Ressources humaines
Ce temps de pandémie est aussi celui de l’introspection. Et, quand les questions professionnello-existentielles se multiplient, le bilan de compétences peut être un outil intéressant. Presque pour tous.

À 40 ans, il a été tour à tour journaliste, dans la communication, dans la marque employeur. Il a fait une incursion prolongée dans la publicité. Hâbleur, grand commentateur de l’actu aussi… mais, il ne sait plus quel chemin emprunter. Sous le soleil de Corse, son projet a muri : en cette rentrée, il se lance dans un bilan de compétences. Apparemment, Nicolas n’est pas le seul. « Sur le site MaFormation.fr, la requête “bilan de compétences” a bondi de 88 % chez les cadres depuis le début du confinement, explique Jérémy Plasseraud, directeur commercial de la Edtech HelloWork. Et dans la population au chômage, la progression était de 86% dès le deuxième trimestre 2020. Le bilan de compétences constitue souvent une première étape pour qui veut changer de parcours. » 

Community manager, Lou fait partie d’une communauté dans le digital. « Quelqu’un a déjà fait un bilan de compétences ? » À sa question lancée en ligne, en février 2021, le « oui » a été massif. « C’est un peu comme si t’avais raté ta vie, pour plagier Jacques Séguéla, si tu n’en avais pas fait un, à un peu plus de 40 ans, s’amuse-t-elle. En tout cas, cela interroge. Cela n’est pas fait uniquement pour les cadres qui se projettent menuisiers, par exemple ! »

Pareille explosion n’a pas échappé à l’œil averti de Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines à l’École de management (EM) de Normandie, titulaire de la chaire « compétences, employabilité et décision RH ». « Un gros sujet actuellement, commente-t-il, avec le passage du B to B vers du B to C. Sans que l’on s’en rende compte, avec le compte personnel de formation (CPF), introduit par la loi du 5 septembre 2018, le salarié s’autonomise. Une part de la réflexion se joue dans une espèce d’arrière-cour qui échappe totalement à l’entreprise. Avant, c’était perçu comme un outil de l’entreprise au service d’elle-même. De plus en plus, le salarié prend en charge son parcours. Et cela devient une question individuelle. » D'où la nécessité de se coordonner.

Nommée il y a peu DRH de GroupM et People Lead de WPP France, Louise Mertzeisen ne voit pas progresser les demandes de bilan de compétences en interne. « On sent que nos collaborateurs s’interrogent, commente-t-elle, mais cela ne se traduit pas comme cela. Peut-être est-ce dû à la jeunesse de nos équipes ? Pourtant, autrefois réservées aux top dirigeants, les approches de développement ou d’accompagnement individuel se sont démocratisées et s’adressent dorénavant à tous, quels que soient le niveau dans la hiérarchie et l’expérience. Les entreprises ont pas mal évolué sur le sujet. Cela n’est pas perçu comme une trahison. On encourage même à exprimer le souhait d’en faire un. Charge à nous de voir comment les accompagner. »

Cofondateur de Rise Up, plate-forme digitale de création et de gestion de la formation, Arnaud Blachon voit les chiffres s’envoler : +120 % de croissance en 2020. Et on peut tabler sur +105 à 110% en 2021. « La relation entre compétences et performance est établie par les DRH, souligne-t-il. Les entreprises utilisent le bilan comme un audit des forces en présence. Et cela vaut dans tous les secteurs d’activité : industrie, conseil, retail… »

Une offre plus lisible

Une question individuelle donc, qui en génère beaucoup d’autres, et pas uniquement pour le salarié. « Comment me décririez-vous sur le plan relationnel ? D’après vous, quelle est ma qualité principale qu’apprécient les autres ? Quels sont mes points d’amélioration ? Qu’est-ce que j’ai pu faire dernièrement qui m’a rendu heureux ? Avez-vous remarqué des doutes qui peuvent me freiner dans ma vie professionnelle ?.. » Autant d’interrogations bombardées à l’entourage – familial, amical, et dans la sphère pro – de Nicolas. C’est la technique du 360°. « Les réponses sont anonymisées, rapporte Lou. Après, d’ailleurs, on cherche à savoir qui a pu faire tel ou tel commentaire sur nous. L’exercice pousse à gratter un peu, à mener une introspection. Il touche à l’intime. Le bilan de compétences ne doit pas être considéré comme un médicament qui arrange tout. Les salariés qui frôlent le burn out ou fragilisés ne doivent pas se précipiter. Un certain degré de maturité et/ou de solidité est requis. »

Reste une question qui a pour le moins surpris Nicolas : « Combien vous avez ? » Il a black-listé le cabinet qui en a fait son premier souci. « Cet outil ne doit pas être dans les mains d’apprentis sorciers », résume Arnaud Lacan, professeur de management chez Kedge business school. « Le marché s’est assaini depuis cinq ans », rassure Jean Pralong. La mise en place de la qualification Qualiopi, à compter du 1er janvier 2022, avec pas moins de 30 critères à la clé, abonde en ce sens. Les entreprises qui voudront faire financer les formations – et les bilans de compétences – de leurs salariés devront choisir dans ce catalogue labellisé.

Nicolas a fait un chèque de 1 250 euros. Le coût pour Lou est quasiment le double. « Le prix moyen d’un bilan de compétences oscille entre 1 500 euros et 2 000 euros, sans avoir normalement à sortir la carte bleue, note Jérémy Plasseraud. Apparenté à une formation, il bénéficie du même circuit de financement, avec le Compte personnel de formation. Le service est assez homogène : au moins 10 heures d’entretien en face-à-face, une formule qui s’étend de trois semaines à trois mois. Aucun questionnaire à choix multiple (QCM). Finalement c’est assez peu digitalisable. »

Trois questions à…

 

« Aux RH de proposer un bilan de compétences »

 Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)

 

Le bilan de compétences, est-ce un sujet tabou dans l’entreprise ?

Pas du tout. C’est même au directeur des ressources humaines (DRH) d’en parler. Votre métier va évoluer ? Il n’est pas en croissance?  Il est de la responsabilité sociale de l’employeur de proposer un bilan de compétences aux collaborateurs pour aller vers le métier suivant, pour garder un emploi au sein de l’entreprise. Distinguer l’emploi du salarié est nécessaire. La réforme de la formation va dans ce sens, en établissant une double responsabilité : celle de l’employeur et celle de l’employé.

 

Est-ce difficile à dire pour l'employeur ?

Il faut arrêter de tomber dans une espèce de paranoïa. Le bilan de compétences peut tout à fait être à l’initiative de l’entreprise. C’est même au cœur du milieu des RH. Notre job est bien de développer des talents, pas de gérer les syndicats !

 

Comment  aider les salariés à se repérer dans la myriade d’officines ?

C’est vrai qu’il y a à boire et à manger dans ces nombreux organismes. Comme l’a fait la Macif, il peut être pertinent pour les RH – et de l’ordre de la performance même – de flécher un certain nombre de prestataires, avec un appel d’offres sélectif à la clé. Une autre facette du métier de RH. Aux entreprises de s’y intéresser. 

 

 

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