Tribune
En changeant les usages médiatiques, la révolution mobile permet de faire rayonner plus largement la culture africaine et surtout, elle offre au continent l'occasion de reprendre en main son récit, longtemps monopolisé par des voix extérieures.

En Afrique comme ailleurs, la révolution digitale en cours entraîne une profonde mutation du paysage médiatique, pour ne pas dire un bouleversement impulsé, entre autres, par le web et les réseaux sociaux. L’explosion du nombre d’abonnés, avec plus de 816 millions de connexions mobiles en 2019 (soit 77 % de la population), dont 44 % sur smartphone, est en train de dessiner les contours de ce que l’on peut déjà appeler un « leapfrog médiatique » (saut de grenouille).

La digitalisation, moteur économique

Même si le continent connaît encore des retards de connectivité avec un accès inégal au haut débit, cette digitalisation à grand pas constitue un véritable moteur économique (9 % du PIB) et un puissant levier pour combler les insuffisances des réseaux physiques et des infrastructures, en donnant accès à des services du quotidien jusqu’alors inaccessibles, comme la santé, l’éducation ou les services bancaires. Mais elle est aussi un accélérateur des transformations profondes des modes de production et de consommation de contenus et d’information.

Les médias traditionnels doivent désormais faire face à la concurrence des réseaux sociaux. Les élections présidentielles en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire apportent la démonstration de leur rôle prépondérant dans le déroulement d’une campagne électorale et dans les stratégies de communication. L’information citoyenne devient virale sur Whatsapp, Facebook, Twitter. L’Observatoire démocratique de Côte d’Ivoire compte plus de 418 000 abonnés sur différents groupes Facebook ; Opera News s’est installé comme un média de premier plan ; des influenceurs prescripteurs deviennent des médias à part entière...

L’Afrique est passée en une vingtaine d’années d'un continent où le téléphone n'existait que très peu à une omniprésence du mobile. Tout porte à penser que cette révolution est en train de disrupter les usages médiatiques avec la même rapidité, avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui ont créé des marques médias 100 % web ou 100 % réseaux sociaux, comme Abidjan.net en Côte d’Ivoire ou Actualités.CD en République démocratique du Congo. Ces pionniers sont en train d’élaborer des process éditoriaux et des modèles économiques novateurs, qui vont pouvoir à terme – espérons-le – contrebalancer les risques réels d’une prolifération des fake news par un usage débridé des réseaux sociaux et discipliner le recours à une information monétisée ou sponsorisée.

Réappropriation

Cette dynamique a un grand mérite : elle permet la diffusion grand public de contenus africains et contribue ainsi à installer progressivement un authentique narratif qui a été pendant longtemps monopolisé par des voix extérieures.

Le continent reprend progressivement possession de son récit, et donc de son histoire et de son destin. Cette réappropriation muscle les opinions publiques et fournit des leviers d’action aux sociétés civiles. Elle permet aussi au continent de se projeter. Un pays comme le Nigeria a réussi par exemple à bâtir un véritable softpower avec son cinéma et sa musique. Nollywood est la deuxième industrie cinématographique au monde et l’Afrobeat est une référence sur la scène musicale internationale. Le continent tient aussi une place artistique de plus en plus importante dans l’art contemporain en plein essor et dans l'industrie de la mode. La restitution des œuvres d’art sur le continent, le développement d’événements culturels africains dans le monde entier, l’émergence d’une gastronomie africaine haut de gamme qui se mange sur place et qui s’exporte... Autant d’autres exemples qui confirment ce rayonnement du continent. Les nouveaux médias ont vocation à en être les fers de lance. Ils donnent à voir ces profondes mutations africaines, et sont les mieux placés pour le faire.

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