Dossier design

Comment se porte le marché du packaging? Peu d'études analysent aujourd'hui cette activité pourtant phare des agences de design, elle représente le gros du secteur, soit 47% de la marge brute des agences membres de l'Association Design Communication (ADC), contre 31% pour l'architecture commerciale et 16% pour l'identité visuelle. Peu d'acteurs se disent d'ailleurs agence de packaging, comme si la profession souffrait d'un déficit d'image. «Certains cachent ce nom sous le tapis parce que cette activité n'est pas, soit disant, la plus noble du design. Mais c'est faux! Non seulement c'est un business intéressant et récurrent, mais on peut y mettre de l'intelligence et de la créativité», plaide Cécilia Tassin, directrice associée de Black and Gold.

Pour beaucoup en effet, le packaging est avant tout affaire de processus industriel, les contraintes techniques et légales brimeraient la création. Du coup, l'innovation se fait rare. «Dans ce secteur, il ne nous est pas demandé de réinventer un pack tous les trois ans, 90% du marché de l'emballage consiste à entretenir les marques, à moderniser les gammes existantes. Il n'y a que dans les séries limitées où l'acte créatif reste fort», reconnaît Fabrice Peltier, président fondateur de P'Référence Diadeis.

Se dire agence de «pack», c'est aussi se fermer des portes. «C'est forcément réducteur. Pourtant, notre métier ne se contente pas de concevoir des emballages qui séduisent ou créent de l'impact en linéaire. Il construit une marque, intègre l'environnement du produit, la communication autour du pack», précise Laurent Collangettes, directeur général associé de Lonsdale Paris.

Au même titre que le design en général, le packaging n'est donc pas toujours valorisé. Encore aujourd'hui, tous les annonceurs n'ont pas conscience de sa dimension stratégique. Sur ce secteur, rares sont d'ailleurs les agences qui ont accès au directeur marketing ou au directeur général. Le pack, c'est l'affaire du chef de produit ou de marque, voire du service achat. «Notre métier est massacré par les acheteurs. Ils baissent les prix de 50% et trouvent des agences pour travailler dans ces conditions, dénonce Sylvia Vitale-Rotta, cofondatrice et directrice générale de Team créatif. C'est particulièrement difficile voire dangereux pour les marques qui ont besoin plus que jamais d'innovation, de créativité et de talent.»

Les agences voient en effet inexorablement les prix baisser. Certes, le volume et la quantité de travail sont toujours au rendez-vous, mais la valeur ne suit pas. «Le packaging est un marché en décroissance depuis plusieurs années, indique Jérôme Lanoy, président de Logic Design. Il est tiré vers le bas parce qu'un certain nombre d'opérateurs ont une politique de prix très agressive ou acceptent de travailler sans souci de rentabilité en répondant à des compétitions non rémunérées pour des projets qui ramèneront 10 000 euros de chiffre d'affaires.»

Mais si le marché décroît, c'est aussi parce que le nombre d'acteurs a fortement augmenté. Ils se comptaient sur les doigts d'une main à la fin des années 1990, ils sont aujourd'hui légion. La concurrence se fait donc plus forte à l'heure où les grands groupes rationalisent le nombre d'agences référencées. Elle vient de toutes parts: d'agences de publicité (lire sous-papier), de créateurs et autres stylistes du secteur du luxe, de designers free-lance qui ont, sur fond de crise, quitté leur agence ou encore de groupes, tels Diadeis et Schawk, experts en production publicitaire, exécution et photogravure qui proposent une offre technique et industrielle très compétitive en plaçant des collaborateurs chez leurs clients. «Les agences ont essayé un temps d'intégrer cette prestation, mais ces groupes ont pris la main en attaquant ce marché par le volume et le prix. Les agences de design se sont fait dépouiller», raconte Laurent Collangettes, de Lonsdale. Aujourd'hui, ces groupes s'installent dans le conseil et la création. En 2011, ils ont ainsi racheté des agences-conseils: Brand Image pour Schawk et P'Référence pour Diadeis. «Pour moi, ces rapprochements préfigurent l'agence de design du XXIe siècle, affirme Fabrice Peltier, de P'Référence. Le design a toujours été l'association d'un industriel et d'un créatif. C'est ainsi dans le mobilier, cela arrive dans le packaging.» Pour Laurent Collangettes, la concurrence vient aussi de l'étranger alors que les investissements franco-français des entreprises diminuent. «Les groupes coupent dans les budgets pour investir en Chine, au Brésil et en Inde. En France, ils choisissent des partenaires solides en déploiement opérationnel qui garantissent le lancement dans un timing serré de gammes très lourdes. Quant à l'audace et l'innovation, ils vont la chercher en Angleterre où des structures agiles leur apportent un nouveau souffle créatif. Aujourd'hui, Lonsdale retrouve ainsi régulièrement l'agence Purple Fishes en compétition», confie-t-il.

