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Journaliste au Monde, Magali Cartigny a passé en revue un siècle de publicités dans une série d’été de sept articles. De la ménagère de 50 ans au tabou des règles, « Fille de pub » replonge dans les clichés sexistes et misogynes qui ont longtemps nourri la réclame.

« Vous les femmes, vous le charme ». Quand les hommes se mettent à chanter les louanges du sexe féminin, c’est pour leur déclarer leur admiration, leur amour, leur dévotion, mais lorsqu’il faut vendre un produit, le discours n’est plus le même. De 1950 à aujourd’hui, la publicité a bien évidemment évolué et ne cesse de se renouveler, suivant les nouveaux codes de la société, en parlant de féminisme, d’inclusivité, de LBGTQUIA+. Magali Cartigny, journaliste au Monde, a consacré sept articles sur le sujet dans la série d’été « Fille de pub ». Même si on n'apprend pas que la publicité a longtemps été bercée par les clichés sexistes voire misogynes, un petit rappel ne fait pas de mal.

En lisant « Fille de pub », on se dit qu’on pourrait écrire des pages et des pages sur ce sujet. Comment vous est venue l’idée de traiter ces thèmes ?

Magali Cartigny. Pour être honnête, je suis arrivée au service époque au mois de mars, et c’est à ce moment qu’on réfléchit aux séries d’été. Ma rédaction en cheffe avait envie de faire ce sujet depuis longtemps. En discutant de la pub avec des amis, nous avons évoqué celles qui nous ont choqués. Quand j’ai commencé à regarder ce qui avait été fait, j’ai constaté une quantité immense de documentation sur ce thème, et cela a alimenté mon intérêt.

Vous parlez de publicités marquantes, en avez-vous une en tête ?

Il y en a pas mal. Je pense notamment à un spot Obao où l’on voit une personne de sexe féminin dans une baignoire transparente, ou encore Ushuaia montrant une femme se caressant sous les seins. Tout ce qui est lié à la cosmétique m’a touché quand j’étais enfant. Dans un autre registre, je ne comprenais pas les spots de yaourt, qui pour vanter les bienfaits naturels, exposaient des corps nus. Je ne voyais pas le lien entre les deux. On se servait de l’image des femmes pour vendre des produits qui n’avaient rien à voir avec la publicité.

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Comment s’est passé le travail de documentation ?

Je suis tombée sur pas mal de blogs, de petites publications sur le web, qui faisaient des comparatifs de pubs des années 1950 à aujourd’hui. Ces documents-là dégageaient déjà les thèmes de la ménagère, de la femme objet… Le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) fait un travail dans les collèges et lycées depuis une bonne dizaine d’années, avec des comparaisons avant-après. Ce qui me manquait, c’était la parole des publicitaires [BETC, Romance, Jesus & Gabriel, ou encore Jacques Séguéla interviennent dans cette série] pour comprendre comment ces créations étaient faites. La difficulté dans cet exercice, c'était de retrouver les auteurs de spots des années 1980-1990, parce que la plupart de ces publicitaires ne travaillent plus dans le métier aujourd’hui, ou ne sont plus là.

Justement, étaient-ils enclins à répondre à vos questions ?

Ils avaient très envie de communiquer. Je n’ai pas eu de langue de bois, ils reconnaissent tous qu’il y a du sexisme dans la publicité, mais de la même façon ils disent qu’il en existe aussi dans la société. La publicité n’est pas faite pour changer les mœurs, mais pour plaire au public de la façon la plus large possible. On ne peut pas reprocher à ce secteur de faire quelque chose qui existe déjà, mais se demander si en étant créatif ils peuvent faire bouger les lignes. Le plus intéressant, c’est qu’aujourd’hui les publicitaires se servent des thèmes féministes, inclusifs ou encore LGBT pour vendre. Il suffit d’un mouvement de fond de la société pour commercialiser et non pas promouvoir des idées progressistes. Il y a une forme d’hypocrisie que la plupart reconnaissent. Le timing tombait un peu mal, étant donné que je rédigeais les papiers durant les Cannes Lions. Là où j’ai eu le plus de soucis, c’est quand j’ai tenté de contacter les marques, car on rentre dans quelque chose de très hiérarchisé. Quand elles me répondaient, il y avait de la crainte sur ce que je pouvais écrire.

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Il faut aussi surveiller ce qu’il se fait aujourd’hui. Par exemple, il n’y a pas moins d’un mois, une brigade se baladait à Strasbourg et apposait des collages sur des affiches sexistes.

C’est dans les pubs locales que le sexisme persiste, car les grandes marques ne se mouillent pas et ne vont pas courir le risque de mettre des corps féminins nus. Tout ce qui est artisan local, garage, dépanneurs, etc. On y retrouve des choses ahurissantes, avec les mêmes procédés présents dans la presse féminine. Il y a assez souvent ce genre photographique dans les campagnes de vêtements avec une femme, entrouvrant la bouche de façon sensuelle. Aussi, on pense que pour ne pas paraître sexiste, il suffit de mettre un homme et une femme pour vendre un produit. Il y a néanmoins des campagnes sexistes qui persistent, je pense à celle de l’éducation nationale aux alentours de 2011 pour faire la promotion du métier de professeur où l’on voyait un garçon où il était écrit « un métier à la hauteur de ses ambitions », et pour une fille « un métier à la hauteur de ses rêves ». Il y a encore des assignations assez claires dans les pubs aujourd’hui, elles ne sont pas choquantes à première vue, mais en se penchant davantage dessus, on se rend compte que ce n’est plus forcément focalisé sur la sexualisation, mais sur les compétences.

Avez-vous reçu des commentaires ou réactions à la suite de la parution de ces articles ?

Pas mal d’hommes se sont moqués en répondant « oui, mais on ne montre pas du caca » en faisant référence au papier sur les règles. D’autres ont ramené les choses à eux-mêmes en disant faire les tâches ménagères à la maison. Je n’ai pas eu de remarques injurieuses en soi, mais d’autres commentaires qui disent que les femmes préfèrent les hommes riches quand on parle de voiture… Ou encore, lorsque j’évoque la pub Darjeeling avec son mannequin sexagénaire, certains se sont permis de dire « je n’ai rien contre les vieilles, mais là c’est un tromblon ». Outre ces réponses, j’ai aussi eu de bonnes réactions de personnes intéressées par le sujet.

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