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Nommé directeur général du groupe Amaury en octobre dernier, Philippe Carli arrive auréolé de son succès à la tête de Siemens France. À 50 ans, il se mesure à un défi inédit: transformer Le Parisien en quotidien de référence et le rendre rentable dès 2013.

Le porte-avions Charles-de-Gaulle aura-t-il sa place dans l'histoire de la presse? C'est en tout cas lors d'une visite de ce navire que Philippe Carli, PDG de Siemens France, a évoqué avec Marie-Odile Amaury les pistes qui pourraient être mises en œuvre pour améliorer la situation du Parisien. «C'était tout à fait informel, se souvient Philippe Carli. Je lui ai parlé des grandes tendances qui affectaient le monde industriel et elle m'a fait part des difficultés du monde de la presse.» Même si cette rencontre n'était pas la première, sans doute a-t-elle aussi pesé lorsque l'héritière du groupe Amaury s'est résolue à choisir un directeur général.

Depuis octobre dernier, Philippe Carli a remplacé Martin Desprez à ce poste stratégique. C'est lui qui a réussi à convaincre Marie-Odile Amaury qu'elle pouvait renoncer à son projet de vente du Parisien en estimant qu'il était en mesure de conduire les changements nécessaires au sein du quotidien. Après six mois d'analyse et d'observation, il s'est forgé un diagnostic sans faux-semblants: ««La presse vit une mutation dans un contexte d'innovation très fort. Elle doit faire face aux journaux gratuits mais aussi à l'évolution du lectorat. Le rapport à la lecture des nouvelles générations n'est plus celui de leurs parents. La technologie aussi a changé la donne: il est aujourd'hui très simple de prendre connaissance d'une grande quantité d'informations. Je crois que les jeunes n'iront plus que partiellement vers le papier et que l'information va devoir être gérée sur différents supports, ce qui va nous obliger à tenir compte de nouveaux acteurs comme par exemple Google.»
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Malgré une situation qui confine à l'équation insoluble, Philippe Carli croit que les titres du groupe Amaury ont un avenir. Il veut même en faire des machines à gagner de l'argent. Et il place d'emblée la barre très haut: «Le Parisien doit devenir le plus grand quotidien de référence plurimédia français et sa rentabilité doit se situer entre 5% et 13% dès 2013. Nous devons redevenir des pionniers.»

«Déterminé et charismatique»

Une telle ambition ne surprend pas Kathleen Wantz-O'Rourke. L'ancienne directrice financière de la filiale française de Siemens a rencontré Philippe Carli en 1993. L'entreprise avait décidé de confier un projet d'amélioration de son fonctionnement interne à des cadres à fort potentiel. Ils se sont retrouvés en première ligne. «C'est un homme déterminé et charismatique, estime Kathleen Wantz-O'Rourke. En tant que patron, il suscite la fidélité de ses équipes et c'est dans les situations de changement qu'il donne le meilleur de lui-même.»

Affable, séducteur, Philippe Carli sait aussi se faire apprécier d'hommes qui, à l'instar d'Axel Ganz, ne partagent pas sa culture d'ingénieur. Le fondateur de Prisma Presse et le directeur général du groupe Amaury se sont rencontrés au sein d'un cercle plutôt fermé: celui des industriels d'outre-Rhin installés en France. «Il parle très bien allemand et il a un humour fin, glisse Axel Ganz. Même s'il ne remplit plus les critères pour faire partie du cercle depuis qu'il a pris la direction du groupe Amaury, tous les membres lui ont demandé de rester.»

Autant d'atouts qui ne seront pas de trop pour saisir l'atmosphère très particulière d'un groupe de presse. «Les gens sont inquiets mais conscients de la situation, reconnaît Philippe Carli. Nous vivons dans un environnement de plus en plus complexe, et je comprends que les équipes des journaux n'y sont pas habituées. Il y a un vrai décalage entre les évolutions, très rapides, et la vision des salariés.»

Mais Philippe Carli reste un industriel. Pour matérialiser l'ambition qu'il porte, il croit à la puissance des processus: «Il faut rendre ce métier plus industriel, plus professionnel.» Pour y parvenir, il compte sur les échanges entre équipes. Il a donc réuni pendant quatre semaines 10 personnes de toutes les entités du groupe, qui ont mené 63 entretiens. Cette démarche de «benchmarking» spontané a eu le mérite de faire circuler les bonnes idées.

Valoriser les expertises

Toujours dans une optique industrielle, Philippe Carli mise sur les synergies. Le groupe Amaury dispose en effet des médias mais aussi d'Amaury Sport Organisation (ASO). Cette machine logistique hors norme a réussi à créer des événements sportifs de portée internationale (Tour de France, Dakar) ou locale (les courses qu'organise L'Équipe). «Il y a des synergies à développer, assure Philippe Carli. Nous réfléchissons à la création d'un salon "running" pour faire émerger un événement plus important.»

