux Etats-Unis, désormais surveillés de très près par le FBI. On peut donc s’attendre à des amendes records et pour avoir suivi les épisodes précédents dans la banque, l’assurance ou l’aéronautique, il est probable que les premières amendes en centaines de millions de dollars concernant les agences médias seront pour les Européens ou les Japonais…
2019 morne plaine me direz-vous. Mais c’est que 2020 nous surprendra en bien. La créativité et l’agilité sont nos plus précieux atouts. Il est urgent de mieux les valoriser et de renouveler leur système d’exploitation et leur modèle économique. Rien de bien nouveau mais nous sommes au pied de ce mur haut comme le mont Ventoux. Et puis les surprises et les cliffhangers, ça existe. J’apprends à l’instant que notre commandeur qui venait de céder les rênes de Publicis, Maurice Lévy, rejoint le sulfureux WeWork, leader mondial du coworking, et deuxième sujet de conversation cette année après Donald Trump. 
Ça va être bien 2020.

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