Stratégies Les 50
Dans le sillage de l’avènement de la RSE, la RCE, ou notion de responsabilité culturelle des entreprises, fait son chemin. Fondement de ce qui pourrait devenir un nouveau critère d’évaluation des organisations : leur capacité à soutenir l’écosystème culturel, attribut démocratique d’une société saine.

Clef probable du sacro-saint «vivre ensemble», la RCE ou Responsabilité culturelle de l’entreprise est une notion si nouvelle que l’on peine encore à lui trouver une définition officielle. Il s’agirait pourtant pour elles d’alimenter un cercle véritablement vertueux, en s’impliquant dans le soutien concret de la scène culturelle, celle-ci demeurant essentielle pour stimuler et nourrir spirituellement notre tissu social. Pour certains d’ailleurs, la culture reste tout aussi décisive que les 17 autres critères d’objectifs de développement durable pour nous aider à fabriquer un monde meilleur. L’enjeu dépasse donc la question du simple financement, même si on la sait cruciale dans cette ère post-covid. Il est en réalité temps d’inventer l’équivalent de la RSE pour la culture, en lui octroyant la même force. Cette «responsabilité culturelle des entreprises» serait à l’art, à la culture et à la création ce que la RSE est à l’environnement, la diversité et les droits de l’homme.

Première bonne nouvelle, le terrain n’est pas vierge, les entreprises agissant déjà beaucoup pour la culture, sans avoir conscience de l’impact de ces contributions. Au-delà des politiques de sponsoring ou de mécénat, nous assistons à une imbrication de plus en plus forte et féconde des marques et de la culture. Certaines entreprises déjà très impliquées gagneraient d’ailleurs à le faire savoir davantage, permettant à celles qui le sont moins d’être incitées à amplifier la dynamique. Seconde bonne nouvelle, cet engagement est attendu par les Français : 76 % d’entre eux considèrent que les entreprises ont une responsabilité envers la culture et pour 85 % des plus jeunes, elles doivent contribuer davantage, aux côtés de l’État, au financement de celle-ci. Pour esquisser la réalité de ce besoin nouveau, nous avons questionné quatre personnalités du monde de la culture sur sa réalité et son devenir. Points de vue.

 

Jean-Yves Kaced, directeur du développement et du mécénat de l’Opéra de Paris

«La pandémie a ouvert un débat sur le caractère essentiel ou non des biens et des services. La culture présente-t-elle un caractère essentiel ? Les entreprises mécènes, à l’heure des grands arbitrages, se posent nécessairement la question. Et la réponse est oui ! Massivement, si l’on en croit la fidélité qu’ont manifesté nos partenaires Chanel, Rolex, Paprec, EY et tant d’autres. Ils ont parfois même augmenté leur concours à l’Opéra, alors même que nous n’étions plus en capacité d’accueillir du public. Cet attachement n’est pas le fruit de leur seule bienveillance, car ces entreprises sont conscientes de l’importance et de l’utilité de la culture dans leur champ d’intervention. Nous avons besoin de beau et de création, et les entreprises n’ont aucune raison de s’en cacher ou de lui préférer la RSE, voire de les opposer. Bien au contraire. Les créateurs les aident à appréhender le monde. Inversement, les entreprises ont aussi beaucoup à nous apprendre. À titre d’exemple, l’Opéra a lancé une grande campagne de levée de fonds sur le thème d’un Opéra responsable et engagé. La question du développement durable y tient une place de choix. EY nous aide déjà en nous offrant une étude sur l’empreinte carbone de l’Opéra. Paprec recycle nos déchets. Nous pourrions multiplier à l’envi ces exemples.»

 

Anaïs Lançon, directrice de la communication et de l’engagement du groupe RATP

«Oeuvres d’art, musiciens, concours de poésie ou photo, le métro reste l’un des plus grands musées parisiens, ouvert 7j/7, quasiment 24h/24. Au-delà de notre programmation très volontariste, nous sommes aussi des passeurs de culture en assurant une forte visibilité aux institutions culturelles. Nous vivons l’objectif d’ouvrir la culture au plus grand nombre comme une responsabilité d’entreprise. Si je crois donc à l’évidence de la RCE, je ne suis pas certaine qu’elle puisse devenir une obligation. Pour être effective, elle doit d’abord partir d’une envie et d’un engagement collectif. Elle peut de ce point de vue d’ailleurs s’avérer un excellent fédérateur en interne. Il faut aussi avoir en tête que l’axe culturel a un coût pour l’entreprise, et nécessite donc de démontrer qu’il correspond à une valeur de service et contribue pleinement à l’expérience client. Ainsi, en ce qui concerne la RATP, les voyageurs nous apprécient parce que nous les transportons mais aussi parce que nous nous occupons d’eux pendant le transport. Tous nos baromètres vont dans ce sens.»

 

Thierry Sibieude, professeur à l’Essec, titulaire de la Chaire Entrepreneuriat social

«La RCE doit dépasser le stade du simple mécénat. Ce dernier ne suffit plus au développement d’un secteur que la crise Covid a profondément secoué et obligé à se réinventer. Se posent dès lors deux questions clés : quels processus d’évaluation de l’engagement et quels critères d’évaluation de la valeur créée ? Pour construire des engagements profonds et réels, loin du culture washing, il faut donc envisager que l’entreprise se fasse accompagner par un tiers expert indépendant.»

 

Isabelle Giordano, déléguée générale Fondation BNP Paribas

«Un artiste dans chaque Comex ? L’idée peut sembler saugrenue, mais elle a le mérite de repenser le rôle de la culture dans l’entreprise. Car les artistes peuvent être de véritables agitateurs d’idées au sein d’un monde parfois tenté par l’entre-soi. La diversité, on le sait, demeure la clé de la performance pour les entreprises. Rien de mieux, pour valoriser le mérite des soft skills, que de favoriser le recrutement de ceux qui ont des parcours différents et notamment culturels. Imagine-t-on la stratégie de certaines grandes sociétés si des artistes comme Picasso ou Costa Gavras avaient soufflé à l’oreille de leurs dirigeants ? N’en oublions pas pour autant le mécénat. Avec un budget de 2,5 millions d’euros par an pour la culture, la fondation BNPP soutient en priorité la création d’avant-garde et les artistes pionniers et une vingtaine d’institutions. Visionnaires, ils nous montrent les chemins à suivre et jouent le rôle de vigies. La nécessaire relation entre culture et entreprise doit sans cesse être questionnée et améliorée. Le concept de RCE va dans ce sens et j’y vois une nouvelle idée pour avancer.»

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