Management

Le gouvernement appelle les entreprises à mettre en place leurs plans de sobriété énergétique. Entre inflexion sémantique, effet « revival » ou nouveau cap, les analyses varient.

Du discours d’Élisabeth Borne, la Première ministre, à l’université d’été du Medef, est ressorti un mot : « sobriété ». De quoi faire du 29 août une date historique ? À voir… En 2019, l’Ademe (L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a publié un rapport intitulé « Panorama sur la notion de sobriété ». Épicure prônait déjà la frugalité […], notamment afin de mieux savourer l’abondance - un mot aussi d’actualité. Plus près de nous, on peut se référer au rapport Meadows de 1972… sans compter la COP21. « On marche sur la tête, s’agace Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic, filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). On découvre qu’il faut être sobre, quand on devrait être au taquet depuis la signature de l’accord de Paris de 2015. Tout était clair. Tout était cadré ! On a fait de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) des enjeux de ʺreportingʺ, et il n’y a pas eu de transformation stratégique des modèles, déplore cette énergique dirigeante. Les discours autour de la neutralité carbone pleuvent. On parle des individus, mais le tissu économique est apparu bien tard dans la communication, quand ce devait être la priorité ! »

Mais depuis, il y a eu la guerre en Ukraine, l’envolée des prix du gaz et de l’électricité et les plans de sobriété énergétique sur lesquels planchent les entreprises en septembre. « Un mois nous est donné pour mettre en place nos grandes orientations visant à réduire notre consommation de 10 % sur l’année, comparée à 2019, contre des objectifs fixés jusque-là à 3 % ou 4 %, rappelle Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs de développement durable (C3D), et par ailleurs directeur développement durable et qualité, sécurité, environnement au sein du groupe Bouygues. Cette annonce va donner un coup de boost, sachant que cela ne date pas d’aujourd’hui que les entreprises font en sorte de limiter leur impact. À 30 % ou 40 % d’effort, j’aurais tiqué, mais à 10 %…»

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Soixante-quinze responsables RSE se sont mis illico au travail : trois réunions en deux semaines. Objectif : partager les bonnes pratiques. Le télétravail, qui déporte les dépenses d’énergie vers les particuliers, ne doit pas être la réponse. L'ambiance était à la réflexion au Salon ProDurable (10 000 visiteurs ; 400 conférences). Thomas Parouty, fondateur de l’agence Mieux, est un habitué des lieux, où « porter des baskets Veja (marque écoresponsable qui vit sans pub) constitue un signe extérieur de ralliement à la cause, s’amuse-t-il. Le secteur de la communication doit se réinventer, comme l’évènementiel. Les entreprises en place, en position de leaders, n’ont pas envie de changer les règles du jeu. Et pourtant, il va falloir bousculer l’ordre établi. Peut-on encore ne pas être radical ? » Thème de la conférence animée par Thomas Parouty : la sobriété peut-elle être désirable ? Un programme arrêté il y a six mois.

« Une entité tierce nous a accompagnés pour définir notre empreinte carbone 2020, commente Céline Picoré-Skrzynski, cofondatrice de l’agence The Good Company. Déterminer d’où l’on part est essentiel pour fixer la marge d’actions. Ce n’est pas notre note d’EDF qui va faire évoluer la dynamique dans le bon sens. Aussi, éco-tournage, éco-production, réutilisation des déchets, organisation… l’impact est à toutes les étapes. » Même le vêtement qu’on porte dans l’entreprise est interrogé : quelle est sa durée de vie ? Dans quelle zone est-il produit ? Quel recyclage possible ? Autant de questions balayées par Marc Jacouton, expert, en temps partagé auprès de petites boîtes, dont une dans le textile. « Le meilleur produit est celui que l’on ne vend pas », dit-il. Un discours inaudible, il y a quelques années encore.

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Baisse du recours à la climatisation l’été, du chauffage l’hiver, peinture blanche sur la toiture, extinction de l’enseigne lumineuse après 21 h et des éclairages non indispensables… « Si vous cherchez des mesures originales, je n’en ai pas », prévient Xavier Domino, secrétaire général de Radio France. Un geste fort toutefois : la politique de transport, avec le bannissement des avions pour les trajets de moins de 3 h 30. « Les journalistes mettent plus de temps à arriver sur le terrain, reconnaît Xavier Domino. S’ils préfèrent avoir l’interlocuteur devant eux, les interviews à distance sont encouragées, même si c’est moins vivant. Cela a l’air tout simple, mais pas tant que ça. Ce n’est pas sans impact sur l’organisation. » Ce temps pourrait être porté dans un futur très proche à quatre heures, voire au-delà. De quoi faire grincer quelques dents en interne, mais Radio France vise un bilan carbone en recul de 40 % d’ici à 2030.

Les décisions à caler dans les tout prochains jours peuvent aller jusqu’à un décalage de production, à un report à une période moins tendue. « On n’a pas trouvé comment refondre le modèle des sociétés énergivores, explique Fabrice Bonnifet. Mais, gare à l’effet régime alimentaire où l’on baisse les bras au bout de trois semaines. Là, il va falloir tenir l’effort ! » Un nouveau cap qui fait le bonheur de Tanguy Robert, cofondateur de Sami, une plateforme au service des PME pour leur plan de décarbonation. Ses effectifs vont doubler à court terme. « C’est une lame de fonds. Les grands groupes ne sont pas les seuls concernés. La moitié des émissions sont issues des petites entreprises. Une baisse de 10 % pour des industriels qui n’ont rien fait ne sera pas suffisante pour qu’ils survivent à l’hiver. » Les pénalités de l’Ademe, à hauteur de 10 000 euros, à partir du 1er janvier 2023 sur les émissions indirectes (déplacements des salariés, transport amont et aval des marchandises, gestions des déchets générés…) abondent dans le sens d’Élisabeth Borne. « 2023 préfigure un saut dans l’inconnu, affirme Alexandre Montay, à la tête du Mouvement des entreprises intermédiaires (Meti). On se trouve face à des arbitrages entre maintien de l’activité et investissements verts. Une menace pèse sur la dynamique de réindustrialisation en cours. »

« Les PME vont devoir s’y mettre »

CAROLINE RENOUX, FONDATRICE DE BIRDEO, CABINET DE RECRUTEMENT SPÉCIALISÉ SUR LES MÉTIERS À IMPACT POSITIF, LA RSE ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE.

Les entreprises ont-elles les moyens de se doter d’ambassadeurs de la sobriété, comme le demande Élisabeth Borne ?

Elles n’ont pas attendu le discours de la fin août. Mais, un ambassadeur à plein temps ? Je n’en connais pas. Au départ, c’est forcément quelqu’un qui va faire cela en plus de son job habituel. Les grandes entreprises sont motrices en matière de sobriété énergétique : les PME vont devoir s’y mettre pour remporter des marchés. Par ailleurs, les fonds d’investissement et les banques demandent de plus en plus de reportings.

Les reportings sont loin de faire l’unanimité…

On a inventé la double comptabilité. Il va falloir se pencher sur la triple. Les entreprises sont assommées de questionnaires. Mais la donnée est nécessaire. Toutefois, l’uniformisation ou l’homogénéisation n’est pas au rendez-vous. On n’a pas de référentiel commun en matière sociale et environnementale. Un point à travailler.

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