Ressources humaines
Avec les tensions rencontrées sur le marché de l’emploi, la politique des recruteurs semblerait s’infléchir. Et pourquoi pas un quinqua ? Sans pour autant parler de vague, les RH seraient de plus en plus nombreuses à s’interroger. Focus sur la tendance de demain

« Vous touchez là un point purement français, commente d’entrée de jeu Vincent Binetruy, directeur France du Top employers institute, organisme de certification international dans le domaine des pratiques RH. Si le marché de l’emploi des cadres se tend, avec un recul du chômage, cela cesse d’être vrai pour les seniors, avec un chômage deux fois plus élevé que pour les autres tranches d'âge, et dure 40 mois, contre 24 pour les plus jeunes. » La question porte sur les quinquagénaires, la réponse pointe les seniors. Y aurait-il un mélange des dizaines ? Un agglomérat de générations ? Quinquas = senior ? « Tout dépend de qui pose la question, décrypte Hervé Sauzay, fondateur de l’Institut français des seniors (IFS), et auteur d’un article sur le sujet dans le dernier numéro de Cahiers français, paru fin octobre. On est vieux de plus en plus tard physiologiquement mais de plus en plus tôt professionnellement. Pour les experts en marketing, la séniorité débute à 50 ans, avec des habitudes de consommation qui évoluent, en raison du départ des enfants, d’un budget fruit d’un héritage. Dans le monde professionnel, le point de départ est fixé à 50 ans aussi. Même dès 45 ans, on convoque les collaborateurs à un point carrière senior… » Voilà pour le point sémantique.

Difficulté à recruter

« La crise sanitaire peut constituer une réelle opportunité de voir les quinquas d'un autre oeil, note encore Hervé Sauzay, de mettre un terme à l’effet de l’application d’algorithmes lors de la sélection des curriculum vitae, sans aucune place faite à la nuance. Une honte sociale » Un optimisme partagé par Sophie Gaillet, fondatrice d’Intelligence Senior, agence conseil sur ce segment : « On est en train de traverser une époque où le collaborateur de 45 ans et plus, n’est plus perçu comme un centre de coût, dont il faut se débarrasser… Il y a une prise de conscience. »

Début octobre s’est tenue à Paris la 23e édition du salon des seniors, à laquelle Abdellah Nasri, CEO de Partner Conseils Assurances a participé pour la première fois. « On ne cherche pas à recruter que des seniors, précise-t-il, mais vu les difficultés de recrutement actuellement, on ne peut pas négliger cette piste. Notre objectif : recruter des collaborateurs qui adhèrent au projet. On s’adapte au marché. » Sur les 70 contacts réalisés, 20 vont donner lieu dans les jours à venir à des entretiens. Karl Rigal, directeur marketing de Stedy, société de conseil en technologies, pointe « le facteur rassurant pour la clientèle, cette capacité à identifier les points de friction, à driver un projet. »

Même constat positif à Blue Lions, agence de communication spécialisée sur les marchés africains. « Depuis quelques mois, des quinquas – ou pas loin, des 45-55 ans - ont rejoint notre équipe, explique Adrien Cusinberche, cofondateur. C’est une forme de repli sur des collaborateurs plus stables, avec un mode de travail dans lequel on se retrouve – et c’est un patron de 37 ans qui le dit. Ils partiront moins sur un coup de tête ! » Contrairement aux millennials ? L’heure de la revanche aurait-elle sonné ? « Avoir de la bouteille est utile, résume Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH (Association nationale des DRH). Finalement, l’expérience est une compétence. »

« Cette dynamique vaut pour des quinquas qui n’ont pas été détériorés par une période de vacuité trop longue, alors là ils ont toutes les cartes en main », souligne Régis Durand-Chauchat, partner à One Man Support, pool de consultants et managers indépendants. Aucune statistique ne vient étayer le propos pour l’heure. Ce n’est pas encore un réflexe, plus un effet d’aubaine lié à la conjoncture. Lionel Prud'homme, directeur de l'école IGS Human ressources management school, milite pour « un travail sur les représentations. Les quinquas seraient plus lents, moins adaptables… Quand on colle une caractéristique générale à une cohorte, c’est une bêtise. Or les attributs ont la vie longue... »

Knowledge management

De quoi en faire un atout en termes de marque employeur ? « De 74 %, les entreprises certifiées à avoir mis en place un programme spécifique pour les seniors tombent en trois ans à 57 %, détaille Vincent Binetruy. Un chiffre en recul, mais qui reste supérieur à la pratique européenne, avec un taux de 40 %. » Parmi les exemples à suivre : Framatome, entreprise du secteur nucléaire, a adopté le knowledge management, pour formaliser le savoir-faire avant le départ en retraite ; L'Oréal propose un accès à la formation pour les quinquas chez désirant passer le cap de la transition des métiers…

Et pourquoi pas un temps de travail aménagé, avec congé grand-parental ? Ou le reverse mentoring [mentorat inversé, des jeunes vers les seniors] ? « C’est aux grandes entreprises de montrer l’exemple, affirme Sophie Gaillet. C’est à elles d’y aller ! Après la transition écologique, numérique, il y a urgence à s’emparer de la transition démographique. » Mais la partie est loin d’être gagnée. « Même avec un mot d’ordre lancé par le top management, il perd de son efficacité si les strates sont nombreuses, déplore Valérie Gruau, fondatrice de Seniors à votre service. La théorie du ruissellement ne fonctionne pas. »

Trois questions à...

Augustin Valero, directeur associé de Florian Mantione Institut, réseau de consultants en ressources humaines, recrutement, formation…



« Les entreprises sont encore à l'âge de pierre pour les recrutements »



Quel regard porte le marché sur les quinquas ?

En cette rentrée, tout le monde râle sur le marché du travail. Aussi bataille-t-on pour que les entreprises voient dans les quinquas un atout. Mais les offres d’emploi restent toujours aussi limitatives, restrictives. Les entreprises subissent les recrutements.

 

Qu’entendez-vous par « subir les recrutements » ?

Elles ont un stéréotype de profil en tête. Les entreprises sont encore à l’âge de pierre pour les recrutements. Avec aucune prise de risque. Pas d’anticipation. La décision est prise tardivement, à la suite d'un départ, par exemple. Et, mécaniquement, les entreprises repartent sur le profil de celui qui a occupé le poste précédemment. C’est un remplacement à l’identique. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences concerne les grandes boîtes seulement. Qu’en est-il des petites et moyennes entreprises (PME) où il n’y a pas de direction des ressources humaines ? Pas de prévision !

 

Quelles politiques faudrait-il mettre en place alors ?

L’innovation doit être au cœur de la réflexion. L’entreprise ne peut pas payer un quinqua ? Alors, elle doit valoriser son futur collaborateur avec de la formation, en travaillant son projet de carrière, même à 45-50 voire 55 ans. Valoriser l’expérience.

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