Alors que les publicitaires accélèrent leur « digitalisation », les agences interactives affirment leur rôle de conseil en stratégie digitale globale et renforcent leurs expertises, notamment dans les contenus et l'animation de communautés.

Le temps où il suffisait à une marque d'avoir un site Web pour assurer sa présence en ligne semble si loin… Internet, à la fois média, canal de distribution et outil de marketing relationnel, est devenu un lieu de conversation et d'échange où les internautes ont pris le pouvoir et la parole (mise en ligne de billets, de vidéos, avis de consommateurs, site de ventes aux enchères), et peuvent être ainsi mis à contribution par les marques (relais d'influence, cocréation publicitaire, « crowdsourcing » de services et de produits, etc.).

En se structurant, ce fameux Web 2.0 à donné naissance au Web social, incarné par de nouveaux territoires d'expression que sont la blogosphère et les réseaux sociaux, dont les incontournables Facebook et Twitter. Et ce n'est pas fini : la révolution gronde encore avec la progression de l'Internet mobile et la diffusion des smartphones, dont l'Iphone est devenu l'icône, mais aussi l'arrivée de nouveaux terminaux sous forme de tablettes (Ipad, Kindle, Ebook) et bientôt l'Internet embarqué sur les téléviseurs de salon. « La convergence des supports et des usages va s'amplifier dans les années qui viennent », indique Reineke Reitsma, directrice de recherche marchés grand public chez Forrester Research.
La convergence des métiers aussi… une réalité de marché qui complique la lisibilité d'un paysage où les agences interactives « pure players », dont la communication et le marketing interactif sont le cœur de métier, côtoient des spécialistes de la publicité virale, des médias sociaux ou du Web contributif, mais aussi des sociétés de production de contenus, des studios de création et tous les métiers de la communication et du marketing (agence médias, publicitaire, relationnel, éditorial, corporate, événementiel, etc.) qui revendiquent à bon droit une expertise interactive dans leur spécialité.

Recomposition et mercato

Alors que le marché du numérique semble avoir été relativement épargné par la crise et qu'il repart fort en ce début d'année, sa situation est loin d'être stabilisée. Depuis 2007, l'inévitable logique de concentration (Kassius vendue à Y & R, Mégalos à CRM Company) et la stratégie offensive du groupe Publicis - propriétaire des réseaux Digitas, Modem et Razorfish, ainsi que du pure player historique Publicis Net – a profondément modifié son paysage. Sa recomposition s'est même accélérée ces derniers mois et va se poursuivre. Ainsi, l'agence Actweb, qui a racheté Wecom, spécialisée en e-commerce, « n'exclut pas, selon son directeur Franck Orhel, un rapprochement stratégique avec un groupe de communication ».

Le départ de Matthieu de Lesseux, en août 2009, de Duke, l'agence qu'il avait cofondée dix ans plus tôt, a ouvert un jeu de chaises musicales. Ce mercato digital qui touche pour la première fois les agences de publicité modifie la donne. En effet, ce sont deux agences de publicité du groupe Omnicom qui ont fait l'événement interactif, fin 2009, en confiant à des pionniers du Web les plus hautes responsabilités… Une manière de marquer les esprits, notamment ceux des clients ! DDB Paris a ainsi porté Matthieu de Lesseux à sa coprésidence, aux côtés de Jean-Luc Bravi et Bertrand Suchet, à charge pour lui de « digitaliser » l'agence. De son côté, TBWA Paris a fait appel à Philippe Simonet, coprésident de Publicis Net et directeur de la création digitale de Publicis Conseil, et lui a confié la vice-présidence de l'agence. Leur arrivée respective est déjà lourde de conséquences sur le plan des organisations, mais avec deux approches distinctes.

DDB Paris, prenant modèle sur l'agence Goodby, Silverstein & Partners (à noter qu'Erik Vervroegen, l'ancien directeur de la création de TBWA Paris, y est directeur de création depuis l'été dernier), a fait le choix du « tout-intégré », décidant donc de dissoudre le pure player Tribal DDB dans l'agence publicitaire.

