Communication interne

Peut-on parler politique au travail ? Après l'élection présidentielle et avant les Législatives, salariés et  managers se posent légitimement la question. Si la loi répond clairement oui, les experts soulignent toutefois que cela dépend du cadre, du niveau de confiance et, surtout, du type de management.

« Tu as vu le débat à la télé hier soir ? » En cette période électorale, cette simple question peut rapidement tourner en un débat politique enflammé. Pas de soucis si vous la posez dans un cadre privé, mais elle peut se révéler problématique dans le cadre professionnel. Peut-on parler politique au travail ? Est-ce légitime ou même pertinent ? Et, d’ailleurs, est-ce que j’en ai tout simplement le droit ?

La loi est très claire : oui, un salarié peut parler de politique au travail. Les citoyens peuvent exprimer librement leurs opinions jusque dans leur entreprise [lire encadré]. À deux exceptions près : il est interdit de faire du prosélytisme et, depuis la loi Travail de 2016, l’entreprise peut inscrire dans son règlement intérieur le principe de neutralité (prévu pour limiter le prosélytisme religieux, elle prévoit plus largement la « [restriction de] la manifestation des convictions des salariés »).

Désintérêt. Globalement, la discussion politique au travail semble en recul. Le désintérêt grandissant pour la chose publique, le peu de confiance accordé aux décideurs politiques, ainsi que le décroissement du mouvement syndical expliquent ce recul. Et ce mouvement de retrait devrait encore s’accélérer selon Rémy Oudghiri, DG de Sociovision [lire ci-dessous] :« Avec le télétravail qui va encore plus fragmenter la relation collective, l’entreprise se prêtera de moins en moins à être un lieu de mobilisation collective. »

Toutefois, les salariés français n’ont globalement pas de problème à parler politique au travail. Si l’on se fie aux résultats d’un vote réalisé sur LinkedIn (« Peut-on parler politique au travail ? », réalisé fin avril et ayant recueilli 12 214 votes), les deux-tiers répondent positivement, même si 51 % d’entre-eux précisent « Oui, avec diplomatie ». Un tiers des salariés pensent cependant qu’il ne vaut mieux pas parler de politique au travail car « C’est trop risqué ».

« On peut parler sans problème de politique au travail », confirme Frédéric Fougerat, directeur de la communication du groupe Emeria (ex-Foncia), « mais pas dans n’importe quel cadre », précise-t-il. Si les discussions politiques informelles ne posent aucun problème, elles doivent absolument être bannies dans le cadre de réunions. Il faut toutefois prendre quelques précautions en fonction de la personne avec qui l’on discute. « Tout dépend de la confiance que l’on a dans la personne à qui l’on parle », explique-t-il.

Risque d'amalgame. Et discuter politique avec son manager ou son patron, est-ce « risqué » ? Là aussi, tout dépend de la relation de confiance, mais aussi du type de management répond Frédéric Fougerat. « Si l’on est dans une équipe avec une vraie culture du partage, pas de soucis. Cela permet d’accepter le fait qu’il peut y avoir un vote radicalement différent du sien et de débattre uniquement pour échanger des points de vue et non pas pour convaincre », explique le dircom d’Emeria. Attention, toutefois, aux managers - trop nombreux - qui ont une vision du management où prime le rapport de domination, alerte-t-il. Dans ces deux cas (manque de confiance et manager instaurant un rapport de force), « abstenez-vous » de parler politique, préconise-t-il.

Mais quid des réseaux sociaux où la frontière vie pro-vie perso est floue ? « Personnellement, je déconseille à mes collaborateurs d’exposer leur point de vue sur les réseaux où leur profil est associé à celui de l’entreprise, car il y a un risque d’amalgame : cela pourrait être pris comme une position officielle de l’entreprise », avertit Frédéric Fougerat.

« Ça serait dommage – et même triste – que l’entreprise ferme ses portes à la discussion politique », conclut le dircom d’Emeria. « Elle a aussi un rôle social et citoyen. Celles qui déploient un programme RSE font d’ailleurs de la politique : elles participent à améliorer la vie des clients et citoyens. » Un point de vue que partage Rémy Oudghiri de Sociovision. La dernière enquête de l’institut d’études montre justement que – dans un climat anxiogène et de doute quant à l’avenir – l’un des éléments qui donne de l’espoir aux Français est l’émergence d’entreprises citoyennes qui s’engagent réellement dans l’amélioration de la société.

«La politique, de moins en moins présente au travail»

Comment la question de la politique au travail a-t-elle évolué ces dernières années ?

Rémy Oudghiri : « Dans l’ensemble de la société, on constate une dépolitisation croissante des Français. L’entreprise a suivi le même chemin : la politique y a de moins en moins d’importance. Les Français s’engagent de moins en moins en politique. Les formes classiques d’engagement et de mobilisation sont en voie de disparition : fin des grands partis traditionnels, syndicalisation faible cantonnée uniquement à certains secteurs. Quand ils s’engagent, c’est sous d’autres formes.  »

Quelle est la place de l’entreprise dans le champ politique ?

Rémy Oudghiri : « Paradoxalement, alors que les politiques n’arrivent plus à fédérer les Français et que les citoyens se sentent impuissants face aux grands enjeux de société, les entreprises s’engagent, elles, de plus en plus. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que dans le baromètre de la confiance des Français envers les organisations, les partis politiques se trouvent tout en bas de l’échelle quand les petites et moyennes entreprises se hissent en haut du classement[1]. »

Comment les jeunes générations abordent-elles ces questions?

Rémy Oudghiri : « Les jeunes sont dans des formes de mobilisation hybride, entre mobilisation individuelle sur les réseaux sociaux et actions collectives, pas forcément axées sur le champ politique traditionnel mais portées toutefois par une vision du bien commun. Ils s’engagent plus volontiers sur des questions comme l’égalité homme-femme au travail, la lutte contre le sexisme ou l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Ils sont beaucoup plus pragmatiques que leurs aînés. Sur ces questions, les femmes sont beaucoup plus engagées que les hommes.

La liberté d’expression garantie par la loi

Les salariés peuvent librement exprimer leurs opinions politiques au travail, la loi est très claire sur ce point. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen - qui a valeur constitutionnelle - indique que “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (...)”. Le Code du travail réaffirme et précise cette liberté d’expression : « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement » (art. L2281-3) et « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » (art. L1121-1).

[1] 21 % pour les partis politiques, 80 % pour les PME ; Baromètre de la confiance politique, Cevipof, janvier 2022.

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