Start-up

Accros aux produits de beauté clean et déçues par l’offre du marché, ces (jeunes) entrepreneuses ont créé leur marque. Avec succès… et en cultivant une belle complicité en dépit des rivalités inhérentes au business.

Elles font joliment mentir les statistiques. En 2020, seulement 4 % des start-up ont été lancées par des femmes, selon le baromètre annuel de Sista et du Boston Consulting Group. Les quatre beautystas entrepreneuses que nous avons choisies font donc partie des téméraires. Elles se sont lancées et peuvent se targuer de belles réussites. À commencer par Isabelle Carron qui a créé sa marque Absolution, en 2009. « Je suis un peu la doyenne », s’amuse-t-elle dans la boutique-bureau du 10e arrondissement où elle nous reçoit. Les clientes se succèdent pour bénéficier de la cabine de soin de sa marque bio vendue dans une vingtaine de pays. « Après 20 ans dans la com, de commerciale à chef de pub en passant par directrice de création, j’ai monté mon agence. Mais en tant que communicante et consommatrice, je n’arrivais pas à trouver une marque de produits de soin “aimable”. C’est-à-dire qui propose à la fois du sens et de l’efficacité. J’ai écrit sur un papier le projet d’Absolution : bio et unisexe, on dirait “gender fluid” aujourd’hui, fondée sur le microbiote cutané et un concept “mix and match” qui s’adapte à l’humeur du jour de la peau. »

Elle met un soin particulier à travailler ses packagings. « J’ai fui le fleuris, et le vert que les marques choisissaient parce que ça fait écolo », rit-elle. Elle propose des tons rabattus et des packagings innovants qui, depuis, ont remporté un WallPaper Design Award. Elle peaufine huit premiers produits et démarche avec son associé des investisseurs. « On a commencé nos premiers rendez-vous en 2008, lors de l’effondrement de Lehman Brothers, s’amuse-t-elle rétrospectivement. On a dû faire avec moins d’argent mais en neuf mois nos produits étaient lancés. » Le branding et la marque séduisent : elle se retrouve mise en avant dans toutes les pages beauté des magazines avant de creuser son sillon en magasin.

Aujourd’hui, elle emploie 23 personnes, affiche une croissance de 35 % et est distribuée dans 25 pays. Depuis 2015, elle développe une gamme de produit de beauté avec le maquilleur des stars Christophe Danchaud. Cela lui vaut d’être citée dans les crédits de Elle par Vanessa Paradis, Sandrine Kiberlain ou Catherine Deneuve, fan des produits alors qu’elle ne fait pas de publicité. En revanche, elle a développé Beauty Therapy, un site et un compte instagram où elle développe sa conviction selon laquelle la beauté, esthétique, mais aussi artistique, nous soigne. « La beauté fait du bien ».

À la question de savoir si être une femme a été un obstacle supplémentaire pour lancer sa boîte, elle souligne avoir été en duo avec son cofondateur de 2008 à 2012. Depuis, elle est seule à la barre. « Je n’ai pas eu l’impression que c’était plus compliqué parce que j’étais une femme mais je sais que si j’avais été un homme, cela aurait été plus facile. Les investisseurs ont toujours un peu de condescendance, avec cette impression qu’ils savent mieux que nous. » La sororité a du sens pour elle. « J’ai l’impression que j’ai donné beaucoup de conseils à de jeunes marques même si on est concurrentes ; on s’aide sur certains points. »

Clean et efficace

Parmi elles, Juliette Lévy, qui s’est lancée en 2013, « à ma sortie de l’Essec », avoue-t-elle. Elle est aujourd’hui à la tête de 100 collaborateurs qui font tourner 22 boutiques Oh My Cream dont 12 à Paris. S’y vendent 1 000 références de 45 marques bios. Elle s’apprête à ouvrir un magasin à Londres cet été. « J’ai toujours été une grande passionnée de beauté. Je pensais qu’il y avait de la place pour un concept store qui permette à toutes les femmes d’avoir accès à une beauté alternative, avec une sélection de marques clean et efficaces et un focus sur le conseil. » Elle se lance donc à 25 ans. « Il y a beaucoup d’entrepreneurs dans ma famille », reconnait-elle quand on s’étonne de son audace. À commencer par son père qui travaille dans l’immobilier social. « Ce qui m’angoissait, c’était d’avoir un CDI dans une grande entreprise. Créer ma boîte était synonyme de liberté pour moi. Les entrepreneurs ne voient pas les risques. Ils ont une inconscience assez salvatrice. » Elle est fière d’annoncer qu’elle est rentable depuis l’année dernière, après huit ans de business. « Les distributeurs plafonnent à 50% de marge quand les fabricants affichent 80 %. »