Chez TBWA Paris, au contraire, on recréé un pure player : TBWA 365. L'agence parisienne s'inspirant, elle, d'une autre agence d'Omnicom, 180 Amsterdam, qui s'est « digitalisée » tout en créant Riot, une structure numérique ad hoc. Du coup, ici, c'est l'enseigne de marketing services Tequila qui disparaît. Ses collaborateurs étant répartis entre l'enseigne publicitaire et le pure player, qui a vocation, selon Philippe Simonet, « à alimenter en continu la conversation des marques avec ses publics en portant ses valeurs sur les médias numériques ». Un enjeu qui occupe tous les esprits (lire sous-papier).

Ces mouvements ont fait boule de neige chez les agences interactives, dont une bonne poignée démarre l'année 2010 avec un nouveau patron, ce qui entraîne parfois un changement de culture. Ainsi Duke, désormais filiale de Publicis, est dirigée par Olivier Abel, cofondateur de La Chose. L'agence interactive partage son président, Stéphane Amis, avec Digitas. Avec des synergies à la clé… Chez Publicis Net, Sébastien Vacherot, président de TBWA MAP a remplacé Philippe Simonet à la coprésidence de l'agence et à la direction de la création, aux côtés de Pascal Nessim. Le pure player a pour mission de jouer la carte de l'intégration avec Publicis Conseil tout en gardant son identité… Avec l'arrivée des agences de marketing services Publicis Dialog et Modem aux Champs-Élysées, Arthur Sadoun, président de Publicis France et de Publicis Conseil, a décidé de réunir au même étage les expertises interactives des deux pures players Modem et Net. Il a par ailleurs débauché Iona Mac Grégor, directrice des concepts chez Nurun, pour lui offrir un poste créé sur mesure de directrice des stratégies digitales de Publicis Net. Du coup, pour la remplacer, Nurun a choisi Henri Jeantet, directeur du planning stratégique d'Australie.

Isobar, le pôle interactif d'Aegis Media, voit également ses équipes de direction renforcées. Florence Trouche cumule désormais les présidences d'Isobar et de Blue AM, le joint-venture entre Blue (la société de production de contenus de Luc Besson et Christophe Lambert) et Aegis Media, tandis qu'un nouveau directeur général est attendu le 1er avril. Il s'agit de Matthieu Morgenztern, codirecteur général de BETC 4D Digital House, qui sera remplacé par Jérôme Duchamps, codirecteur général de feu Tribal DDB.

Chez Plan créatif Bees Net, Fabienne Cammas, directrice générale du groupe indépendant, passe la main à Philippe Le Meau, qui prend les rênes de l'agence interactive. De son côté, Nextedia s'est rebaptisée Nextidea, avec à sa tête deux spécialistes du marketing relationnel : Lionel Aboudaram (ex-Tequila et TBWA) et Pierre Desangles (ex-Rapp DDB). Sa filiation avec Lagardère Active est assumée – l'agence doit coproduire des contenus pour les marques avec sa société mère - mais place l'agence de conseil en marketing digital dans une position singulière. Tout comme Mégalos qui, depuis son rachat par CRM Company et le départ de ses fondateurs, écrit une autre histoire avec Jean-Noël Perrin (ancien directeur général de DDB Paris). Celui-ci souhaite « faire des choses amusantes avec les gens pour que ça rapporte de l'argent aux marques », à l'instar du jeu « Roule Raoul » ciblant les jeunes pour la Caisse d'épargne.

Pour sa part, Buzzman passé maître dans la publicité virale mais qui a des ambitions plus généralistes, a confié la direction de son agence au publicitaire Thomas Granger, qui a passé dix ans chez DDB. Emmnanuel Vivier, président de Vanksen, expert des médias sociaux et du buzz, ne veut pas, lui non plus, se « laisser enfermer dans une vision intégriste du Web ». Il a donc recruté de son côté des profils issus de l'événementiel et du marketing services.

