Management
Par temps de pandémie, les salariés et leurs entreprises redoublent d'efforts pour s'engager. De la défense de l'environnement au mécénat de compétences, tour d'horizon de bonnes pratiques.

Le crédo d'Isabelle Poitou, docteure ès sciences ? Les déchets plastiques ou solides en mer, visibles à l’œil nu, et leur impact sur l’environnement. Son association, MerTerre, mobilise régulièrement des entreprises ou des collectivités sur les plages de Marseille et alentours. Pour elle, l’engagement des salariés - à ses côtés - demeure d’actualité. Neuf cents étaient présents en octobre dernier pour l’opération baptisée Calanques propres. Quatre cents – parfois les mêmes - pour Provence propre, à Hyères le 16 janvier. « La santé de la nature est en jeu, explique-t-elle. Avoir délaissé l’écologie et empiété sur des terres sauvages a conduit à cette crise. Aussi, je perçois l’angoisse de ces participants. Et cette urgence à agir concrètement. »

Club fermé

L'engagement, un mot covido-compatible ? « T’es bien gentil, on en reparlera après la crise ! » Thomas Bannelier, head of social media chez Welcome to the Jungle, a redouté d'entendre pareils propos, en interne. Et de voir s’enclencher la marche-arrière. « J’ai vu l’inverse, se réjouit-il. Avec plus d’heures investies sur la parité, l’inclusion ou bien encore l’environnement. Dans la réalisation de films – gracieusement - pour présenter des associations - une vingtaine au total. Et finalement l’obtention du label américain B Corp (pour benefit corporation) après plus de 50 jours d’investissement. » B Corp ? Le Saint-Graal qui atteste, après un filtre de plus de 200 questions, de l’engagement sociétal de l’entreprise. Danone l’a décroché. Un club assez fermé : en France, seules 120 l’ont obtenu.

« Je ne suis pas médecin, comment puis-je me rendre utile ? » Une question que Stéphanie Osmont, directrice de l’innovation sociale et environnementale à La Poste a entendue régulièrement. Simplement grâce au bouche-à-oreille, 1 200 heures ont été dégagées, en quelques semaines, pour accompagner des associations labellisées. Les premiers pas du mécénat de compétences, lancé précisément au cœur de la crise du Covid. Chez EY, l’un des Big Four de l’audit en France, la mobilisation des salariés a été multipliée par deux sur la période. Vingt-huit mille heures ont été mises à disposition (pour le secteur de la culture, avec l’académie du ténor Philippe Jaroussky, le centre de musique baroque, en matière d’insertion professionnelle des jeunes, le savoir-faire manuel…). Spécialisée dans les énergies renouvelables, Valorem a fait une croix sur les dividendes des actionnaires et maintenu la pression pour voir appliquée sa clause d’insertion...

Directeur du développement, au sein de l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), Léo Gaudin le confirme : « Le Covid n’a pas cassé l’engagement des salariés. Il reste dans une dynamique positive. Plus que jamais, les entreprises ont multiplié les actions. Parallèlement, les associations ont fait connaitre leurs besoins. Sans conteste, elles ont professionnalisé leurs appels aux volontaires. Et, avec un emploi du temps allégé, des missions mises en pause, nombre de salariés ont pu répondre et s’engager ». Avec les journées solidaires, l’arrondi sur salaire, le mécénat de compétences est l’une des traductions possibles de cette implication. Et pourquoi pas demain un don d’expertise d’un jour par an ? C’est en tout cas le vœu formulé en ce début d’année par Jean-Michel Pasquier, CEO de Koeo, cabinet conseil dédié – un Meetic social, intermédiaire entre des entreprises et des associations.

Le sillon des PME

« L’entreprise aujourd’hui doit intégrer dans son logiciel des questions qui se posent à la société tout entière, explique Lionel Prud'homme, directeur de l’IGS-RH, école des ressources humaines. D’ailleurs, la démarche en devient de plus en plus sophistiquée. » Quelle que soit la taille. Un exemple, avec Easyblue, start-up de 18 salariés, spécialisée dans l’assurance des TPE et PME. 25 % du chiffre d’affaires de décembre ont été offerts à la fondation Entreprendre, qui vient en soutien à des entreprises en difficultés. « Pendant longtemps, les fondations apparaissaient comme l’apanage des grands groupes, commente François-Xavier Combe, le fondateur, avec des enjeux fiscaux à la clé. Mais, on ne peut attendre d’avoir atteint tel niveau de chiffre d’affaires ou bien encore tel niveau de marge pour se lancer. Agir quand les autres ont besoin. Tout n’est pas qu’argent ! L’écosystème des start-up est jeune. Ce qui se passe en leur sein va se diffuser, avec l’économie du don. »

D’après l’Admical, 54 % des grandes entreprises mécènes pratiquent le mécénat de compétences. 22 % pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 18 % pour les PME. Des taux similaires entre l’Île-de-France et les régions. Et Luc Wise, fondateur de l’agence de publicité The Good Company, de résumer : « si les préoccupations sur leur avenir ou bien encore sur le pouvoir d’achat, côté salariés, sont palpables, le cheminement ne se fait pas au détriment de la quête de sens. Se recentrer ne veut pas dire se replier. »

Opération gagnant-gagnant

L’altruisme n’est pas le seul moteur des entreprises. « Si elles ne répondent pas aux exigences exprimées par les salariés, analyse encore Lionel Prud'homme, les conditions de l’engagement de leurs collaborateurs vont se dégrader. » Pour Eric Fourel, président d’EY France, l'enjeu est aussi corporate : « On retrouve une contrepartie positive sur la réputation de notre cabinet. C’est aussi une question d’attractivité [1500 collaborateurs seront recrutés en 2021]. Mais, je ne veux pas en faire un cadre normatif. Le collaborateur qui ne s’engagerait pas serait alors mal perçu. L’acte d’engagement doit être libre. »

Entretien

« Notre richesse ne passe pas par la vente »

Jean-François Noubel, essayiste et spécialiste de l’économie du don.



Vous vous définissez comme un « building holo sapiens ». Le don est-il compatible avec le marché ?

L’économie de marché représente un épiphénomène de l’économie du don. Comment fonctionne l’économie de marché ? Obtenir le plus de vous contre le moins possible de moi. Mais, quand nous nous trouvons en petit comité, nous fonctionnons sans avoir nécessairement cette contrepartie. Il y a toujours un moment où l’acte de don se produit. Pouvons-nous construire alors une économie du don à grande échelle ? Beaucoup voient l’entreprise comme un monde cruel. Mais, en réalité, elle ne peut tourner sans le don, sans intelligence émotionnelle… sauf à verser dans le schéma de France Télécom. Créer une société demande tellement d’abnégation. La culture de la générosité n’est pas assez mise en avant. La crise économique nous pousse à nous rendre compte que ce qui constitue notre richesse ne passe pas par la vente.



Quel rôle peut jouer le management dans le déploiement de cette économie du don ?

Ce mouvement évolutionnaire ne va pas venir des structures institutionnelles qui ont un cahier des charges pour faire fonctionner l’entreprise sur le modèle actuel. L’économie ultra libérale s’effrite de partout. La nouvelle économie doit intégrer davantage les dimensions humaines et de générosité. Un discours que les dirigeants d’entreprises sont prêts à entendre. Je donne régulièrement des conférences... gracieusement.

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