Depuis 2017, elle a lancé sa propre gamme de produits, courte et simple. Elle est devenue sa première vente en volume et représente désormais 20 % de son chiffre d‘affaires. Ce dernier est en croissance de 50 à 100 % par an. Être une femme n’a pas été un frein à ses yeux. « Ce peut être lié à l’éducation que l’on a reçue aussi. Moi, j’ai trois frères et j’ai été élevée comme eux. Je n’ai jamais vécu le fait d’être une femme comme un frein mais plutôt comme une opportunité ou un accélérateur parfois, avec des prix comme le Bold Woman Award (ex-prix Veuve Clicquot) que j’ai remporté en 2020. » La sororité entre startupeuses ? Ça lui parle, même si elle avoue de prime abord ne pas être branchée networking. « Je me suis créé un réseau d’entrepreneuses créatives. On se serre les coudes, on s’entraide. Je sens un réel soutien. On échange sur des problématiques communes comme les bonnes pratiques managériales, le congé maternité ou les clés pour essayer de maintenir un équilibre vie privée, vie pro. »

Micronutrition

Cette problématique, Fleur Phelipeau se la pose souvent. « J’ai 38 ans, je me suis lancée il y a treize ans dans la micronutrition en créant D-Lab. Aujourd’hui, j’ai deux enfants de 5 et 8 ans mais j’ai dû en partie sacrifier ma vie privée, ma santé et mon sommeil. Cinq heures maximum par nuit. Cela m’a permis de construire une sublime usine de 2 500 m2 fondée sur l’économie circulaire, qui est 100 % green et dotée de la plus haute technologie. On dirait un musée tellement elle est belle », lance-t-elle fièrement. Et pourtant, les embûches n’ont pas manqué, à la hauteur de sa témérité. « Après HEC et une maîtrise de finances à Dauphine, le seul métier que je voulais faire, c’était DG. J’ai sûrement été inspirée par mon père, entrepreneur. Il dirigeait la Compagnie Vichy, soit l’eau minérale, le spa, l’hôtel et 350 salariés. Quand il a vendu sa concession, il a donné de l’argent à mon frère, ma sœur et moi. Ils ont acheté un appartement. Moi j’ai réalisé mon rêve, c’est-à-dire rendre cet argent vivant en créant de la valeur. J’ai construit mon outil de production, cette usine. »

Mais cette jolie blonde dynamique a peiné à se faire prendre au sérieux. « Même dans mon cercle proche, on me demandait qui allait la diriger. Comme si une femme ne le pouvait pas ! » s’offusque-t-elle avant de confier avoir eu du mal à trouver un architecte puis un constructeur. « Seule femme sur le chantier face à vingt personnes, je ne laisse rien passer. Pas la moindre remarque ou le moindre clin d’œil. Je mets tout de suite les pieds dans le plat. Et j’ai appris à parler technique pour me faire respecter. Je connais chaque câble qui passe dans mon faux plafond ». C’est auprès du réseau d’entrepreneuses qu’elle s’est créé qu’elle trouve partage et soutien. « Je bois régulièrement un verre avec une quinzaine de filles qui, comme moi, se sont lancées dans le business. Il y a beaucoup de bienveillance entre nous, une forme de sororité. On a des vies très intenses. On ne fait que travailler ou penser au travail, alors c’est chouette d’échanger sur nos problématiques communes. »

Biotechnologie

Élodie Carpentier, la fondatrice du Rouge français, a eu la révélation de sa marque lors de sa grossesse en 2018. Cette ingénieure en biotechnologie a travaillé pendant dix ans dans l’industrie pharmaceutique et surtout sur les thématiques de la santé de la femme. Si elle était exigeante sur la qualité de sa nourriture, principalement bio, elle faisait « plus de compromis sur les cosmétiques. En maquillage, personne ne faisait attention, il y avait beaucoup de pétrochimie. J’ai repris un usage ancestral auquel avait même recours Cléopâtre : la coloration végétale appliquée au maquillage ». Cette proposition disruptive de pigmentation, issue de plantes tinctoriales qui ont à la fois des propriétés colorielles et bénéfiques pour la santé, s’avère porteuse.

Elle monte son entreprise avec l’aide de son mari. « Le monde de la finance et des investisseurs est encore excessivement masculin et ce n’est pas facile quand on est une femme. Mais j’ai tenu justement à avoir des femmes business angels. Nous sommes désormais sept dans l’entreprise, avec la moitié de l’équipe à Paris et l’autre à Marseille où se trouve notre laboratoire. Et tout est fait en France, principalement en Normandie. » Elle a déjà mis plus de 300 000 produits sur le marché car après ses rouges à lèvres avec écorecharges, elle a développé une gamme de produits pour les yeux. Commes nos autres intervenantes, elle reconnaît que les prix qui l’ont distinguée (National BFM Business académie 2020, femme entrepreneuse de l’année prix PETA et prix de la beauté Marie Claire) l’ont aidée à émerger. C’est désormais Sophie Marceau qui la représentera désormais en Chine. « Même si on peut être concurrentes entre startupeuses, on s’entraide. Et cela donne de la puissance de s’épauler. » Qui dit mieux ?

«J’ai appris à parler technique pour me faire respecter.» Fleur Phelipeau, fondatrice de D-Lab

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