Un ADN digital valorisé

Dans ce paysage éclaté, la « digitalisation » des agences de publicité ne laisse aucun « pure player » indifférent, qu'ils soient indépendants ou pas. Stéphane Amis, président de Digitas et Duke (450 salariés) déplore « l'agressivité de certains publicitaires » qui laisseraient entendre, selon lui, que « les pure players seraient incapables de comprendre les marques et ne seraient bons qu'à produire des dispositifs techniques. C'est parfaitement injurieux, lance-t-il, à la fois envers un nombre croissant de grands annonceurs, qui confient “ bêtement ” la responsabilité de l'expression numérique de leurs marques ou de leurs entreprises à nos agences, et aux talents qui choisissent de nous rejoindre. »

Dans le même esprit, Édouard de Pouzilhac, directeur associé de 5ème Gauche, interpelle les annonceurs : « Pour visiter la jungle, préférez-vous être guidé par un natif ou par quelqu'un qui l'a étudiée dans un livre accompagné d'un autochtone pour la traduction ? » Au-delà de la boutade, il reconnaît que « les agences de publicité sont des concurrents sérieux », mais qu'elles doivent « mener une véritable révolution culturelle ». Marco Tinelli, président de Fullsix, renchérit : « Bien sûr, les agences traditionnelles ont des atouts importants : un savoir-faire historique de gestion de marques, des relations établies avec certains annonceurs. Mais quand il s'agit d'intégrer le digital au cœur des stratégies et des moyens, cela demande une réorganisation profonde, et notamment un changement de modèle de rémunération. » Pour lui, « le véritable enjeu est celui de “ lead agency ”. Et rien ne dit que ce sont les agences traditionnelles qui doivent tenir ce rôle en 2010. »
Stéphane Jaillette, directeur général de l'agence indépendante Péo Léo, estime pour sa part, que « la culture des agences de communication, notamment celle du résultat, leurs organisations et leurs modèles de rentabilité sont difficilement compatibles avec ceux du digital ». Mais, selon lui, « pour les annonceurs dont la maturité est encore faible, les offres globales des agences traditionnelles peuvent représenter une forme de sécurité pour le directeur marketing, qui doit justifier son choix en interne. » Face à des annonceurs perdus dans cette nébuleuse, les « pure players » ont décidé de donner de la voix pour rappeler en quoi leur ADN digital les rend plus légitimes que toute autre agence, pour non pas faire uniquement de la « publicité digitale », mais bien « définir, comme le dit Stéphane Amis, les stratégies digitales des marques et des entreprises avec l'apport de la technologie dans la mise en œuvre, mais aussi en amont de la réflexion ».

Fabienne Cammas, de Plan créatif Beest Net, n'a pas de doute : « Les annonceurs solliciteront davantage les agences interactives pour les problématiques globales dans lesquelles tous les supports digitaux constituent des leviers stratégiques d'impact, d'efficacité et de performance. Ils attendent de nous de l'adaptabilité et une capacité de dialogue avec leurs autres agences. » Pour Matthieu Morgenztern, qui vient de quitter l'agence de publicité BETC où il était en charge de l'interactif, la cause est aussi entendue. Le président de la délégation interactive de l'AACCI salue « le talent des agences de publicité à créer des campagnes de publicité sur Internet : bannières, minisite événementiel en lien avec les médias sociaux, etc. ». Mais il affirme que « définir la bonne structure de présence de la marque sur le digital – Web, mobile, réseaux sociaux, etc., sa manière d'entrer en interaction avec les internautes, l'activité de contenus ou de services à déployer en phase avec le territoire de la marque, la création de plates-formes d'e-commerce, la maîtrise du retour sur investissement, etc., c'est le travail des pure players ! »

Plus pragmatique, Antoine Pabst, président de Nurun France, observe surtout que « les lignes bougent », convaincu que « les agences de communication ont les moyens de réussir cette révolution ». Et de saluer la plate-forme numérique d'EDF, signée Euro RSCG et Cap Gemini. « Du coup, nous remontons sur le consulting, indique-t-il. Les entreprises nous interrogent sur leur présence dans l'écosystème interactif, avec les questions de gouvernance qu'elle pose, et celles de la gestion de leur réputation, de leur commercialisation et de leur marketing.»

