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Le 15 avril dernier, Anna Toumazoff, militante féministe et créatrice du compte Instagram @memepourcoolkidsfeministes, a sorti son premier ouvrage « Ta vie sans filtre ». À travers ce dictionnaire de 286 pages et de plus d’une centaine de mots, elle souhaite faire de ce livre « un outil pédagogique à la sauce progressiste ».

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce dictionnaire, et pourquoi avoir choisi ce format ?

Anna Toumazoff. J’avais envie d’écrire ce livre depuis des années. Quand j’ai lancé ma page @memepourcoolkidsfeministes il y a trois ans, j’étais en pleine période de déménagement et je suis retombée sur le dictionnaire des filles que je lisais quand j’avais dix ans. Je me souviens l’avoir relu sans cesse, et en retombant dessus, j’ai posté certains extraits qui m’ont choquée comme l’un sur la pilosité, décrite comme sale, un autre sur le fait qu’il faille se maquiller pour être une femme… À cette époque, j’avais seulement 2 000, 3 000 abonnés donc je me disais qu’il n’y avait aucune chance de pouvoir réécrire une nouvelle version avec une maison d’édition. Mais l’idée est restée. C’est quand j’ai passé le cap des 100 000 followers qu’on m’a contactée pour ce projet, et j’étais super contente, car c’est resté sur l’idée que je m’en faisais. J’ai mis plus d’un an à l’écrire puisqu’entre-temps, j’ai travaillé sur les hashtags #DoublePeine, #SciencesPorcs et #BalanceTonBar, et j’ai aussi fait un burn-out. Le dictionnaire est parfait pour éduquer, d’autant plus qu’il ne faut pas écrire de bêtises. Il a d’ailleurs été relu et vérifié par plusieurs psychologues.

Comment avez-vous déterminé les définitions que vous vouliez aborder en particulier ?

Au début, on avait une liste de 150-200 mots puis on a affiné et vu ce qu’on pouvait rassembler. Il y a des mots aussi qui se sont enlevés d’eux-mêmes comme harcèlement, puisqu’il est repris dans harcèlement en ligne, harcèlement scolaire, etc. C’est pareil pour consentement, il est très transversal parce qu’on le retrouve dans sexualité, alcool et drogue. Ces sujets sont tellement importants qu’il faut aller plus loin que les intégrer dans une seule définition.

Y a-t-il eu des mots qui vous ont frustrée, car vous ne pouviez pas écrire davantage ?

Bien sûr, mais c’était surtout au niveau de la méthodologie. On a fonctionné par feuillet [1 500 caractères], et ce qu’on s’est fixé, c’est d’en faire entre un et quatre, sauf que sur certaines définitions comme la santé mentale, j’en ai fait douze. Je n’ai pas écrit dans l’ordre alphabétique, mais par ordre de facilité. Typiquement, quand on parle d’amour, on ne voit pas les choses de la même façon en fonction de ce qu’on vit. L’angle reste toujours le même, mais parfois sur la forme, on sera plus ou moins animé par le sujet, puisque ce livre est hyperpersonnel.

Vous précisez d’ailleurs que ce n’est pas forcément un livre destiné uniquement aux ados, mais aussi aux jeunes adultes.

La tranche d’âge ciblée est les 14-18, mais j’ai fait exprès sur la couverture de préciser 14 et plus, afin de rappeler que ça ressemble aux publications que je fais sur mon compte Instagram et à mes discussions avec mes abonnés.

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Vos définitions favorites ?

J’aime beaucoup celles qui touchent à l’affect. Ce sont celles qui me font le plus peur, car ce sont les plus subjectives que j’aie écrites. «Amour» ou «chagrin d’amour» en font partie, tout autant que «mort» et «deuil». Il y a aussi «célébrité» parce que j’ai déjà rencontré des adolescents au collège et au lycée qui ont une vision biaisée de ce que c’est réellement. Ils pensent que la notoriété est vue comme quelque chose de désirable et stylé, alors que ce n’est pas parce que tu as 10 000 abonnés sur TikTok ou sur Instagram que tu es connu. Ça fait simplement de toi quelqu’un de suivi par une communauté parmi des communautés. Je voulais vraiment parler de tout et ne pas faire de sujet tabou, car je pars du principe que ça ne sert à rien d’être dans une salle de prohibition.

Y a-t-il des mots qui ont été plus difficiles à écrire ?

Oui, et en plus ce n’étaient pas les plus évidents, comme les violences qui sont mon domaine de spécialité. Il y avait des choses qui, à des moments M dans l’année, me faisaient de la peine. Alors les écrire, c’était encore plus difficile. Je me suis beaucoup servi de la musique pour rédiger. Par exemple, au moment d’écrire le chapitre «couple», j’étais fatiguée des mecs et je ne voulais pas me laisser parasiter. Parfois je n’avais pas d’émotions, c’était un peu spécial. Quand j’écrivais, je me plongeais dans mes expériences, dans mes émotions, quitte à repenser à mes ruptures, etc. Je me mettais dans ma chambre avec de la musique triste pour les écrire et puis je passais à autre chose.

Vous êtes-vous inspirée de vous-même ?

Il y a des définitions où on est obligé d’être objectif. Par exemple, pour les thématiques d’identité de genre ou d’orientation sexuelle, il faut être exact. En revanche, sur d’autres sujets, je me suis effectivement servie de mes émotions, de mon expérience et de ce que je fais sur Instagram pour les rédiger. Je crois que ça correspond à ce message qui est central pour moi : celui d’être la plus vraie. Je reçois souvent des messages de personnes qui sont admiratives de mon travail, en disant que je suis leur modèle, etc. Mais je veux aussi, par ce livre, aborder des sujets qui concernent tout le monde. Car dire qu’on a des failles, c’est aussi rassurant pour les gens. Avec une génération très influencée par les réseaux sociaux, c’est bien de rappeler que personne n’est parfait.

Pour vous, quelle est la définition qui résume 2021 ?

Pandémie ! Plus sérieusement, j’aime beaucoup «politique», notamment parce que j’ai fait des études dessus, même si dernièrement, c’est plus chiant qu’autre chose. J’ai eu une année 2021 très difficile et très intense, et donc je dirais que le mot qui la définit le mieux c’est la force. J’ai écrit pas mal de choses en disant qu’on peut trouver de la force partout et qu’on en a même quand on se sent faible. J’en parle aussi dans l’avant-propos de façon un peu plus lyrique.

Et celle de 2022 ?

«Gentillesse», car ce mot est trop mis de côté. Je parle de la vraie gentillesse, celle qui vient du cœur. J’ai écrit tout ce que j’aurais aimé lire pendant mon enfance en me disant qu’on peut être militant et en même temps super gentil. J'ai aussi encouragé les gens à ne pas se laisser faire et à affirmer ce que l’on pense, car après ce sont des années de guérison pour surmonter la difficulté à s’exprimer. 

«Ta vie sans filtre», disponible depuis le 15 avril aux éditions Mango.

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