Pour une marque, c'est le Graal de la relation client. Mais, entre serviciel et gaming, entre contraintes techniques et fourches caudines des appstores, une application doit surtout être innovante et créative. Beaucoup plus facile à dire qu'à faire...

Bien parler au consommateur, c’est surtout bien parler à son pouce. Avec 50% des Français de plus de 11 ans qui possèdent un smartphone (source: GFK), les marques ont vite compris quels intérêts elles avaient à être présentes dans la poche de leurs clients. Et en développant, notamment, des applications, le Graal de la relation client d'aujourd'hui. «C’est une formidable opportunité pour les marques d’être invitées au plus près de la vie des gens», note Ivan Beczkowski, président de BETC Digital. «Ce qui distingue les applications, c’est le contact permanent avec le consommateur. Les nouveaux terrains de la créativité, ce sont ceux où l’on peut parler au consommateur en prise directe», ajoute Jérémie Bottiau, directeur de création chez Marcel.

Le smartphone est l’outil personnel par excellence, intime. Et l’application peut devenir un outil récurrent dans leur vidéo, au cœur de leur parcours consommateur. «C’est le seul outil qui permet d’envoyer des notifications», rappelle le président de BETC Digital. Bien mieux qu’un SMS, intrusif, ou un e-mail, qu’on ne lit plus… Le téléchargement d’une appli par un mobinaute est un acte volontaire. L’intrusion d’un «push» est nettement moins mal vécue. Quant à la data, les marques récupèrent bon nombre de données via une appli plus facilement qu'avec tout autre support. Des données utiles pour toutes leurs campagnes à suivre ou leur connaissance client. Bref, le bonheur. 

L'utilité pour être légitime

«La tendance a commencé il y a cinq six ans, avec l’avènement des smartphones nouvelles générations, raconte Jérémie Bottiau. On a vu de gros cartons, comme  “La Chute” d’Oasis, qui reste l’application de marque la plus téléchargée. Elle était calquée sur Doodle Jump [un jeu pour mobiles]. A l’époque, deux grands terrains d’expression se démarquaient déjà: le gaming et le serviciel.»

Car lancer une appli, oui, mais pour quoi faire? «Les gens ne se lèvent pas le matin avec une envie de télécharger des applications de marque», ironise Ivan Beczkowski. Et si elles restent la crème du relationnel aujourd’hui, peu peuvent se vanter d’être entrées au Panthéon de l’écran tactile. Une récente étude menée par l’agence mobile Ampersand en Angleterre révélait que 47% des personnes interrogées effaçaient les applications de marque après leur première utilisation. Près d’un mobinaute sur deux!

Et la tendance ne va pas dans le bon sens. En janvier, la société Localytics, spécialisée dans les applis mobiles, estimait que la proportion de mobinautes qui réutilisaient les applications dans les trois mois suivant l’installation avait chuté en deux ans, passant de 23% à 12%. «Le problème, c’est le nombre colossal d’offres dans les appstores, qui croulent sous les applis», constate Stephan Schwarz, directeur du digital de l’agence Herezie.

«Moins de 20 % des applis rencontrent un écho significatif. On risque de se retrouver devant un cimetière d’applications, augure Marc-André Allard, directeur général de Dragon rouge Innovation. Se dire qu’on va inventer un nouvel Angry Bird [un jeu vidéo], cela ne suffit plus. Il s’agit d’être cohérent avec la légitimité de la marque.» Et une marque ne sera légitime que si elle est utile. 

Difficile de sortir du lot. Et pour cela, une solution, encore et toujours: être créatif. Sauf qu'en cette matière, cela relève du chemin de croix… «Une application doit concentrer tous ses efforts vers l’utilisateur, explique Johann Bernast, directeur de création digitale de DDB. On télécharge une application parce qu’on y trouve une utilité, comme c’est le cas pour celles de la RATP et de la SNCF. Il est vraiment crucial de s’inscrire dans un parcours utilisateur.»

