Stratégies Les 50
Flexibilité, télétravail, présentiel… Les habitudes de travail ne cessent d’évoluer et de nouvelles pratiques se généralisent. Analyse du futur du travail, à l’échelle des entreprises, des professionnels et de la collectivité.

Impossible d’y échapper depuis quelques mois : vous connaissez forcément quelqu’un qui a décidé de quitter Paris pour s’installer ailleurs et travailler au moins en partie à distance. Les dîners en ville ne bruissent désormais que de conversations quant aux avantages de telle ou telle ligne de TGV et l’on s’échange des conseils pour mieux optimiser son temps, se concentrer dans les transports ou animer des équipes depuis sa maison de campagne ! Le travail hybride, mi-présentiel, mi-distanciel, semble être une idée neuve en France. Pourtant, je le pratique moi-même depuis presque 20 ans, tout comme des milliers d’autres professionnels. Cela m’a donné une large vision de son potentiel mais aussi de ses enjeux. Je souhaite ici mettre en perspective les conséquences comme les risques de cette révolution à l’horizon des 50 prochaines années, sur trois plans : les entreprises, les professionnels et la collectivité.

Entreprises sans frontières, opportunités sans limites. Contrairement à son faux-cousin le télétravail, le concept de «travail hybride» dépasse largement les questions d’organisation des entreprises. Son impact sera énorme d’un point de vue sociologique et économique. Tout d’abord, il permet de lutter contre l’endogamie : en déménageant ailleurs, on rencontre d’autres personnes issues d’autres milieux et travaillant pour d’autres industries. Un changement fondamental pour un secteur de la communication et des médias historiquement polarisé sur l’ouest de Paris. Ensuite, en abolissant progressivement les distances physiques et symboliques (la fin du parisianisme), le travail hybride va décloisonner le marché du travail jusqu’ici très lié aux métropoles, pour ne pas dire à LA métropole. Résultat : on pourra demain avoir étudié et habiter au fond des Pyrénées-Atlantiques et travailler pour une boîte sise à La Défense. De même, une entreprise installée à Clermont-Ferrand pourra débaucher des personnes vivant à Paris voire à Londres ! Le pool de talents s’élargit d’un coup.

Un terrain de jeu étendu à l’infini

En découle une troisième conséquence : désormais moins entravées par le manque de proximité avec les centres de pouvoir et les réservoirs de talents, les entreprises de province voient leur terrain de jeu s’étendre à l’infini. Les licornes de demain viendront de nos régions ! Cela a d’ailleurs déjà commencé, comme en témoigne l’énorme dernier tour de table de Swile, installée à Montpellier (200 millions de dollars en octobre). Mais pour que le travail hybride soit vraiment la norme dans 50 ans, il nous faut dès aujourd’hui être vigilants aussi bien individuellement que collectivement.

Pour les professionnels, distinguer flexibilité et liberté. Voici un message vital – littéralement – adressé à celles et ceux qui accélèrent aujourd’hui dans le travail hybride. Pour éviter que la lune de miel ne se termine en cauchemar, il faut intégrer que flexibilité n’est pas liberté, bien au contraire. La flexibilité rendue possible par les offres de transports et la technologie peut rapidement devenir aliénante. Il faut s’aménager des poches de liberté, des sas de décompression dès que possible. Instaurer des rituels pour se recentrer, ne pas ajouter du stress au stress du fait des contraintes de transports, observer pour mieux s’adapter.

J’ai appris au fil du temps que ces moments dits « de solitude du voyageur » pouvaient devenir des moments de partage. Les salons grands voyageurs ou salles d’embarquements sont de formidables endroits pour networker ; nous sommes nombreux à voyager, les visages se décrispent et les langues se délient par habitude et récurrence, parce que nous vivons la même chose. Les retards, problèmes techniques ou encore les grèves que nous subissons au gré de nos voyages se transforment en anecdotes, en fous rires. Ce sont finalement de vraies poches de liberté.

Développement des villes moyennes

Au niveau de la France, décentraliser pour ne pas délocaliser. Enfin, le travail hybride conduit naturellement au développement des villes moyennes. Cela se heurte à une culture française encore très centralisée. Il est ainsi fondamental d’accompagner ce mouvement et renforcer le pouvoir politique, économique et symbolique de ces nouvelles aires urbaines pour une raison simple : en décloisonnant le marché des talents, le travail hybride met en concurrence des profils issus du monde entier. Si une personne habitant à Royan peut désormais travailler pour une entreprise suédoise, une entreprise française pourrait très bien employer des personnes habitant en Pologne, hautement qualifiées mais moins chères. On voit l’importance de pôles urbains forts, notamment dotés d’une bonne offre éducative, pour éviter la délocalisation virtuelle des métiers à forte valeur ajoutée.

Dans 50 ans, le travail hybride ne portera plus ce nom : il sera devenu le travail, tout simplement. Si sa généralisation est inéluctable, ses effets à long terme, qu’ils soient positifs ou négatifs, dépendent de nos efforts individuels et de notre volonté collective. À nous de nourrir cette idée neuve pour en faire un outil de transformation de l’économie et de la société.

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