Histoire

Après huit années passées à fouiller dans l’histoire folle de son arrière-grand-oncle, le plasticien Franck Sainte-Martine s’est plongé dans le passé de sa grand-mère Louise, propriétaire d’une laverie à Rouen, ancienne résistante mais aussi… modèle publicitaire.

Franck Sainte-Martine, artiste plasticien et ancien choriste, s’est découvert un réel intérêt dans la quête de ses ancêtres. Après avoir exhumé le parcours de son arrière-grand-oncle, Octave Pelletier, négociant en huiles d’olive à Nice, hypnotiseur, espion, contre-espion, le Rouennais a décidé de se renseigner cette fois-ci sur le parcours de sa grand-mère, Louise Sainte-Martine. « J’avais envie de parler d’une femme de ma famille », rapporte le petit-fils. Née en 1915, Louise Coudard – de son nom de jeune fille – était une femme active et engagée pour son pays, preuve à l’appui avec sa carte de résistante que l’artiste a retrouvé : « Ce genre de carte n’avait jamais été vu auparavant par les historiens que j’ai contactés, notamment, car il y a la mention “action féminine”. » Le partage de cette pièce historique est possible grâce au musée de la résistance et de la déportation à Grenoble, qui, à ce moment-là, était en train de faire une collecte nationale. Franck en a alors fait don.

Femme indépendante

Le plus surprenant dans le parcours de sa grand-mère, qu’il a connue jusqu’à ses 19 ans, c’est que même pour l’époque, celle-ci trouvait un brin d’indépendance : à l’âge de 16 ans, elle rejoint le publicitaire Roger Louis Dupuy en tant que secrétaire dactylographie, et devient en même temps égérie pour certaines campagnes. Franck Sainte-Martine a déjà trouvé par hasard sur eBay une publicité pour l’huile et vinaigre bénédictins datant des années 30 dans laquelle sa grand-mère prend la pose. « J’ai tout de suite demandé à mon père s’il s’agissait bien d’elle », ajoute l’ex-choriste.

Peu importe la publicité, Louise Sainte-Martine prend la lumière de l’objectif comme si cela était inné. Toutes ces réclames iront à la Bibliothèque d’art Forney à Paris, qui collecte de façon considérable les documents publicitaires, car Franck préfère les léguer à l’histoire. Sa dernière trouvaille est une pub pour une brosse à dents. « Ce qui est intéressant, c’est que lorsqu’on la regarde, on constate à quel point la photo est retouchée. Si on la scanne en HD, on se rend compte que la brosse à dents a été peinte et n’existait pas ! Comment réagiriez-vous si vous découvriez votre grand-mère comme vous ne l’avez jamais vue ? Vous seriez contents non ? », lâche-t-il en riant. « Mon père garde tout, il est tombé sur la photo et me l’a offerte pour Noël. Lui-même n'en sait pas plus que moi sur l’histoire de Louise, mais de mon côté, je me suis dit qu’il fallait que je la partage. »

Secrets de famille

De son vivant, Franck Sainte-Martine n’a jamais osé questionner sa grand-mère sur son passé ou son histoire. « Cela devait être une époque triste pour elle, quand on est plus jeune, on tend surtout l’oreille, mais on ne pose pas de questions, explique-t-il. Cette génération n’est pas du genre à se vanter de quoi que ce soit, ce sont des personnes très modestes. » Après son passage dans la publicité, bien plus tard, Louise déménage à Saint-Vivien à Rouen et devient patronne d’une laverie pendant presque trente ans. Un endroit riche en souvenirs pour le petit-fils : « Je me souviens qu’elle me donnait un livre quand j’y allais, et elle aidait les Sénégalais du quartier à remplir leurs papiers. Elle y aura travaillé jusqu’aux derniers mois de sa vie. » Franck Sainte-Martine a mis fin à ses recherches sur Louise après la pub pour la brosse à dents. Il reprend désormais son travail sur le passé de son arrière-grand-oncle.

Roger-Louis Dupuy, patriarche de la pub

Louise Sainte-Martine a côtoyé, sans peut-être en avoir pleinement conscience, l’un des plus grands noms français de la publicité française : Roger-Louis Dupuy, fondateur en 1926 de l’agence R.L. Dupuy. En 1938, il donne une conférence à la Sorbonne intitulée « La Publicité outil de la pensée moderne (1938) », pendant laquelle il pose cette question : « Quelle image la publicité contemporaine va-t-elle transmettre aux historiens du futur ? »

Cette image aura, en partie, le visage des descendants de Roger-Louis Dupuy. Celui de son fils, tout d’abord, Jean-Pierre Dupuy, qui reprend l’agence, devenue Dupuy-Compton en 1968 après un rapprochement avec l’américain Compton Advertising. C’est Marie-Catherine Dupuy, petite-fille de Robert-Louis et fille de Jean-Pierre, qui reprendra le flambeau en 1970, en devenant conceptrice-rédactrice chez Dupuy-Compton, où elle sera embauchée par feu Philippe Michel (cofondateur de CLM) – contre l’avis de son père, qui refusait de faire d’elle une « fille à papa ».

Marie-Catherine Dupuy a, depuis cinq décennies, contribué aux riches heures de la pub. Tout d’abord en fondant, aux côtés de Jean-Claude Boulet, Jean-Marie Dru et Jean-Pierre Petit, la brillante agence BDDP, dont elle était le « D ». Puis en présidant aux destinées créatives de TBWA dont elle était la vice-présidente exécutive. En 2001, à l’occasion des 30 ans de Stratégies, celle qui fut nommée « Homme de l’Année » de notre magazine en 1991, faisait visiter son bureau dans lequel trônait une profession de foi, celle de son père : « Un objectif : vendre. Un moyen : créer. Une vocation : franchir les frontières. Un souci : s’adapter en France comme ailleurs à l’esprit de chaque marché national. » Vous avez dit visionnaire ?

Aujourd’hui, celle que l’on appelle « Marie-Cath » poursuit, après deux mandats à la tête du Club des DA, sa mission, initiée auprès du ministère de la Culture pour la reconnaissance du Club en tant qu’institution référente des métiers des arts appliqués à la communication. Bon sang ne saurait mentir !

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