Ressources humaines
Si la parole s’est libérée sur la place du handicap dans l’entreprise, les efforts à fournir demeurent importants pour couvrir la diversité des situations et permettre l’inclusion de tous. Surtout dans le secteur de la communication et de la publicité, encore à la traîne.

« La capacité à appréhender le handicap dans l’entreprise est bien meilleure au bout de trente ans ». Les propos d’Hugues Defoy, directeur chargé de la mobilisation du monde économique et social de l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) sont résolument optimistes. Pourtant, à y regarder de plus près, le seuil de 6 % d’emploi de personnes en situation de handicap, fixé par la loi de 1987, est loin d’être atteint : 3,5 % dans le privé versus environ 5 % pour le public – ainsi Radio France est à 5,61 % en 2019. Dans ce panorama, les agences de communication et de publicité font plutôt office de mauvais élèves. Ainsi, le taux d’emploi direct (équivalent temps plein) est de 1,5 %, avec seules 81 entreprises qui ont franchi le plancher des 6 %. À titre d’exemple : Publicis France tourne à 3,5 %. Médias et régies publicitaires affichent 1,57 % ; l’événementiel, 1,97 %. L’image sur papier glacé du secteur ne fait pas toujours bon ménage avec le handicap.
« Tous des handicapés »
« On partait d’une feuille blanche, retrace Lucie Liborio, chargée mission handicap depuis un peu plus de deux ans, au sein de la DRH de France Médias Monde (France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya), même s’il y avait des initiatives de collaborateurs parce que sensibilisés dans leurs parcours personnels. » Un salarié sur deux est ou sera concerné par le sujet dans sa vie. Asthme, diabète, handicap physique – avec fauteuil roulant ou non - mais aussi psychique, cancer... le spectre est large. « On est tous des handicapés, note Christian Coquart, responsable diversité et mission handicap à l'agence de publicité Dentsu Aegis Network France, et par ailleurs membre de la commission RSE de l’AACC. On a tous nos casseroles, visibles ou pas - 80 % des handicaps sont d’ailleurs invisibles, et seulement 15 % de naissanceMais, aller vers ce qui est différent reste compliqué, ce qui nous ressemble rassure. » Le secteur se mobilise pour atteindre le « saint graal » des 6 %, pour reprendre l’expression de Deza Nguembock, ex-directrice de l’agence E&H Lab, experte du sujet. Une initiative récente : le 18 mars 2021, Publicis a lancé la charte d’engagement pour la diversité dans la communication. Et pas de copyright à la clé. Elle peut être copiée ou bien encore source d’inspiration.
L'alternance comme levier
« Les candidats font défaut, souligne Karin Jouanno, directrice associée de Keley consulting, cabinet de conseil en stratégie digitale. On va chercher des hautes qualifications. La prise en charge de ces élèves est mauvaise. » Même constat chez TF1 : 200 métiers, 80 % de cadres. « Notre niveau de recrutement est compris entre bac+3 et bac+5, souligne Cécile Monthiers-Mazodier, directrice du développement des talents à TF1. Or seuls 24 % des personnes en situation de handicap ont un diplôme supérieur au bac. Il y a une vraie carence. » Lsujet agace Hugues Defoy. « Si on reste au stade du simple constat, rien ne se passera. Aux entreprises d’ouvrir leurs chakras. L’alternance constitue l’un des leviers.» France Médias Monde en a fait l’un des axes de sa politique, avec  quatre contrats signés en 2020. La démarche a d’ailleurs été saluée, fin mars, par l’Agefiph. En 2020, les entrées en contrat d’apprentissage progressent de 5% sur tout le territoire, passant de 2 401 à 2 515. Alors, l’âge plafond saute en matière d’alternance, une opportunité pour faire monter en compétences. « Avoir un bac+5 n’est pas une obligation pour avoir du potentiel, note Laure Demain-Martinet, en charge de l’inclusion chez Publicis, c’est un travers de nos métiers d’aller chercher toujours dans les mêmes écoles. »
Au Celsa, cette année, quinze étudiants sont en situation de handicap, contre quatre ou cinq il y a quelques années. « Les médias cherchent beaucoup ces jeunes, commente Patricia Maghili, responsable vie étudiante et scolarité, référent handicap, mais pas forcément pour des emplois à l’antenne. »
Libérer la déclaration
« C’est un engagement collectif, résume Lucie Liborio, d’où la formation des managers de proximité. Parler de son handicap peut biaiser la lecture d’un CV. Cette mention peut générer de la peur. À quel moment l’aborder ? Parfois, c’est à double tranchant. Est-ce qu’il va tenir le poste ? On n’est pas tous égaux dans la manière de recevoir ces informations. Et par ailleurs, les candidats – eux - ne se sentent pas toujours légitimes à en parler, pas toujours prêts. À nous de les encourager. » Là encore, les managers doivent en effet être à la manœuvre. Et Christian Coquart de détailler : « vous briefez différemment, une tâche par une tâche pour un salarié touché par des troubles cognitifs, par exemple. Le port d’une prothèse demandera peut-être un peu plus de temps pour aller à l’imprimante. Au final, l’apport à l’entreprise est bien supérieur au coût. La technologie n’est pas le problème, mais bien l’humain. » La clé du succès : plus d’attention individuelle ou de bienveillance, missions plus courtes. Et ça marche. Pour preuve, l’agence conseil en com événementielle Inspirience, créée il y a huit ans avec le statut d’entreprise adaptée [EA]. 60 % des effectifs sont des personnes en situation de handicap. « Un fauteuil ne fait pas du salarié un graphiste plus lent, rappelle la directrice des opérations, Morgane Etienne. L’EA n’est pas un “truc” au rabais. Cela ne change rien au travail délivré, mais au mien, si. Même si les agences n’en font pas encore un élément de leur marque employeur, nous sommes dans le sens de l’histoire. »


Trois questions à David Mahé, fondateur de Human & Work, président de la commission métier conseil en stratégie & management de Syntec Conseil
Le management s’empare-t-il du sujet du handicap ?
Le handicap a été jusque-là une affaire de quotas. Les entreprises ont assez peu investi dans des collaborateurs en situation de handicap, préférant payer leurs contributions à l’Agefiph plutôt que d’aider. Mais, gérer des volumes et produire de l’inclusion n’ont rien à voir. Heureusement, l’époque change. Il en va des engagements et des responsabilités des entreprises. Et le handicap est un levier très fort d’inclusion. Le principal enjeu : développer des pratiques managériales qui leur permettent de faire carrière.
Le tabou est donc tombé ?
Pas avec celui du handicap psychique. Trop peu de salariés osent encore se déclarer comme tels. Entreprises et salariés préfèrent alors négocier des congés individuels ou un départ plutôt que de vivre avec ce handicap. C’est le prochain combat.
Concrètement, que doit faire le manager ?
L’entreprise doit se donner la peine d’inclure. Autrement dit de travailler avec. Le collaborateur handicapé doit interagir avec tous les autres salariés. On a tendance à le cantonner à certains métiers réservés. Travailler l’inclusion au sein des équipes est une étape essentielle. À défaut, le manager se prive d’une richesse exceptionnelle.

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