La déferlante «Internet des objets» bouleverse agences et annonceurs, les oblige à intégrer de nouvelles compétences et à inventer de nouvelles méthodes de travail. Enquête.

2,3 milliards d'euros. Tel est le montant du chèque fait par Google pour s'offrir Nest Labs, une start-up spécialisée dans les objets «intelligents» (alarmes anti-incendie et thermostats connectés à internet). Cet investissement - la troisième plus grosse acquisition du géant du Net - est révélateur d'un engouement confirmé par une toute récente étude menée par le CSA pour Havas Media France: 57% des internautes interrogés pensent que ces objets se généraliseront d'ici à cinq ans car ils sont synonymes de progrès (75%), et facilitent la vie (71%).

La France est en avance en matière d'objets connectés. Les start-up françaises étaient surreprésentées au dernier Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, qui a eu lieu du 7 au 10 janvier. Dans «l'Eureka park», une zone du salon consacrée aux start-up, 20% des 200 entreprises étaient françaises. Et certaines ont raflé des récompenses: Netnamo (bracelet connecté qui mesure votre niveau d'exposition au soleil) ou Sen.se, la start-up de Rafi Haladjian avec Mother, qui centralise les informations provenant des objets connectés domestiques... D'autres ont suscité l'intérêt des médias: la brosse à dent Kolibree, par exemple, qui surveille la qualité de votre brossage en étant reliée à votre smartphone.

Quel impact a cette révolution sur les métiers? Faut-il s'attendre à l'émergence de nouvelles expertises en marketing? A des départements objets connectés chez les agences et annonceurs? Réponses des intéressés.

 

Les agences. «Nous commençons à faire des prototypes d'utilisation d'objets connectés, par exemple pour les Google glass dans le domaine des cosmétiques, avec des usages très concrets par exemple dans la relation vendeur-acheteur, explique Jean-Pascal Mathieu, directeur de l'innovation de Nurun. Ce sera souvent gérés par les départements mobiles car ces objets sont pilotés ou reliés avec le mobile. Mais cela devrait aussi générer chez nous des recrutements de profils sciences humaines sociologues, anthropologues...), pour imaginer les nouveaux usages.» Même si selon Jean-Pascal Mathieu, on assistera plutôt à une extension des champs de métiers existants, plutôt qu'à la création de départements entiers consacrés à l'internet des objets.

Les équipes de BETC Digital ont inventé la Smartdrop d'Evian, la goutte d'eau connectée qui permettra aux consommateurs de commander automatiquement des bouteilles et devrait être commercialisée au deuxième trimestre 2014. «C'est l'aboutissement du travail d'une équipe de créatifs, de planneurs et de “creative technologists”, précise Ivan Beczkowski, président de BETC digital (160 salariés). Nous sommes arrivés à une époque où ingénieurs et créatifs doivent absolument marier leurs compétences et surtout apprendre à travailler en équipe, et non plus en relais.» En tout, de la création de la Smartdrop à son industrialisation, cela aura pris presque deux ans.

«C'est également nouveau pour nous, le fait de travailler avec des bureaux d'études, pour créer des objets réels, en allant jusqu'à l'industrialisation » , note Ivan Beczkowski. La fabrication de la Smartdrop a été sous-traitée à la start-up Joshfire, spécialisée dans l'internet des objets.

Ce n'est pas hasard si Fullsix héberge au sein de son incubateur Fullbooster une start-up spécialisée dans les objets connectés, Kairos, qui emploie sept personnes. «L'innovation passe par des plates-formes (RTB, mobile...) et cela va venir des start-up, pas des agences, Fullbooster a pour objectif de repérer et identifier des plates-formes qui vont aider les marques à répondre à de nouvelles problématiques stratégiques générées par le digital, détaille Guillaume Tassetto, fondateur de Kairos. Nous déployons actuellement une plateforme Kairos Tag qui va permettre à Lacoste de récolter les retours de ses clients, grâce à des QR code géants, installés sur les murs de 6 000 points de ventes de la marque au crocodile.»


Les agences médias. Certaines agences médias s'intéressent de près à la révolution «objets connectés». C'est par exemple le cas d'Havas Media. «C'est une nouvelles source de données qui va nous permettre de cibler de façon très précise les besoins des gens, il faut que nous sachions les agréger à l'ensemble des autres canaux (ventes, navigation digitale, infos mobiles, géolocalisation...), souligne Raphaël de Andreis, PDG d'Havas Media France. Cela implique de monter très fortement en compétences en mathématiques, et nous nous appuyons sur notre filiale MFG Labs.» En parallèle, Havas Media crée sa propre direction de l'innovation et du planning stratégique (lire page xx), confiée à Sébastien Emeriau, ex-directeur du planning stratégique de l'agence V et surtout ancien manager du CRM chez Danone. «Dans cette direction il y aura des data-analystes capables de décrypter les données issues des objets connectés», indique Raphaël de Andreis.

