Management
Avec le Covid-19, le télétravail s’est imposé comme une modalité incontournable. Mais, le bureau semble faire de la résistance. Quand le monde de demain s’inspire du monde d’avant pour se réinventer.

Caméra café will be back. La série à succès des années 2000 va faire son grand retour sur le petit écran, à compter de septembre 2021. Bruno Solo et Yvan Le Bolloc'h travaillent à l’écriture de nouveaux épisodes. Il y a fort à parier que de belles audiences devraient être au rendez-vous… tant les salariés français semblent encore attachés à la machine à café. Le bureau n'est pas mort. C’est ce qui ressort du 7e baromètre Paris WorkPlace [PWP], réalisé avant et après le premier confinement, avec le concours de l’Ifop/SFL. « Le bureau reste le lieu principal de travail, commente Aude Grant, directrice générale adjointe de SFL. 63 % des salariés souhaitent travailler la majorité de leur temps au bureau (au moins trois jours par semaine). À défaut, les équipes manquent de souffle. Seuls 8 % des salariés voudraient dans l’idéal travailler exclusivement à distance. »

Le télétravail pour les autres

On reste dans les mêmes proportions pour les cadres, selon le focus réalisé par le cabinet Robert Walters : « 62% affirment vouloir garder un rythme d'environ un jour par semaine de home office à l'avenir. Bien loin du 100 % télétravail recommandé par le contexte sanitaire ». Bien loin aussi du modèle qui semblait pourtant plébiscité après mars 2020. Il est vrai que nombreux sont celles et ceux qui en ont assez de jouer les Shiva en ayant des bras pour leur clavier et, après l'école, oour leurs enfants. Autre statistique qui atteste de l’évolution du regard porté sur le télétravail, issu du baromètre PWP : « 76% des salariés pronostiquent que "dans peu de temps les salariés travailleront davantage en télétravail qu’au bureau"... mais ils ne sont que 37 % à le vouloir pour eux-mêmes ». Le télétravail, c’est bien mais… pour les autres ! Pour Aude Grant, « l’heure de vérité est venue pour le bureau ». La parole se libère.

Ces chiffres se vérifient sur le terrain. « Ça me gave d’être à distance ». Un discours que Richard Strul, PDG de Resoneo, agence conseil en stratégie et marketing pour l’e-business, avec pas loin de 100 salariés à la clé, a entendu maintes et maintes fois ces derniers jours. Un constat qui ne surprend en rien non plus Jérémy Clédat, fondateur de la plateforme de recrutement et de création de contenu Welcome to the Jungle : « Je le ressens moi-même. Aussi, suis-je toujours étonné de voir ces entreprises sans bureau. Une démarche qui n’est pas motivée par les bonnes raisons. Dans pareil cas, la logique économique l’emporte, avec un loyer qui constitue le deuxième poste de coûts de l’entreprise. Mais, c’est au détriment de l’expérience collaborateur. La question du moment demeure la santé mentale de nos équipes. Elles sont extrêmement fatiguées ». Aussi, à contre-courant, Welcome to the jungle a choisi de doubler ses mètres carrés de bureau. Et Yves Benchimol, fondateur de WeWard, une start-up qui récompense en espèces, non pas sonnantes, mais digitales les salariés qui s’activent physiquement, reconnaît recevoir des demandes d’attestation de ses collaborateurs pour retourner au bureau. La réunion du vendredi matin chez Capifrance, réseau immobilier sans agence ? Une « bouffée d’oxygène » pour une salariée !

« Véritable objet de désir avant Covid, pour reprendre les termes utilisés par Marie-Vanessa Florentin, principal au sein du cabinet Robert Walters et en charge des recrutements RH, le télétravail est à prendre avec des pincettes. » Au printemps dernier, les vertus cardinales du bureau ont été zappées. À tort. D’après une étude signée conjointement par WeWork et le cabinet de recherche Brightspot Strategy, le retour au bureau booste le moral des troupes – un bond de  54% - par rapport à ceux qui travaillent à domicile. Avec même un gain de productivité à la clé de 7 points.

Frein à la créativité

Le grief revient comme une ritournelle : le télétravail serait un véritable frein à la créativité. Il la siphonnerait.  « En télétravail, les gens gagnent du temps sur les apparences, analyse encore Richard Strul. Mais ne pas avoir de protocole n’est pas sans conséquence. La créativité est souvent hors cadre. Le partage est propice à la création. Dans les échanges en bureau virtuel, ou à la machine à café, la qualité de la production des idées n’est pas la même. »

L'idée est donc de réinventer le bureau, en tout cas la façon d'y vivre. Ce virage a commencé à partir de 2013, avec le canapé rouge, les corbeilles de fruits... « La qualité de vie au travail a fait avancer le sujet d’un pas, commente Victor Carreau, cofondateur de Comet Meetings, start-up qui propose un nouveau modèle de tiers-lieux et qui a réussi à lever 30 millions d’euros en septembre 2020, mais des changements profonds sont à opérer. Avec une expérience bureau à développer. Ce sont les propriétaires qui d’ailleurs précipitent le sujet, comme le rapport de force a changé. » Depuis le printemps, la demande en prestations hôtelières au bureau a explosé. Plus de vingt dossiers sont en cours dans la start-up, contre trois début 2020. Avec un préalable indispensable pour Laurent Termignon, directeur de l’activité Talent & Rewards en France au sein de Gras Savoye Willis Towers Watson : l’écoute des salariés. En trois ans, 15 % des postes pourraient être délocalisés. Mais 85 % resteraient attachés au bureau. 

« Les collaborateurs doivent participer à leur déco »

Éric Angiboust, fondateur de Muzéo, spécialisée dans la reproduction d’œuvres d’art, avec un catalogue de 100 000 œuvres.



Quelle inflexion depuis le printemps dernier ?

Avec le Covid-19, le marché vit l'accélération d’une tendance. Le télétravail a pris une ampleur nouvelle, et les entreprises se remettent en question. Les collaborateurs ont besoin de rituels pour construire l’esprit d’équipe et fédérer autour d’éléments communs. Ils veulent un site qui donne envie de venir, qui traduise la culture d’entreprise. Ce qui change fondamentalement, c'est la recherche de la qualité. Jusque-là, la vision fonctionnelle prédominait. Mais le « top-down » ne fonctionne plus. Les collaborateurs ont besoin qu’on leur parle d’eux. D’être acteurs plutôt que spectateurs. 

Comment l’art s’invite-t-il dans cette conception ?

La collection du patron a vécu ! Les collaborateurs ont l’impérieuse nécessité de participer à la décoration de leur bureau. Et comment les aider pour leur repas à domicile ? Pour gérer leur voiture ? Les codes de l'« hospitality », autrement dit de l’univers hôtelier, s’imposent. Avec un parcours à proposer, une structure d’accueil à mettre en place.

Les dirigeants jouent-ils le jeu ?

Ils font des efforts pour illustrer leur culture d’entreprise d’une manière plus artistique, c'est-à dire autrement qu’en affichant leur logo : avec une scénographie à la clé. Cela a été le cas récemment avec L’Oréal. Une telle démarche rapproche de la galerie d’art. Que voulez-vous raconter ? Il faut sortir de l’esthétique pour l’esthétique. La dominante de rouge ou de jaune, tel n’est pas le sujet. On fait le lien entre l’univers sémantique et le contenu artistique. C’est une véritable vague de fond. Les start-up s’inscrivent dans cette mouvance. Un peu en retrait, les PME sont obligées d’y aller.

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