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Retraite, télétravail, formation, emploi... Arnaud Gilberton, cofondateur d'Idoko, et Bruno Mettling, président-fondateur de Topics, donnent leur vision des grandes réformes attendues cette année.

Pour l'un, Arnaud Gilberton, la question centrale sera celle de l’emploi et de l’engagement. Pour l’autre, Bruno Mettling, ce sera plutôt la formation et la prise en compte des seniors. Cinq questions passées au crible.

- La réforme des retraites et la question des seniors. 

C'est la réforme attendue à compter du 10 Janvier, avec des scénarios de départ à 64 ans, pour une durée de cotisation à taux plein passant de 42 à 43 ans à partir de 2027, ou un âge plafond de 67 ans. Mais pour Bruno Mettling, la réussite de cette réforme dépend des politiques seniors qui l'accompagnent, sachant qu'un actif sur deux est en activité à l'âge de la retraite. Le taux d'emploi des 60-64 ans est même de 35,5% aujourd'hui. Il s'agit de lui faire gagner six points en 2030 (à 41,5%). Sauf à assumer un « jeu de bonneteau » consistant à déplacer les coûts publics car il faudra alors payer l'assurance chômage des plus âgés, l'Etat se doit d'accompagner au mieux les seniors dans la perspective d'une employabilité prolongée. Il réduit, par la même occasion, la durée d'indemnisation en cas de chômage, passant de 36 à 27 mois à partir de 55 ans.

Pour Bruno Mettling, l'inemploi des plus de 55 ans n'est « pas une fatalité », à condition de reposer à 40-45 ans la question de l'adaptation des compétences. Et de sortir des retraites-couperets : on peut gérer la fin de l'activité de façon progressive avec des temps partiels « seniors » volontaires (payé 75% pour un mi- temps de travail cotisant à 100% pour la retraite) comme l'a fait Orange [dont il était le DRH] à partir de 58 ans.

Quid du mentorat ? Pour Arnaud Gilberton, il fonctionne, mais il est délicat dans le digital. Au delà, c'est toute une approche culturelle qu'il faut revoir. « On parle peu des discriminations liées à l’âge. Il y a un vrai enjeu à intégrer les plus de 50 ans, observe-t-il. Il devrait y avoir des indicateurs sur la diversité générationnelle comme il y en a sur la diversité femme / homme. Les stéréotypes sont encore très présents ». Le gouvernement d'Elisabeth Borne prévoit justement un index seniors pour les entreprises de plus de 300 salariés dès 2024. Quid des plus petites ? La difficulté portera moins sur les salariés ayant de l'ancienneté que sur les carrières hachées, où il s'agit de retrouver du travail après une interruption ou une reconversion.

- La réforme de l’assurance chômage et ses effets sur l’emploi.

Bruno Mettling juge que le raccourcissement de la période d'indemnisation est « normal » pour inciter à travailler, et compte tenu de la situation de l'emploi et des finances publiques, mais il ne faut pas en faire « l'alpha et l'omega » permettant de traiter les centaines de milliers d'emplois non pourvus. « Il reste à l'accompagner de négociations sur les conditions de travail », estime-t-il, et à réajuster les compétences. Même en cas de récession, il voit des entreprises plus attentives à leur « capital humain », en raison du « prix de la reconstitution de la ressource » au retour de la croissance.

« À part pour quelques secteurs en crise, je ne vois pas de plans sociaux énormes, mais des entreprises qui optimisent leur masse salariale, en ne renouvelant pas des postes et en proposant des départs volontaires », confirme Arnaud Gilberton. Face au besoin de réduire encore les coûts, le risque est toutefois de tailler dans le muscle. Et dans le digital, la banque ou le BTP, on peine à recruter sur des métiers en tension, alors que les marges financières ne permettent pas toujours de proposer des salaires très attractifs. Le danger ? « Le quiet quitting, qui consiste à rester sur son poste tout en étant désengagé, concerne les cadres depuis le covid, note-t-il. La réforme ne va pas inciter à partir… Une assurance chômage protectrice encourage les départs négociés. »

- Le nouveau compte personnel de formation.

