Culture

Ces deux dernières années, plus d’une dizaine de documentaires musicaux ont été produits et mis en ligne sur des plateformes de streaming. À l’heure où ce format s’utilise de plus en plus à l’annonce d’un album, les artistes l’utilisent comme une nouvelle façon de communiquer.

Angèle, Montre jamais ça à personne, GIMS, ces films documentaires semblent avoir un point commun : promouvoir la sortie d’un album. De ce fait, le documentaire musical ne serait-il qu’un support de plus ? Les projets audiovisuels de ce genre génèrent à la fois du contenu et des vues pour les plateformes de diffusion. Cette stratégie de communication s’étend et prend désormais une direction plus marketing, dont les plateformes comme Netflix, Amazon Prime, Apple TV ou encore Disney + s’emparent. Le documentaire réalisé par Clément Cotentin sur son frère Orelsan est sorti le 15 octobre sur Prime Video, quasiment un mois avant la parution de son album. Jackpot pour le rappeur français qui a écoulé pas moins de 138 929 albums en une semaine. Moins d’un mois après, la chanteuse belge Angèle a eu son propre documentaire sur Netflix sorti le 26 novembre 2021. À la suite de ce projet, son nouvel album Nonante-cinq s’est vendu à 30 000 exemplaires en une semaine.

Un format qui rapporte

 Qu’en est-il des audiences ? Sabri Ammar, directeur de la publicité chez Netflix France, a souhaité garder ces chiffres confidentiels. En scrutant le top 10 des audiences hebdomadaires, aucun documentaire d’artiste musical n’a été retrouvé dans le classement. Top ou flop pour ces films biographiques diffusés sur Netflix ? Si l’on en croit les notes données sur la plateforme, les documentaires musicaux ne dépassent pas les deux étoiles, hormis celui sur la chanteuse Angèle qui obtient quatre étoiles… Thomas Duglet, à la tête d’Amazon Music France, témoigne d’une réelle recherche de plus-value de la production de ce genre de format. Lancé en mai 2021 par la plateforme, le nouveau concept « Révélations » a pour but de « prendre le temps de suivre un artiste, discuter avec lui, recueillir son témoignage pour avoir une réelle discussion », confie-t-il. À la suite de la mise en ligne du mini-documentaire Révélation : Barbara Pravi, portrait intime, posté en décembre 2021, Thomas Duglet confirme une augmentation significative des écoutes et de la fanbase de la finaliste de l’Eurovision sur la plateforme. Pour le documentaire Montre jamais ça à personne, les chiffres d’audience ne sont pas communiqués, mais le directeur d’Amazon Music France confirme une fois de plus son impact : « Cela permet de réactiver notre catalogue et celui de l’artiste. Beaucoup de personnes ont commencé à écouter et regarder le contenu d’Orelsan sans même qu’il annonce encore son album. »

Si ce genre de contenu est un support plus qu’attrayant pour les plateformes de streaming, sa popularisation vient tout droit des États-Unis. « C’est très américain de travailler comme ça, on part du principe que plus on s’ouvre, plus le public nous connaît et s’attache à nous. Les Américains sont sans filtre, ils n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent, c’est pour cela que les documentaires de ce genre sont une sorte de nouvelle arme », rapporte Jason Divengele, réalisateur de documentaires pour BrutX. À la différence d’un documentaire « classique », les façons de procéder pour réaliser et produire un film qui se focalise sur la vie d’un artiste ne sont pas complètement les mêmes : « La première étape, c’est de réfléchir à ce qu’on veut raconter et les différents axes de narration possibles. Il y a plusieurs manières de narrer la vie de quelqu’un, et ce ne sont pas les mêmes demandes. Un artiste doit aussi discuter avec les maisons de disques pour négocier les droits des musiques », explique-t-il. Enfin, pour qu’un documentaire soit « bon », comme le dit Jason, il ne faut pas que ce soit simplement une « longue interview, il faut être dans l’intime et voir qui se cache derrière l’artiste, car les coulisses rajouteront toujours quelque chose en plus ».

