Stratégies Les 50
Entretien avec François Taddei, cofondateur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI). Soutenue par l’université de Paris, l’Inserm et la Fondation Bettencourt Schueller, cette association développe des programmes d’enseignement et de recherche, et s’active à relever le grand défi de l’apprentissage des organisations. Rencontre.

Nicolas Bordas : Que se cache-t-il derrière l’acronyme CRI ?

François Taddei : Avec Ariel Lindner, chercheur à l’Inserm comme moi, nous avons fondé le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) au sein de l’université de Paris en 2006 pour expérimenter et partager de nouvelles façons d’apprendre, d’enseigner, de faire de la recherche, en mobilisant l’intelligence collective. La raison d’être du CRI est de «co-créer une société apprenante pour relever les défis de notre temps». Nous développons de nouvelles approches d’apprentissage qui sont mises en application dans des projets innovants comme les «Savanturiers» pour les écoliers ou encore la «Mooc Factory» qui invente une nouvelle génération de cours à distance. Depuis sa création, le CRI a formé 300 docteurs, 1 500 étudiants, initié plus de 40 000 écoliers et touché plus de 120 000 apprenants via ses moocs, sans compter les 10 000 visiteurs du campus dans Le Marais à Paris. Le CRI vient d’être renommé Learning Planet Institute, un nom plus signifiant et compréhensible à l’international.

Pourquoi est-il si important de développer une culture de l’apprentissage ?

Pour un individu, apprendre à apprendre est la clé qui permet de s’adapter au changement. C’est aussi vrai pour une organisation. On apprend depuis toujours, certes, mais dans un monde qui change et pose des défis inédits, il nous faut intégrer une réflexion sur l’apprentissage. Dans le rapport «Vers une société apprenante» remis à Muriel Pénicaud, Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer en 2018, nous soulignons à quel point les organisations et les sociétés gagneraient à être plus apprenantes. Pour que naisse une véritable «culture de l’apprendre», nous avons créé en partenariat avec l’Unesco le #LearningPlanet Festival pour célébrer les apprentissages une fois par an, lors de la Journée internationale de l’éducation le 24 janvier.

Considérez-vous l’intelligence artificielle comme l’ami ou l’ennemi de la société apprenante ?

L’intelligence artificielle qui pilote les réseaux sociaux a montré qu’elle pouvait nourrir la bêtise collective mais ce n’est pas une fatalité. On peut aussi développer des intelligences artificielles qui peuvent nous aider à explorer le connu et l’inconnu. C’est ce que nous avons fait avec WeLearn, une intelligence artificielle qui a lu tout Wikipédia dans plusieurs langues et qui permet à chacun, dans un cadre personnel ou professionnel, de disposer d’un véritable « GPS de la connaissance » et d’identifier les personnes et les ressources qui peuvent l’aider à progresser.

Qu’est-ce que le Learning Planet Institute peut apporter aux individus et organisations ?

On est tous nés chercheurs : quand on est confronté à un défi dont personne ne connaît la solution au sein d’une communauté, il faut explorer les frontières de l’inconnu. Les chercheurs professionnels ont développé des méthodes éprouvées qu’ils peuvent mettre à disposition de tous, dès le plus jeune âge, comme nous l’avons fait dans le programme Savanturiers qui permet aux écoliers de passer d’un questionnement enfantin à un questionnement scientifique. Suite à ce programme «enfant chercheur», nous avons développé le programme «profs chercheurs», et nous travaillons actuellement sur les programmes «manager chercheur» et «professionnel chercheur».

Pourquoi avoir décidé de vous ouvrir aux entreprises ?

Nous nous sommes rendu compte que nos formations et outils, développés au départ pour la communauté éducative et pour des services publics et organisations philanthropiques, intéressaient les chefs d’entreprise que nous recevions et qui se heurtaient à la difficulté de rendre leur entreprise apprenante. Aujourd’hui, nous sommes sollicités pour notre savoir-faire et notre capacité à co-construire des « labs » des métiers et compétences de demain.

Que manque-t-il le plus aux entreprises aujourd’hui en matière d’apprentissage et de formation ?

Darwin disait que dans un monde qui change, ce n’est pas l’organisme le plus adapté mais le plus adaptable qui survit. En tant que biologiste de l’évolution, j’ai appris que si on évolue moins vite que son environnement, on devient obsolète. Le constat est que les formations traditionnelles verticales ne sont plus adaptées. L’agilité d’apprentissage est devenue fondamentale dans un monde où les techniques et les connaissances changent rapidement, ainsi que la capacité à mobiliser l’intelligence collective dans une démarche personnalisée, rendue possible par l’intelligence artificielle. Chacun doit pouvoir apprendre à sa manière, à son rythme en fonction de ses besoins et de ceux de l’entreprise.

Qu’est-ce que le Learning Planet Institute peut apporter concrètement aux entreprises ?

«Si, au moins, HP savait ce que HP sait, nous serions trois fois plus productifs», disait Lewis Platt, le patron de Hewlett-Packard. Notre ambition est de co-créer avec les entreprises, mais aussi avec leurs partenaires de formation, des programmes innovants qui démultiplient l’efficacité de la connaissance et la capacité d’apprentissage de chaque entreprise. Si notre intelligence artificielle WeLearn permet de cartographier la connaissance au plan individuel, elle permet aussi de cartographier l’ensemble de la connaissance d’une organisation ou d’une entreprise, et de lui donner accès aux connaissances qu’elle n’a pas encore, et aux manières de s’organiser pour les intégrer.

Vous publiez un nouveau livre fin janvier, quel en sera le thème ?

Dans mon précédent livre, Apprendre au XXIe siècle, j’expliquais comment les nouvelles manières d’apprendre permettent de relever les défis de notre temps. Dans mon prochain livre, Et si nous ?, qui sortira en janvier 2022, j’invite les lecteurs à réfléchir à ce que nous pourrions faire ensemble que nous ne pouvons faire seul. Au moment où les jeunes sont toujours plus angoissés face à l’avenir, et où les raisons d’être des entreprises doivent devenir des raisons d’agir, il est impératif de mobiliser l’intelligence collective pour assurer la durabilité de l’entreprise et aussi celle de la planète.

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