L'heure est donc au renforcement des expertises : les agences interactives se musclent en conseil et planning stratégique, en création et en technologie. Et se dotent d'experts en “ content, contact & community management ”, sans oublier l'“ analytics ” pour l'optimisation des plans d'action, et désormais le monitoring du bruit et de la réputation nécessaire à l'ère de la conversation…

 

Sous-papier

De la communication à la conversation

Avec l'émergence des médias sociaux, ce qui se joue pour les marques, c'est « ce passage d'une communication descendante à la gestion de stratégies conversationnelles avec ses publics », note Antoine Pabst, président de Nurun France. L'enjeu serait donc de « concevoir une prise de parole tout au long de l'année entre les réseaux sociaux et le “ community management ”, soit l'approche relationnelle et le CRM, et entre les campagnes et le buzz, à savoir les temps forts en et hors ligne) », résume Emmanuel Vivier, président de Vanksen. C'est justement le positionnement de TBWA 365, qui renvoie à cette idée de porter le discours et les valeurs de la marque en continu sur « 365 jours » dans les médias sociaux.

« Les groupes de communication deviendront effectivement réellement dangereux s'ils s'intéressent à cette création de valeur pour le consommateur, ne se contentant plus d'être dans la simple expression du message de marque, décliné sur tous les supports », confirment Élie Trotignon, directeur de création, et Pascal Joseph, directeur du développement de Visual Link. À cet égard, c'est bien une agence de publicité, l'américaine TBWA Chiat Day, qui a orchestré le fameux Pepsi Refresh Project, qui vise justement à installer dans la durée une relation avec les internautes (à la fois citoyens et clients potentiels) sur la base de valeurs partagées par une communauté autour d'actions caritatives. Cette opération fait un pied de nez à la publicité « descendante », Pepsi ayant décidé d'allouer les 20 millions de dollars non dépensés pendant le Superbowl à des projets caritatifs soutenus par les internautes en en finançant un par mois pendant un an.

François Garcia, directeur d'X Prime élargit l'enjeu: « On ne peut pas rester dans la pure création de dispositifs maîtrisés et diffusés à coups de campagnes médias qui génèrent peu de ROI [retour sur investissement], y compris sur le digital, indique-t-il. Il s'agit de produire et diffuser du contenu à valeur ajoutée en y associant le propre contenu des “ consom'acteurs ” qui s'expriment sur les marques. » C'est tout l'objet de Blue AM, l'association entre Aegis Media et la société de production de contenus Blue. Antoine Pabst ajoute une autre brique concernant l'offre produit : « Le consommateur doit également être appréhendé comme un usager qui a besoin de services autour du produit, ce qui modifie le contrat avec la marque. » Ou quand technologie régénère le marketing !

 

 

(leader : propositions de légendes)

Philippe Simonet. « Trois mois après son arrivée à la vice-présidence de TBWA Paris, Philippe Simonet, ex-président de Publicis Net, recrée un “ pure player ”, TBWA 365, pour alimenter la conversation en continu des marques avec ses publics. »

 

Edouard de Pouzilhac, directeur associé de 5ème Gauche : « Pour visiter la jungle, préférez-vous être guidé par un natif ou par quelqu'un qui l'a étudiée dans un livre accompagné d'un autochtone pour la traduction? »

 

Stéphane Amis présidents de Digitas et Duke. « Les pure players définissent et mettent en oeuvre les stratégies digitales des marques et des entreprises avec l'apport de la technologie en amont et en aval de la réflexion ».

 

Stéphane Jaillette, directeur général de Péoléo : « La culture des agences de communication -notamment celle du résultat- leurs organisations et leur modèle de rentabilité sont difficilement compatibles avec ceux du digital ».

 

Mathieu Morgenztern, directeur général d' Isobar : « Les agences de publicité ont tout le talent pour créer des campagnes sur Internet - bannières, minisite événementiel en lien avec les médias sociaux, mais définir les contenus ou services à déployer, en phase avec le territoire de la marque, ça c’est le travail des pure players ».

 

Antoine Pabst, président de Nurun France : « Les lignes bougent. Nous remontons sur le consulting, avec des questions sur la nature de présence d'une entreprise dans l'eco-système digital,  sa gouvernance, lla gestion de  sa réputation, de sa commercialisation et de son marketing ».
 

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