Chronique

Je ne sais pas pour vous, mais durant trois jours j’ai été incapable de dire ou d’écrire « couvre-feu ». Incapable. Comme un acte manqué, ça ne venait pas, je ne retenais pas ce mot. Et ce vendredi qui est d’habitude un jour gai, celui où on travaille le cœur un peu plus léger en pensant au week-end, à l’heure où justement on se dit à lundi en se promettant de passer de bons moments, on appréhendait ce demi-confinement. Encore une étape dans ce tunnel dont on ne voit pas le bout. Pire encore, à ce moment précis, on apprenait qu’un enseignant avait été décapité à quelques kilomètres de Paris pour avoir fait son métier, le plus beau. Alors on se demande bien de quoi on va pouvoir parler ici, alors que tout est devenu dérisoire. Et les perspectives pas forcément lumineuses. D’ailleurs, le week-end prochain, ce sera l’heure d’hiver, l’heure de plus que j’aime le moins.
On a le capitalisme qu’on mérite, dit aussi Xavier Niel dans Les Echos pour commenter la bataille Veolia, Suez… en annonçant quelques questions plus loin celle qu’il va mener contre Unibail. Pour les médias, qui nous passionnent ici, la dispute fait rage autour de Lagardère, qui réunit, ou oppose, c’est selon, trois des plus grandes de nos familles d’entrepreneurs pour décider de l’avenir d’Europe 1, du Journal du dimanche, de Paris Match, et de très nombreuses grandes maisons d’éditions françaises … sans oublier Mediapro qui ne paie pas la Ligue de football professionnel et met en péril toute l’économie du championnat français.
Quand on a fait comme moi du futur, celui qui est déjà là, pour paraphraser William Gibson et celui dont on rêve, sa mission ou son fonds de commerce, on ne peut pas imaginer que cette période ne soit autre chose qu’un tunnel, long et rempli d’ornières à traverser. Un mauvais moment à passer. Alors regardons ensemble quelques bonnes nouvelles pour ce qu’elles sont, inattendues, et pour ce qu’elles véhiculent d’espoir tout à fait raisonnable.
D’abord, les effets induits dans cette situation sont parfois surprenants. En bien. Prenons l’exemple du cinéma tricolore : depuis le déconfinement et la réouverture des salles, les films français profitent de l’absence des superproductions américaines et vendent plus de billets qu’en 2019. Cette information apporte de l’eau à deux moulins.
D’abord, la relocalisation est déjà là et on en voit les effets. Charge à nous de savoir saisir ces opportunités, d’investir les espaces que nous ouvre cette crise, de tirer parti de l’agilité et des nouvelles marges de manœuvre qu’a provoquées cette violente remise en cause de nos acquis et de nos habitudes.
Ensuite, la culture, je le répète à longueur de chronique, est la mère de toutes nos batailles. Elle doit être le premier sujet de relocalisation, le plus fondamental. Celui qui maintient en marche la machine à espérer et la machine à créer et donc in fine à produire, tout produire. Pour des raisons pas évidentes, les librairies n’avaient pas été ajoutées aux commerces de produits de première nécessité lors du Grand confinement. Pour des raisons plus claires, les places de spectacles, de cinéma, ne seront pas un Ausweis pour rentrer après 21 heures chez soi. C’est facile, je ne suis ni médecin ni ministre, mais je le regrette : il y avait une bonne nouvelle à nourrir pour en faire un symbole, un cap.

On n'a pas de Gafa mais on a des licornes

Deuxième bonne nouvelle, Renault, qui a fait parler de lui ces dernières années pour d’autres raisons que pour ses ambitions industrielles alors qu’on lui doit tant de grands moments fusionnels de l’industrie et de la société françaises avec ses 4 CV, 4L, R5, Twingo… proposera ce mois-ci la première voiture électrique, aides déduites, à 10.000 euros, sous la marque Dacia. Premier véhicule électrique low-cost distribué en Europe, sur la base de celui que Renault propose en Chine depuis 2019. Voilà, on y arrive enfin, la réconciliation du nouveau, du bon et du moins cher, pour le plus grand nombre. C’est très encourageant et à souligner.
Et une dernière pour la route dans le tunnel. Les levées de fonds des start-up françaises ont atteint 588 millions en septembre 2020, une augmentation de près de 20% en un an. Les levées en centaines de millions deviennent monnaie courante avec celles de Mirakl ou d’Ynsect. Sans parler de la réussite de Snowflake, fondée par deux Français, à Wall Street. Nous n’aurons pas de Gafa à court terme mais un élevage de licornes, qui feront des petits. Si la Covid nous oblige sans cesse à nous comparer dans notre gestion de la catastrophe, la FrenchTech est un début de réussite qui tient la dragée haute à tous ces pays qui font souvent mieux que nous, dans une Europe de l’innovation décrochée par les Etats-Unis et la Chine. Autre indicateur qui ne trompe pas, ces levées se font pour des montants qui se maintiennent voire qui augmentent en moyenne : on ne constate pas de chute des valorisations, au contraire. À chaque crise jusqu’ici, les start-up étaient nos canaris au fond de la mine, les premières à souffrir du manque d’oxygène. Dans cette drôle de guerre contre l’invisible, ce n’est pas du tout ce à quoi on assiste. Il y a de l’argent, beaucoup d’argent, et des conditions qui restent avantageuses pour ceux qui préparent l’avenir.
Ce ne sont que quelques bonnes nouvelles. Nous en trouverons d’autres avant le vaccin.

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