 

Les médias. «Dans les espaces publics, nous installons de plus en plus d'écrans connectés digitaux et tactiles, note Albert Asséraf, directeur général stratégie de JC Decaux. Cela nous a par exemple permis de déployer une campagne pour la Petite Robe noire de Guerlain dans les aéroports, en adaptant la langue utilisée dans les messages, en fonction de la destination ou de la provenance du vol.» D'où le recrutement de nouveaux profils chez JC Decaux: des ingénieurs télécoms et autres (Telecom Paris, Centrale et X).

Autre exemple d'utilisation des objets connectés: l'expérimentation en cours à L'Equipe. Le média sportif a développé avec Niji, une application permettant de recevoir de l'actualité via ses Google Glass, par exemple le score d'un match en cours. Cela fonctionne pour l'instant pour treize disciplines sportives différentes.

 

Les pure-player. Les datas, voilà un métier qui va s'étoffer chez Withings (une centaine de collaborateurs dont 80 à son siège parisien) dans les prochains mois. L'entreprise fait partie des start-up qui ont fait sensation au dernier CES, avec ses appareils connectés, destinés à améliorer la qualité du sommeil, après le succès de sa balance connectée.

«Nous aurons besoin de data-scientists car ces nouveaux services génèrent un grand nombre de données santé, qui pourront être utilisées pour faire du prédictif ou accompagner nos utilisateurs...», explique Cédric Hutchings, son PDG. Mais la société emploie aussi des experts CRM dont le rôle est crucial: «Avec les objets connectés, la gestion de la relation client se déroule sur des cycles longs, remarque le PDG. Nous devons comprendre la manière dont sont utilisés les objets, les améliorer, savoir quand proposer un deuxième objet connecté au consommateur...»

 

Les annonceurs. Chez les annonceurs aussi, de nouveaux profils s'imposent. Le groupe Danone, avec la Smartdrop d'Evian, a une longueur d'avance et dispose depuis le mois d'août  d'un responsable médias sociaux et objets connectés, Alexis Thobellem (1). «Nous sommes dans une première phase d'audit pour comprendre ce qui se dessine en matière d'objets connectés, évaluer la progression des usages, note ce précurseur. L'enjeu: définir comment ces objets-services peuvent venir aider nos marques, sachant que notre métier c'est la santé par l'alimentation.» Au quotidien, Alexis Thobellem travaille beaucoup avec Joshfire (une petite dizaine de salariés) et il multiplie les prises de contact avec l'environnement de l'internet des objets: les pionniers comme Withings... et toute une kyrielle de start-up.

«A ma connaissance il n'y a pas encore de fonctions comme la mienne chez d'autres annonceurs français, indique Alexis Thobellem. Mais on va voir de plus en plus de postes de ce types: à mi-chemin entre le CRM, le social media, l'industrialisation, les technos...» D'autres devraient suivre cette tendance. «J'ai déjà vu passer quelques annonces pour des chefs de produits objets connectés dans des groupes électroniques, confirme Pierre Cannet, directeur du cabinet Bluesearch. Même si logiquement cette extension de compétences devrait concerner les équipes marketing digitales.»

C'est aussi la conviction de Cédric Hutchings, CEO de Withings: «Il n'y aura pas demain de secteur des objets connectés, mais de très nombreux domaines comme la santé, l'énergie... seront totalement revisités par les objets connectés et la connectivité. Par exemple des mutuelles nous contactent aujourd'hui pour proposer à leurs adhérents des objets afin d'améliorer la santé de leurs adhérents.

 

Sous-papier

Les Français plébiscitent les objets connectés

«81% des internautes français ont déjà entendu parler des objets connectés et ils sont 55% à savoir de quoi il s'agit, constate Raphaël de Andreis, CEO d'Havas Media France, en présentant l'étude menée par l'agence média, en collaboration avec le CSA. Il y a six mois, quand nous interrogions les français sur la 4G, nous étions bien loin de ces résultats-là. Moi-même en lançant cette enquête, je pensais que l'Internet des objets était réservé à des geeks.» Quand on demande aux Français quels objets sont déjà commercialisés, ils citent en premier, à 71 %, «la montre connectée» (annoncée par certains fabricants via des spots TV), puis la voiture connectée (62%). Autrement dit, ils sont en avance sur la commercialisation réelle de ces objets. «La voiture suscite un réel engouement puisqu'on la retrouve en première position du classement (61%) des objets selon l'intérêt suscité, la montre (49%) arrive en second suivie du réfrigérateur (48%), ajoute le dirigeant. En termes d'intentions d'achat, la montre arrive en tête (31% d'intention), suivie par la voiture (27%) et le bracelet (27%).»

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