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La souffrance au travail ne s’est jamais aussi bien portée. Les cabinets spécialisés et offres de formation pullulent. Mais quand le malheur des uns fait le bonheur des autres, gare aux dérives.

Le stress au travail va-t-il enfin diminuer en 2010 ? Pour les deux mille entreprises de plus de mille collaborateurs en France, le compte à rebours a commencé. Elles ont jusqu'au premier février 2010 pour entamer, avec leurs représentants du personnel, des négociations sur les risques psychosociaux. L'ultimatum a été lancé le 9 octobre dernier par le ministre du Travail, Xavier Darcos, qui publiera sur Internet dès le 15 février prochain une liste des bons et mauvais élèves. Dérisoire ? Moins qu'il n'y paraît. La médiatisation des suicides à France Télécom a marqué les esprits de nombreux dirigeants. Beaucoup ne doutent plus que l'inaction aurait des retombées catastrophiques pour leur entreprise, comme pour eux-mêmes en termes d'image.
Sommées par l'État d'intervenir, les entreprises le sont aussi par l'opinion et les salariés qui, enquête après enquête, témoignent d'un stress grandissant. Selon un sondage Apave-TNS Sofres publié en octobre dernier, 66% des Français se disent ainsi de plus en plus stressés au travail. Conséquence : les demandes auprès des cabinets de gestion des risques psychosociaux et des organismes de formation explosent.
«Nous sommes assailli de demandes, commente le docteur Patrick Légeron, président de Stimulus, cabinet spécialisé dans la gestion du stress depuis plus de vingt ans. Pour faire face à cette explosion, ce dernier a recruté dix nouveaux collaborateurs en 2009 et prévoit six nouvelles embauches cette année. Même constat d'affluence pour les autres acteurs réputés de la place, souvent contraints de refuser des demandes. Car les sollicitations proviennent dorénavant de tous les acteurs de l'entreprise, même de dirigeants. «Les deux tiers des demandes d'accompagnement des dirigeants reçus concernent le stress au travail, rapporte Nathalie Evrard-Steinberg, directrice générale de Mercuri Urval. C'est deux fois plus que l'année dernière. Cette thématique compte aujourd'hui pour 40% de notre activité groupe.» Pas mal pour un cabinet-conseil connu, à l'origine, pour ses activités de recherche et de sélection de talents. D'autant que contrairement à la plupart des acteurs du marché, Mercuri Urval n'a même pas pris le soin de marqueter son offre. La quasi-totalité des organismes de formation et cabinets-conseils disposent désormais d'une prestation «spécial stress». Au point que certains évoquent un «stress business», voire un «stress marketing».
Tous ont leur technique pour réduire le stress en entreprise : formation, Numéro vert, stages de relaxation, yoga, etc. Des solutions souvent jugées insuffisantes. «Ce n'est pas en envoyant des collaborateurs à des formations accélérées de gestion du stress que l'on résout les problèmes, estime Philippe Douillet, chef du projet stress et risques psychosociaux au travail à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Si les entreprises veulent réellement réduire le stress, elles doivent aussi travailler sur le collectif et l'organisation du travail, et non renvoyer les difficultés sur quelques individus.» Mais nombre de celles-ci se contentent d'aller au plus simple. Du coup, ce marché du stress attire les convoitises. Une poule aux œufs d'or ? «Faute de temps et de moyens humains, nous sommes obligés, comme nombre d'acteurs reconnus, de refuser des interventions, explique Philippe Douillet. Résultat, beaucoup de personnes peu sérieuses s'engouffrent dans la brèche sans aucune compétence.»«Il y a un vraie dérive, renchérit Patrick Légeron. N'importe qui peut, du jour au lendemain, lancer un cabinet ou une offre de formation autour des risques psychosociaux.»

Des acteurs parfois folkloriques

De fait, les cabinets dits spécialisés pullulent. Pas toujours facile de séparer le bon grain de l'ivraie. «Ce marché du stress est une véritable nébuleuse, reconnaît Hervé Lanouzière, conseiller technique à la Direction générale du travail. Des consultants fraîchement reconvertis, des clubs de sport, des spécialistes du développement personnel, des adeptes des médecines alternatives… il est aujourd'hui impossible de quantifier le nombre d'acteurs, tant ils sont nombreux.» Y compris des sectes ? «Il est clair que le mal-être au travail est un terreau fertile», glisse-t-il. Une rapide recherche sur Google permet de se faire une idée sur l'état du marché. En tapant «non au stress», le premier résultat affiché concerne la dianétique, structure de la pensée de la scientologie, mouvement fondé par Ron Hubbard… Le reste est à l'avenant avec, aux côtés de cabinets renommés, des acteurs autoproclamés spécialistes de la souffrance au travail. Pas nécessairement le paravent de sectes, mais souvent des prestataires détenteurs de diplômes pour le moins folkloriques (masters en kinésiologie, en sophrologie caycédienne, etc.).
Que faire pour assainir le marché ? «Nous contrôlons le sérieux des seuls cabinets qui en font la demande», souligne Hervé Lanouzière. Une soixantaine d'organismes ont d'ores et déjà été agréés. Pour le ministère du Travail, légiférer est exclu, tout comme réguler le marché par des agréments. «La voie empruntée est celle d'une sorte de cahier des charges, dévoile Hervé Lanouzière. Au premier trimestre 2010, une liste sera fournie aux entreprises pour qu'elles puissent s'assurer de la compétence, de la déontologie et du caractère scientifique des organismes.» En attendant, sans vouloir rajouter du stress au stress, mieux vaut être particulièrement vigilant.

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