« Le CPF, quel impact en termes d’emploi et de sécurisation des trajectoires ? » interroge Arnaud Gilberton, pour qui l’on manque d’études claires sur l’efficacité de cet outil trop souvent utilisé pour des cours d’anglais. La réforme en cours, qui vise à laisser un reste à charge aux salariés sauf en cas d’accord avec l’employeur, se justifie selon lui car il s’agit d’être mieux guidé dans la jungle des formations afin de favoriser sa mobilité, voire sa reconversion. « Ce n’est pas en allant dans l’appli CPF qu’on peut le faire, on y choisit une formation qui paraît intéressante, agréable et sympathique mais il y a aussi un enjeu d’accompagnement comme l’a fait AG2R La Mondiale, constate-t-il. Il faut mettre en avant de vrais cursus favorisant les évolutions professionnelles. Peu d’entreprises ont fait preuve de pédagogie par rapport au CPF. »

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Bruno Mettling, chez Topics, trouve que c’est un outil utile mais qui n’est pas au cœur de la transformation. « On dépense beaucoup de milliards et on n’est pas assez attentif à l’enjeu de l’adaptation des compétences », dit-il. La fin de la gratuité pour le salarié risque selon lui d’écarter les plus fragiles sur les formations de base comme la bureautique ou le permis de conduire. « Mais, au-delà du CPF, notre dispositif de formation continue exclut toute une frange de l’emploi qualifié. » Et de citer l’exemple d’informaticiens qu’il faut amener sur le cloud ou la cybersécurité : « Pour le niveau licence ou plus en formation continue, une entreprise ne peut pas avoir un euro d’argent public. C’est l’inverse de ce que fait l’Allemagne ! »

- Le télétravail.

Il a été vu comme une contrainte par certaines entreprises qui cherchent à revenir dessus. « La présence au bureau est un marqueur d’engagement dans la tête des dirigeants - pas forcément des DRH - mais on restera sans doute sur deux jours de télétravail par semaine… », augure Arnaud Gilberton. Les jeunes isolés et loin de leur famille en souffrent. Mais les cadres l’apprécient. « Stress, pression, charge de travail, et les entreprises ont peu de choses à mettre en face en termes de rétribution, note-t-il. La flexibilité et une plus grande liberté dans les horaires en font partie. Mais le télétravail ne doit pas être la solution ».

Bruno Mettling observe, au delà, que le rééquilibrage vie pro-vie perso est une forte attente des jeunes, depuis le covid. « Cela invite la fonction RH à revisiter son mode de fonctionnement pour répondre à cet enjeu », prévient-il. D'autant que cette nouvelle relation rend plus délicate l'onboarding des nouvelles générations, du fait d'une distanciation des apprentissages et d'une hyper-connectivité. Mal accompagnés, ils peuvent être victimes de burn out ou tentés par le quite quitting. « Attention, cette prise de distance se généralise, alerte-t-il. La fonction RH doit assumer un mode de relation moins affectif, plus froid, plus transactionnel et il lui faut prendre en compte la diversité de situations et des métiers ».

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- Les augmentations de la rémunération.

Face à l’inflation et la baisse de pouvoir d’achat, « on va vers une situation sociale compliquée », estime Arnaud Gilberton, dans les négociations salariales. Le soutien aux plus précaires s’impose, par solidarité. Mais sur les profils les plus recherchés, il faudra aussi faire un effort de revalorisation, même si cela crée des difficultés statutaires. Les primes d’intéressement, de participation ou « Macron », vont saluer une performance mais elle ne suffiront pas à sauver le dialogue social. « On va voir comment les syndicats vont se positionner, la prime est à nouveau un facteur d’incertitude, sauf si on fait beaucoup de pédagogie ». Pour augmenter les salaires, certains dirigeants misent aussi sur le downsizing [réduction des effectifs]...

Pour Bruno Mettling, l'inflation est l'occasion de réanimer les politiques de rémunération, très uniformes jusque-là autour de la performance. Il faut à la fois reconnaître l'emploi compte tenu du pouvoir d'achat, saluer la performance mais aussi accompagner la transformation des qualifications des compétences. « Ce serait aussi dommage de ne pas mettre en place l'actionnariat salarié, ajoute-t-il, pour aligner les intérêts sur la création de valeur. » Il juge astucieux la prime Macron face à l'inflation. « Mais attention au premier niveau de management : il ne faut pas avoir des réponses trop concentrées sur les premiers niveaux de salaire si l'on veut qu'il s'engage. »

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