Ressources humaines
Covid ou pas, le turnover reste une problématique pour les ressources humaines. Entre position de repli et recherche d'un job avec plus de sens, les salariés sont parfois tiraillés.

Les éditions Tissot en donnent une vision limpide. « Turnover : départ et entrée du personnel (…). Un faible turnover traduira une situation sociale saine alors que le contraire traduira un malaise social à résoudre ». Une définition courte, avec des expériences (et des statistiques) très variables sur le terrain, d’un secteur à l’autre, d’une entreprise à une autre. C’est vrai par temps clément, ça l’est aussi depuis le printemps dernier. « Sous covid », le turnover marche par à-coups, alternant crispation pendant le confinement et reprise en pointillé, comme depuis la rentrée. Un « stop and go » qui n'est pas perçu chez Vivendi comme un problème « tant que l’on garde nos talents et qu'il y a apport d’énergies nouvelles », comme l'explique Mathieu Peyceré, directeur des ressources humaines du groupe qui compte 44 000 salariés. Hugo Perrier, DRH chez Cheerz, spécialiste de l’impression photos, revendique lui une approche pleine de sérénité : « Ce n’est pas un caillou dans la chaussure d’un RH, mais plutôt un point de vigilance. »

Si le turnover fait du yoyo, c'est d'abord parce que le confinement a été propice à bien des remises en question. « Pendant la crise du covid, 70% des salariés ont consulté les annonces, 38% se sont même dits ouverts à des opportunités, analyse Véronique Sitbon, coach de patrons du CAC 40. Ils les voient... mais ne prennent pas le risque de bouger. Je plains les chasseurs de tête actuellement» Les exemples sont nombreux pour corroborer ce constat. Arnaud Bosom, directeur général adjoint en charge des RH et de la RSE du groupe TF1, s’attend à un recul de deux points de son turnover, pour s’établir en 2020 autour de 8%. « La crise a figé les choses, peu importe l’âge du collaborateur, note-t-il. Un arrêt sur image s’est produit dans les différentes entités du groupe [3 400 salariés] ».

La contraction est plus marquée encore chez EasyRecrue, acteur dans le secteur des solutions d’entretien vidéo différé –traditionnellement plus sujet à la mobilité. De 23%, le taux est passé à 9%. « Je ne vais pas dire que je suis contente de la situation générale, explique Amandine Reitz, la DRH, mais l’intérêt est de pouvoir prendre plus le temps de capitaliser sur les salariés. Avec des formations, un partage des connaissances, par exemple. Une mission plus valorisante pour un DRH que de courir après les masques ou de s’occuper du fléchage au sol… Et hors contexte covid, quand on essaie de remplir une baignoire qui fuit, c’est compliqué. »

Chez Cheerz, aucune demande de mobilité n’a été reçue au premier trimestre. Mais la concentration s’est faite au troisième, avec un taux lissé à 15 %, identique à la même période en 2019. Avant ou après le covid, les profils techniques ou marketing restent recherchés. 

Des recruteurs plus accessibles en télétravail

Je travaille pour quelle entreprise ? Comment s’est-elle occupée de moi ? Comment a-t-elle réagi dans ce contexte si particulier ? Pour Arnaud Bosom, ce sont autant d’éléments qui entrent dans la réflexion des salariés aujourd’hui. Un turnover faible est-il pour autant perçu comme un signe de bonne gestion ? « La crise a été un formidable révélateur des bons et mauvais managers, explique-t-il. Aussi, je ne serai pas étonné de voir des changements à plusieurs niveaux. » Frédéric Balletti, directeur Expérience collaborateur chez KPAM, préfère parler de « grand moment de vérité. Les “t’es où” ou “tu fais quoi” dès que les collaborateurs n’étaient plus connectés sur Skype, par exemple, poussent certains à dire “plus jamais” » ! On vient pour l’entreprise, on la quitte à cause du chef. » Le joabboard Monster a enregistré 50 % de recherches en plus entre les mois de mai et d’août, et pas seulement émanant de candidats au chômage. La recherche de sens est exacerbée. Les leitmotivs de la génération Z restent d’actualité. Et point logistique non négligeable : en télétravail, avec la visioconférence, l’interaction avec les recruteurs est plus aisée aux heures de travail.

À pandémie inédite, réflexes originaux. Ainsi, une revendication nouvelle se fait jour dans le discours des candidats au changement d'entreprise : pas de période d’essai. Les directions ne sont pas tenues d’accepter dans la mesure où il s'agit là d'une protection pour les deux parties. Une décision d’un commun accord, avec un risque partagé. Professeur à l’EM Normandie, Jean Pralong pointe un autre phénomène nouveau : la dissociation entre la mobilité des cadres et la santé économique générale. « C'est l'idée que peu importe la conjoncture, les salariés arriveraient à tirer leur épingle du jeu. Une nouvelle pierre à l’édifice postmoderne. »

Pourquoi ne pas en profiter pour jouer la carte de la mobilité interne ? Ce serait un mal pour un bien. « Le business se réinvente avec la crise, constate Loic Michel, CEO de 365Talents, plateforme qui s’appuie sur l’intelligence artificielle dans la gestion des talents. À défaut de recruter, les repositionnements des entreprises passent par la mobilité interne. Aux candidats de miser sur le “turn inside” plus que sur le “turnover”.»

Trois questions à…

 

Pierre Lamblin, directeur du département études et recherches de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres)

 

« Quand le marché tousse, on reste au chaud »

 

 Quel est l’impact du covid sur le marché de l’emploi des cadres ?

 

On peut parler d’un effondrement du marché comme jamais observé jusque-là, avec −40 % de recrutements par rapport à 2019 sur la même période. Un véritable trou d’air. Au plus fort de la crise au printemps, le volume d’offres a même enregistré une baisse de −62 %. Pour autant, il faut savoir raison garder : la remontée de septembre est encourageante (−23%). Voilà pour le contexte.



Ces opportunités en moins sur le marché infléchissent-elles la mobilité des cadres ?

Conjoncture et mobilité sont liées. Les cadres sont très lucides. Quand le marché tousse, ils restent au chaud. Selon notre dernière étude, un cadre sur cinq se sent menacé par un licenciement. Malgré tout, 13 % comptent entreprendre des démarches au quatrième trimestre. Ils s’inscrivent dans une logique d’anticipation par rapport au risque de licenciement. Et cette proportion est plus forte encore chez les moins de 30 ans avec 18 %. C’est mécanique. Mais, entre les intentions et le passage à l’acte, il y a toujours un différentiel. Quand le marché est favorable, le turnover est de 10%. En cas de contraction, ce taux oscille entre 5% et 6%. En 2009 – première année post-crise Lehman Brothers –, on était sur ces chiffres-là. Il a fallu entre sept à dix ans pour en sortir, selon les régions.



Aucune perspective positive n’est donc envisageable à court terme ?

Dans ce tableau, tout n’est pas tout noir. En septembre, une amélioration est perceptible. Et aussi, 37 000 à 47 000 recrutements de cadres devraient être réalisés au 4ème trimestre. Des entreprises recrutent. Parfois, certaines peinent d’ailleurs à le faire. Le noyau dur des profils recherchés ? De jeunes cadres, dotés d’un à dix ans d’expérience.

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