Storytelling

 Côté musique, Rodolphe Dardalhon, fondateur du label indépendant Roy Music, ne voit pas le documentaire « comme quelque chose de promotionnel », mais plutôt comme une proposition artistique différente des musiques que l’artiste dévoile. « Il y a un réalisateur, un auteur, quelqu’un qui veut raconter [son] histoire. Cela permet de donner le temps à un artiste de se raconter, de rentrer dans son univers. » Une manière plus intime, donc, de découvrir ou redécouvrir son idole. « Le documentaire permet de raconter autre chose que dans les quelques caractères qu’on retrouve sur les réseaux sociaux, où on est dans une consommation de petite pastille. Soit on est fan et on est content de partager ce moment avec l’artiste, soit on découvre un artiste via un documentaire », précise Rodolphe Dardalhon. Pour ce dernier, le documentaire permettrait aussi à un artiste de rester dans la lumière. « Les artistes aiment qu’on parle d’eux et de leurs œuvres. Pendant le covid, on a vu une crise d’existence : ceux qui ne pouvaient plus être sous le feu des projecteurs se sont retrouvés dans des émissions de cuisine, par exemple. » Cette envie de continuer à briller a aussi un impact positif sur les ventes, d’après lui : « Ça donne envie de découvrir un ensemble, plutôt qu’un album à venir ».

A contrario, Dabo Kadima, réalisateur pour Trace France et gérant de la boîte de production Mauvais Films, confirme que ce sont des outils promotionnels. Il a travaillé sur les documentaires d’artistes tels que Ninho, Black M, Leto, ou encore Tayc, diffusés en télévision et accessibles sur le web : « Ce sont les producteurs et les boîtes de production qui investissent généralement dans la réalisation d’un documentaire. L’idée, c’est comme tout documentaire de présenter le sujet : qui il est, ce qu’il a fait et au fur et à mesure de développer jusqu’où il en est maintenant et ses dernières mises à jour. » Le tout en mettant en avant sa carrière artistique. « Étant donné que c’est un outil promotionnel, on est évidemment obligés de trouver une manière intelligente de mettre en avant leurs sorties d’album, leurs concerts etc., afin que l’artiste puisse se vendre. » Le manager du chanteur Joé Dwet Filé, Kévin, affirme qu’un documentaire marche bien en termes de visuel. « Je trouve le format intéressant, c’est un support qui est monté en puissance pour les artistes. Netflix aime beaucoup cela et ouvre les portes à ce genre de contenu. » Joé a d’ailleurs – lui aussi – un documentaire dédié sur Je passe sur Trace à l’occasion de la sortie de son album Calypso, paru le 4 juin 2021.

Un risque d’essoufflement

Ces stratégies de communication existent depuis un moment, mais la grande différence, c’est qu’aujourd’hui les plateformes de streaming se sont mises à capitaliser sur les documentaires musicaux. Pour Carole Boinet, rédactrice en cheffe adjointe chez les Inrocks, il n’y a aucun doute, le documentaire musical est devenu un pur produit marketing, une stratégie commerciale qui vise à raconter sa propre vie pour vendre des albums et faire du chiffre. « C’est devenu presque un impératif pour l’artiste de se mettre en scène, de mettre en scène son quotidien, de parler à ses fans, d’avoir une fan base, de compter le nombre de followers », affirme-t-elle. Pour reprendre l’exemple d’Angèle, la journaliste est convaincue que son documentaire avait pour but principal d’accompagner le deuxième album pour éviter le flop. « La difficulté de passer le cap du deuxième album est assez connue dans la musique, surtout quand le premier a été un énorme succès comme Brol », souligne-t-elle. Trop de documentaires musique tue le documentaire musique ? Toutes ces tactiques de marketing pour faire de la promotion vont sûrement finir par lasser les spectateurs. « Il faut qu’ils donnent en permanence et soient tout le temps dans la médiatisation, pour que le public ne les oublie pas. Les gens bouffent tellement de musique sur les plateformes, écoutent les morceaux de façon tellement rapide qu’ils passent très vite d’un artiste à un autre. Il faut donc alimenter son propre récit en permanence et le documentaire y participe, pour donner du contenu à son public », précise Carole Boinet. Un avis que partage Violaine Schütz, journaliste musique chez Numéro. « C’est de la communication, purement mise en scène. Ils abordent les sujets qu’ils veulent et ce n’est pas toujours incroyable. » Ces artistes, souvent assez jeunes, manquent également de matière et d’expérience, de par leur carrière naissante. Est-ce qu’on a envie de voir des documentaires sur quelqu’un qui a seulement 25-26 ans ? Si les plateformes s’enivrent de ce genre de format, n’y aura-t-il pas un risque de lasser les spectateurs sur le long terme ?

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