Ressources humaines
Alors que la 14e Semaine pour l’emploi des personnes handicapées bat son plein, un léger mieux est perceptible sur le front du recrutement. Mais un autre chantier attend managers et DRH: réussir l'accueil dans les équipes.

Les mains moites, la boule au ventre… En ce matin du jeudi 1er juillet 2010, Sophie Crétal, directrice marketing RH du groupe Areva, est un peu angoissée. Et le reste de son service ne se sent pas mieux. Annonce imminente de résultats semestriels? Lancement d'une campagne mondiale? Rien de tout cela. Sophie Crétal doit accueillir dans son service Antoine, un jeune stagiaire âgé de 18 ans, atteint de dysphasie, une pathologie qui se manifeste par des troubles du langage. Une première et l'aboutissement de plusieurs semaines de préparation pour Sophie et son équipe de quinze collaborateurs. Ce cas est loin d'être isolé! L'entrée en vigueur au 1er janvier 2010 des nouveaux barèmes prévus par la loi pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées fait réagir les entreprises. Désormais, celles qui ne respectent pas le taux de 6% de personnes handicapées dans leurs effectifs voient la sanction passer de 400 fois à 1 500 fois le Smic par individu manquant. Une addition salée! Du coup, depuis l'année dernière, il y a un effet positif sur l'emploi. Si le taux de chômage des personnes handicapées (19% fin 2009) est toujours deux fois plus élevé que celui des valides, il a progressé moins vite que la moyenne. De mars 2009 à mars 2010, la hausse a été de 8,5%, contre 12,7% pour l'ensemble des actifs, selon Pôle emploi. Autre signe encourageant: si certaines grandes entreprises ont stoppé leurs embauches pendant la crise, elles ont fait une exception pour les personnes handicapées. Du coup, phénomène nouveau, de plus en plus de services voient arriver pour la première fois des personnes handicapées, que ce soit en stage, comme Antoine chez Areva, en apprentissage ou en contrat à durée indéterminée.

«Des solutions sur mesure»

«Une fois qu'une entreprise a recruté des personnes handicapées et atteint son quota, elle a souvent l'impression d'avoir accompli la mission», regrette Guy Tisserant, directeur du cabinet TH, spécialisé dans l'emploi des personnes handicapées. Dans la réalité, ce n'est que le début du chemin. Faciliter leur intégration, leur donner les moyens de réussir durablement, de monter en compétences, puis d'évoluer, voilà tous les défis qui attendent les managers et les directeurs des ressources humaines. Chez Areva, qui compte plus d'un millier de personnes handicapées sur 32 000 salariés en France, les procédures sont plutôt bien huilées et les budgets d'accompagnement importants, ce qui leur facilite la tâche. Cela a d'ailleurs été le cas pour Antoine: le jeune stagiaire en CAP de graphisme multimédia a réussi à trouver sa place dans ce service marketing. Et pourrait revenir l'été prochain. Il faut dire que toute l'équipe avait été sensibilisée à son handicap au cours d'une formation d'une demi-journée. Et Sophie Crétal bien épaulée par la mission handicap. Mais les fiascos ne sont pas rares, voire quasiment systématiques quand cette intégration est improvisée. «On a connu quelques échecs parce que l'on n'avait pas suffisamment sensibilisé et préparé les équipes à travailler et fonctionner avec la personne handicapée, admet Astride Perdrix, responsable de mission handicap chez Schneider Electric, qui en a tiré les leçons. Pour réussir, il faut à chaque fois inventer des solutions sur mesure. Entre deux personnes malentendantes, par exemple, le handicap ne sera pas le même.»

S'adapter aux salariés constitue une petite révolution pour l'univers très standardisé de l'entreprise. Là, il faut partir des capacités et besoins de la personne, sans se laisser piéger par nos représentations, la plupart du temps fausses. «Les managers voient encore trop souvent la personne handicapée comme une patate chaude que l'on se refilerait, constate Philippe Balin, non-voyant, ex-directeur télécoms chez Air France, aujourd'hui consultant indépendant en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et auteur de Voir autrement (L'Harmattan, octobre 2008). En réalité, chacun projette ses propres peurs et n'imagine pas, par exemple, qu'un aveugle puisse utiliser Word, Excel, surfer sur Internet…» Et même partir en voyage d'affaires. «Avec mon chien guide, je prenais très régulièrement l'avion pour aller prospecter des clients», poursuit-il. «Un stage de sensibilisation d'une demi-journée suffit pour tordre le coup à toutes ces idées reçues», affirme Marie-Bérangère Lesellier, consultante en ressources humaines et formatrice chez Hanploi.

La question de la performance

L'autre grande peur des managers est liée à la notion de performance: une personne handicapée sera-t-elle aussi efficace qu'un autre salarié? Est-ce que je dois lui fixer les mêmes objectifs? «Il n'y a pas d'antagonisme entre handicap et performance, sauf si vous refusez le principe de compensation, répond Guy Tisserant. Exemple: si vous installez une personne en fauteuil au troisième étage sans ascenseur, elle sera forcément beaucoup moins efficace. Si la personne a un besoin de compensation, il faut bien sûr y répondre, en prenant soin de l'expliquer aux autres équipiers.»
Parfois, le manager peut aussi avoir du mal à évaluer les capacités de ses collaborateurs handicapés. Illustration avec Vanessa Douls, responsable communication interne d'IBM, qui dirige une dizaine de personnes, dont trois en situation de handicap: «Ils effectuent aujourd'hui des missions dont je ne les croyais pas capables au début. Je suis bluffée par la qualité de leur travail.»
Pas question pour autant de s'imaginer que l'exercice est facile. «Même si l'on dispose de “process” et d'outils, dans la réalité, on est vraiment tout seuls, souligne Sophie Crétal. Et comme cela ne s'apprend pas dans les grandes écoles ou dans les livres de management, il faut inventer des solutions tous les jours.»

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