Dans ce contexte, les agences-conseils cherchent à marquer leurs différences. «Il existe deux types d'agence de packaging. Celles qui font des déclinaisons, travaillent sur un nouveau parfum ou un nouveau format à partir d'une création existante, et celles, nettement moins nombreuses, qui sont capables de concevoir l'identité d'une marque, de définir ses signes distinctifs, de les exprimer graphiquement à partir d'une fine connaissance du secteur, des consommateurs, du produit», précise Sylvia Vitale-Rotta, rappelant que Team créatif est, depuis sa création, une agence de «branding, packaging et identity». Or, selon elle, les agences travaillant sur les déclinaisons se disent facilement à l'origine du packaging: «Ce n'est ni honnête ni bon pour le métier, car les clients ne comprennent pas les différences de prix. Or, ce n'est pas la même expertise. Beaucoup reviennent d'ailleurs vers nous avec des marques mal traitées et des ventes en baisse.»

Développement international ou diversification

Pour faire face, les professionnels du packaging ont plusieurs cordes à leur arc. Beaucoup misent sur l'international. Black and Gold, installé en Chine depuis dix ans, vient d'ouvrir un bureau à New York pour accompagner, entre autres, l'un de ses clients fidèles, Lactalis. «Les Américains sont forts en impact et en puissance, mais nous gardons un savoir-faire français dans l'alimentaire, une sensibilité, une touche “gourmet” qu'ils n'ont pas. C'est aussi une porte ouverte sur l'Amérique du Sud, où la grande consommation est en plein boom», précise Cécilia Tassin.

Logic Design souhaite pour sa part se développer en Europe. En 2012, elle a ouvert une filiale en Pologne qui travaille, entre autres, pour Nestlé. Enfin, Team créatif déjà très présent à l'international continue son déploiement hors de l'Hexagone avec des implantations au Brésil et à Jakarta (Indonésie). Sans oublier CBA et ses douze bureaux répartis entre Istanbul (Turquie), Dubai, Hong Kong et Chicago travaillant entre autres pour Lipton.

A l'ouverture vers l'international s'en ajoute une sur d'autres métiers ou expertises de la communication. Certains ont opté pour une approche généraliste depuis leur création, comme BETC Design qui réalise 40% de son activité dans le packaging, mais revendique une approche holistique. D'autres agences, plus anciennes et venues du packaging, se sont diversifiées au fil du temps: Team créatif dans l'architecture commerciale, le marketing services et le digital, CBA sur l'identité visuelle corporate, le point de vente, le digital et le marketing opérationnel, Lonsdale dans le produit, le point de vente, le contenu et l'identité corporate, qui vient d'acquérir l'agence Western Design pour se renforcer en architecture commerciale. Mais aussi Dragon rouge, présente dans le corporate et l'architecture commerciale, qui s'est lancée dans l'innovation de produits et services en acquérant la société In Process. Pour sa part, Logic Design s'affiche comme une agence de design globale même si elle réalise 80% de son activité dans le packaging. «Nous cherchons avant tout à développer une approche de marque qui peut s'exprimer sur d'autres supports digitaux et éditoriaux, comme le merchandising, les produits dérivés, la PLV. Le packaging n'est qu'un des vecteurs de communication de la marque», précise Jérôme Lanoy.

D'autres agences de packaging s'ouvrent à leur manière, telle White Spirit, qui revendique une approche multisectorielle enrichissant ses recommandations. «Le marché a toujours été très spécialisé par secteur d'activité, explique Françoise Dassetto, sa présidente. D'un côté les spiritueux, de l'autre les cosmétiques ou la grande distribution. Nous avons volontairement fait sauter ces frontières pour transférer des imaginaires ou des techniques d'emballage d'un marché à l'autre et gagner en créativité.» De son côté, Black and Gold s'est diversifié en proposant une veille des tendances de consommation, des séminaires d'innovation collaborative ou du conseil en plate-forme de marque et en repositionnement.