Mais le serviciel est-il vraiment un moyen de se distinguer pour les marques? «C’est certain», assure Stephan Schwarz. Sauf que, ajoute-t-il, «les pure players font souvent mieux. L’application Air France est sûrement très bien, mais moins bien que Hipmunk, qui sélectionne les billets les moins chers, chose qu’aucune marque n’a intérêt à faire… L’appli SNCF, c'est la même chose: Capitaine Train permet d’acheter ses billets sans passer par la SNCF, avec en plus un remboursement plus facile.» C’est la dure loi de l’économie numérique: la concurrence est à un pouce… «Pour lancer une application de marque, il faut proposer une profondeur de service importante», conclut le directeur du digital d'Herezie. Et faire attention à la sécurité. Qui dit service dit fiabilité. Or, selon une étude de Gartner, 75% des applications mobiles lancées en 2015 échoueraient aux tests basiques de sécurité. «La plupart des entreprises sont inexpérimentées. Même quand des tests de sécurités sont entrepris, ils sont souvent effectués par des développeurs qui sont plus attachés aux fonctionnalités et à l’ergonomie de l’application qu’à sa sécurité», explique le cabinet dans son rapport. Un souci donc, auquel les marques doivent penser.

Interaction entre applis

Autre mise en garde avant de mettre son appli en place: l’impact sur son propre business. «Pour certains secteurs, l’application tend à devenir le point de contact unique avec le client. Pour une banque, par exemple, elle détourne des contacts classiques en agence, explique Marc-André Allard, de Dragon Rouge Innovation. Pour Fortuneo et consorts, tous les contacts clients se font via les services mobiles, y compris l’ouverture du compte, donc cela ne pose pas de problème. Mais pour les autres marques, si tout le relationnel migre sur l’appli, comment entretenir un contact de qualité avec le client?»

Aussi, plutôt que de se lancer dans l’aventure du serviciel, les marques tentent le gaming. Oasis, Milka… beaucoup ont lancé une nouvelle expérience et marqué des points dans le cœur de leur client. «Evidemment, c’est un terrain de créativité très important, mais rien n’est pérenne», assure Stephan Schwarz. Cela nécessite de se renouveler continuellement, de sortir régulièrement de nouvelles versions, ou d'encourir le risque de finir à la corbeille.

Le gaming est moins dans le relationnel, plus dans l’émotif et le court terme. «Ce qui marche bien en ce moment, c’est le LOL. A l’instar de Bristlr, un Tinder [appli de réseautage social] qui met en relation les barbus et ceux et celles qui aiment caresser des barbes, s’amuse le directeur du digital d'Herezie. Ce genre d’appli fun, un peu “What The Fuck”, va cartonner.» La méthode permet d’obtenir une bonne visibilité et un impact fort sur le consommateur. «Tout comme les claviers optionnels, portés par la vague des émoticônes, que proposent Ikea et McDonald's. C’est ce genre d’applis que l’on va avoir envie de télécharger», ajoute Johann Bernast.

Le prochain enjeu créatif dans l'univers des applications ne se situera pas tant dans la nouvelle appli en tant que telle que dans son interaction avec les autres. «Une appli comme Periscope peut être un nouveau territoire d’expression pour les créatifs, tout comme Snapchat d’ailleurs. Je n’ai pas encore vu de choses très créatives alors que ces applications s’y prêtent», concède Johann Bernast.

Rapidement sur tous les terminaux

Une fois la bonne idée trouvée, il reste encore du chemin à parcourir. L’application doit être acceptée par les «magasins» Playstore ou Appstore. «On réfléchit mûrement avant de lancer une appli, raconte Jérémie Bottiau, de Marcel. La soumission auprès d’Apple prend du temps. On peut se faire retoquer une application sans qu’on sache vraiment pourquoi.»

Une fois l’appli acceptée, le chemin continue: «Lancer une application, c’est couvrir un parc de téléphone dans un temps très court», explique Mathieu Crucq, head of social media & web de Brainsonic. «Du coup, les annonceurs sont quasiment obligés de consacrer le même budget au développement de l’application qu’à sa promotion», enchaîne Stephan Schwartz. En investissements médias et sur l’appstore, pour le faire remonter dans les recherches. «La promotion d’une appli sur l’Appstore, c’est 50 000 euros», ajoute-t-il. Non négligeable… Last but not least, l’application doit être disponible sur tous les terminaux.

Les créatifs sont loin d'avoir épuisé le sujet. «La multiplication des objets connectés fera naître d’autres besoins, donc d’autres idées pour les marques», prévoit Rémy Poulachon, directeur des opérations chez Sedona. A vos crayons! 

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