La qualité éditoriale figure aussi au menu. Un groupe comprenant des représentants du marketing l'analyse régulièrement afin d'émettre des recommandations. La une du Parisien a ainsi connu de légères inflexions. Inutile pour autant d'y voir une mainmise sur le contenu, se défend Philippe Carli: «Je n'ai pas pour mission de devenir le directeur de la rédaction.»

Mais derrière les méthodes censées assurer l'efficacité, quid de la motivation des équipes? «Nous devons organiser des parcours qui permettent de passer d'une filiale à l'autre», estime Philippe Carli. Chez Siemens, il a compris que la progression de carrière uniquement vécue comme une élévation hiérarchique pouvait mener à une impasse: «Tout le monde n'a pas l'envie ou les capacités de devenir manager. L'expertise est un atout majeur pour une entreprise. Nous devons apprendre à la cultiver et à la développer.»

Pour faire bouger les lignes, il a déjà commencé à faire bouger les hommes. En mars, Jean-Louis Pelé a ainsi vécu une promotion éclair, passant du poste de DRH des imprimeries Singam à celui de DRH du groupe. Et ce n'est qu'un début. «Il faut organiser des parcours initiatiques pour les journalistes et les autres métiers du groupe», confirme Philippe Carli.

À la tête de Siemens France, il n'avait pas hésité à réduire les effectifs de 15%. Et il cite volontiers le temps de travail élastique de l'entreprise allemande qui, grâce à des accords de branche, peut varier entre 32h et 42h. La fin des ampoules à filament programmée en 24 mois par une décision de l'Union européenne l'avait amené à reconvertir complètement l'une de ses filiales. Une mission accomplie grâce à un «effort de productivité» consenti par les syndicats, qui avait conduit l'entreprise à augmenter le temps de travail à 37 heures par semaine.

Qu'en sera-t-il des accords RTT dans les journaux du groupe Amaury? «Tout ce que je pourrai faire pour préserver l'emploi, je le ferai», répond-il. Et Philippe Carli de rappeler que les effectifs ne sont pas la seule option possible. «Chez Siemens, ils n'ont compté que pour la moitié des réductions de coûts.» Pour l'heure, le plan de départs annoncé l'année dernière au Parisien n'est plus d'actualité. Ces premières lignes de force demandent cependant à être précisées. Aussi Philippe Carli a-t-il fait appel à une équipe du cabinet Bain pour analyser en profondeur toutes les structures du groupe.

Conseil d'orfèvre

«J'aimerais bien qu'Amaury soit vu comme un pionnier et pas seulement comme un acteur», reconnaît cet homme du Sud, propriétaire d'un vignoble en Touraine, qui affirme n'avoir besoin «que du soleil qui se lève le matin pour être émerveillé» et que ne «fait vibrer» qu'une vision qu'il réalise après l'avoir imaginée. Réussira-t-il à relever le défi? Avant de se lancer dans cette aventure, l'ingénieur a consulté un orfèvre en la matière: Axel Ganz. «Il m'a appelé pour savoir ce que je pensais de sa décision, raconte le fondateur de Prisma Presse. Il m'a demandé si je pensais qu'il pouvait réussir et je lui ai répondu: peut-être. Dans un secteur aussi difficile, qui mêle aussi intimement créativité, intuition et industrie, il n'y a aucune garantie. Mais je pense que Philippe Carli, avec son talent et son expérience, a toutes les chances de réussir

Cet échange a sans doute rappelé à Philippe Carli la situation de Siemens lorsqu'il en a pris les rênes. L'entreprise n'avait alors encore jamais travaillé avec les grands acteurs du transport (SNCF, RATP) ni ceux de l'énergie. Sous sa direction, Siemens a relevé tous ces défis et retrouvé une solide santé financière. Philippe Carli compte bien renouveler l'exploit à la tête du groupe Amaury.

 

 

(Encadré)

Un spécialiste de l'innovation

Après des débuts comme ingénieur de développement à l'Aérospatiale en 1985, Philippe Carli rejoint Siemens. Après un bref passage chez Hewlett-Packard, il revient dans le giron de la firme allemande dont il va gravir tous les échelons. Il prend la tête de différents services affectés à l'instrumentation avant d'être nommé directeur de la division industrie en 1997. Deux ans plus tard, il prend les rênes d'une autre division avant de partir en Allemagne. Philippe Carli revient en France en 2002 pour occuper la présidence de la filiale Siemens et devenir PDG du groupe Siemens France. En avril 2008, il prend aussi en charge l'ensemble des unités chargées des marchés de l'énergie dans l'ensemble de l'Europe du Sud-Ouest.

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