Internet, allié naturel

Dans l'ensemble, ces diversifications s'accompagnent d'une même volonté, à savoir le conseil sur la stratégie de marque. «Je me bats aujourd'hui sur le conseil, la création et l'innovation. Nous avons, par exemple, créé de toute pièce la marque IXXI, un antiâge issu du pin des Landes, pour lequel nous avons conçu le positionnement, le nom, le packaging et la communication», explique Delphine Cadoche, directrice général «Consumer Branding» de Dragon rouge. «La création devient de plus en plus stratégique, précise Anne Malberti, «General Manager Branding & Packaging» de CBA. Ce qui nous pousse à renforcer notre planning stratégique.Notre objectif est de fournir des codes d'identité visuelle forts et reconnaissables aux marques qui s'appliquent à tous les supports. Or, pour retrouver l'essence d'une marque, des codes plus iconiques et moins descriptifs, il est nécessaire d'engager une réflexion sur la marque.» Un positionnement qui colle aussi à l'évolution de l'emballage. «Le packaging transactionnel qui fait la promotion d'une marque et qui est jeté a vocation à disparaître pour des raisons de coûts et de pollution. Aujourd'hui, les identités se font plus symboliques, plus institutionnelles et moins commerciales. Le “pack” se fond avec le produit, l'anoblit, le valorise», commente Christophe Pradère, fondateur de BETC Design, agence de Badoit et d'Evian notamment.

Aller sur le conseil, c'est aussi accompagner des entreprises qui ont besoin, plus que jamais, d'évoluer, de s'adapter, de faire des choix. Les enjeux et mutations sont multiples. Le développement durable et les enjeux écologiques poussent les marques à revoir leurs copies: réduction des emballages, aide au recyclage, recherche de solutions pour économiser les énergies fossiles ou création de produits «verts» innovants, comme cette lessive en feuilles Dizolve, commercialisée par Casino.

«Le packaging va forcément s'amoindrir d'année en année, se faire plus virtuel. Personnellement, je crois à la distribution en vrac. Une télévision présentera le produit et le client se servira dans des sacs», imagine Christophe Leguillon, fondateur en 2009 de l'agence de packaging Paris heure locale. Des produits sans emballage de Lush à la vente de yaourts en machine de Biocoop, la tendance au «no packaging» est bel et bien à l'œuvre. «Mais elle ne fait qu'accroître les besoins en matière de design, qu'il s'agisse de service, de produit ou de lieu de vente», ajoute Cécile Tassin (Black and Gold).

L'évolution réglementaire et les obligations légales sont également source d'évolution: contraintes de corps de lettres, labels, précisions nutritionnelles et environnementales, la surface des emballages ne suffit plus à informer le consommateur. Du coup, avec Internet, le packaging s'est trouve un allié naturel. Toutes les agences cherchent aujourd'hui à créer ou étoffer leur département digital, mais les réalisations se font encore rares. «Quarante pour cent des consommateurs utilisent aujourd'hui leur smartphone lors de leurs courses. L'industriel doit en tenir compte. Au Japon, il n'existe plus un produit sans QR code», indique Jacques Rossi, PDG de Cartoon design, qui vient d'organiser une conférence sur la montée en puissance du Web mobile.

Et que penser des nouveaux magasins virtuels de Carrefour dont le deuxième vient tout juste de s'implanter gare du Nord, à Paris? Aujourd'hui, le consommateur commande ses produits en «flashant» avec son smartphone le code-barre de produits présentés en photographie. Resteront-ils sous forme d'image figée? Quel impact sur l'emballage mis en avant et sur celui du produit livré? Le packaging n'a pas fini de se réinventer et de faire parler de lui. En bien.

 

Sous-papier

Monoprix, quand les publicitaires s'en mêlent

En 2010, Monoprix revoyait le packaging des quelque 2 000 références de sa marque M, rebaptisée Monoprix. Une création signée Havas City (devenue Rosapark). L'agence de publicité a repris les codes graphiques de la campagne qu'elle avait signée en janvier 2009 pour les appliquer à des emballages devenus les ambassadeurs de l'image de marque de l'enseigne, le tout sans photographie: le produit associé à des accroches décalées n'est pas montré, mais nommé. Qu'en est-il aujourd'hui de cette campagne multiprimée en 2011, couronnée du Grand Prix Stratégies de la publicité? D'autant que dans les rayons, les photos réapparaissaient sur divers produits: gâteaux, jambon, légumes en boîte…

Légers changements

«Nous avons modifié près de 10% de nos références, elles marchaient moins bien. Nous avons en effet une importante clientèle étrangère hermétique au texte», explique Hubert Hémard, directeur général adjoint de l'enseigne, très satisfait par ailleurs de l'impact positif de cette création innovante sur l'image de l'enseigne et la vente des produits. Ces changements ne surprennent pas les professionnels du packaging. Si plusieurs applaudissent l'audace créative de cette démarche, beaucoup reconnaissent qu'il fallait méconnaître les codes du métier pour en arriver là. Pour eux, le packaging est avant tout affaire de performance. A tous les rayons.

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