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En Chine, pays où aucun leader mondial du Web n'est parvenu à s'imposer, le réseau social professionnel est aujourd'hui numéro un. Retour sur une stratégie gagnante.

Le «paradis des connexions» se trouve en Chine. C'est la traduction de Tianji, le nom du réseau social professionnel chinois acquis par Viadeo en 2007. Fondé par Derek Ling, un entrepreneur anglophone passé chez Motorola et Apple, il comptait alors 500 000 utilisateurs. Ils sont aujourd'hui plus de 14 millions. Un nombre impressionnant, supérieur à l'ensemble des membres européens de Viadeo (11 millions dont 7 en France), mais qui reste faible au regard des 564 millions d'internautes en Chine (voir encadré).

De quoi, quoi qu'il en soit, devancer dans ce pays l'Américain Linked In (2,8 millions de membres en Chine, selon l'agence We are Social Singapour), le leader mondial des réseaux sociaux professionnels avec, au global, 200 millions de membres revendiqués contre 50 millions pour Viadeo.

 

Les deux cofondateurs de Viadeo, Dan Serfaty et Thierry Lunati, se sont très tôt lancés à la conquête de l'empire du Milieu, soit trois ans après la création de Viadeo en 2004. «Un de nos actionnaires connaissait bien le marché chinois. Il a présenté Dan Serfaty aux acteurs locaux, et celui-ci a convaincu les dirigeants de Tianji de rejoindre le groupe via un échange d'actions plutôt qu'un rachat», explique Olivier Fécherolle, directeur général stratégie et développement de Viadeo. Une précaution pour éviter une manœuvre courante en Chine: les managers locaux empochent le cash de la société occidentale puis créent un concurrent sur le même segment. Une mésaventure subie par Danone et son partenaire Wahaha.

 

«Etre proche de la clientèle»

Autre avantage d'un tel rapprochement: pouvoir opérer directement sur le territoire de la République populaire. «C'est un site en chinois, fait par des Chinois pour des Chinois», explique Nicholas Vieuxloup, directeur international des opérations. «Sa plateforme est différente et l'équipe totalement autonome», ajoute Olivier Fécherolle. Une présence locale qui facilite le gain de nouveaux membres et aide à démarcher annonceurs et cabinets de recrutement locaux. Les concurrents étrangers, comme Linked In, sont, eux, cantonnés dans la Région administrative spéciale de Hong Kong. Ils ne possèdent ni serveurs ni commerciaux sur le continent. Ils sont principalement consultés par les expatriés et les cadres chinois anglophones.

Tianji passe à trois millions de membres en 2010, année du décollage, à raison de 1 à 2 millions de nouveaux abonnés par mois. En Chine, c'est la gratuité qui prévaut. C'est pourquoi Tianji n'a généré pratiquement aucun revenu de 2007 à 2011, le modèle payant pour les membres premium adopté par Viadeo dans les autres pays n'étant pas applicable sur ce marché. Or, cette source de revenus représente 50% du business du réseau français, contre 30% pour les services aux professionnels du recrutement et 20% pour la publicité via la régie intégrée du groupe.

Pour améliorer la performance commerciale de Tianji, Dan Serfaty s'est donc installé à Pékin en septembre 2011. Sur place, il a monté des équipes commerciales, élaboré des offres à destination des cabinets de recrutement et des annonceurs chinois et internationaux. De grands groupes comme IBM ou Accor ont ainsi acheté des bannières sur Tianji.com. Le groupe pharmaceutique Bayer a quant à lui utilisé les services de recrutement. «Plus la différence culturelle avec l'Occident est forte, plus on doit être proche de la clientèle locale. La proximité est primordiale», analyse Nicholas Vieuxloup. Un avis partagé par Alexis Bonhomme, general manager premium brands chez Tencent, l'un des géants du Net chinois (lire l'interview).

 

Des concurrents bien implantés

La réussite de Viadeo se remarque d'autant plus qu'aucun des leaders mondiaux du Web n'est parvenu à s'imposer en Chine. Soit parce qu'ils sont bloqués par les autorités, comme Facebook, Twitter ou You Tube. Soit en raison d'un fossé culturel trop profond. «En Chine, la couleur de la réussite est le rouge. Les sites à dominante bleue auront du mal à percer», précise, par exemple, Nicholas Vieuxloup, dans une référence à peine déguisée à Facebook. Les concurrents chinois sont, en revanche, bien implantés. Tianji doit affronter les réseaux sociaux grand public, comme Sina Weibo, le Twitter local aux 400 millions de membres qui vient de lancer une version professionnelle (Wei Renman), mais surtout les réseaux professionnels comme Daijie.com (8 millions d'utilisateurs), orienté jeunes diplômés, ou Ushi (2 millions d'utilisateurs).

C'est pourquoi Viadeo continue d'investir dans son développement international en général et chinois en particulier. La société française vient ainsi de lever 24 millions d'euros, dont 10 millions auprès du FSI (Fonds stratégique d'investissement), le reste venant de ses actionnaires historiques Idinvest et Ventech et de nouveaux investisseurs internationaux, dont la banque d'investissement Jefferies, Allianz et des fonds du Moyen-Orient. «Nous recherchions des partenaires soucieux de nous soutenir sur le long terme, jusqu'après notre éventuelle entrée en Bourse, pour conforter et accélérer notre développement», déclarait à cette occasion Dan Serfaty.

Pour la grosse PME qu'est Viadeo (400 personnes), le gigantesque marché chinois, avec ses 700 millions d'actifs, reste à ce jour une énorme réserve de recrutement et une future source de revenus considérable. Espérant compter à terme 150 millions d'utilisateurs, Tianji continue de recruter et d'ouvrir des bureaux dans l'empire du Milieu. «Le chiffre d'affaires réalisé en 2012 était faible, il va grossir en 2013 et exploser en 2014, grâce à la publicité, aux services de recrutement proposés et au mobile, qui est en train d'exploser en Chine. C'est notre priorité pour cette année», précise Olivier Fécherolle. À terme, l'entreprise pourrait même, dans sa globalité, se rebaptiser Tianji. En hommage au paradis des connexions.

 

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Des consommateurs différents selon les villes

 

Alexis Bonhomme est général manager premium brands chez Tencent, géant du Net chinois. Il revient sur les spécificités de ce marché.

 

Quelles sont les dernières tendances du Net chinois?

Alexis Bonhomme. J'en vois deux: le développement des marques du secteur du luxe sur le digital et l'explosion du marketing mobile. Plus de 500 millions de personnes auront accès au mobile connecté en 3G d'ici à fin 2013.

 

Comment les marques occidentales doivent-elles aborder ce marché?

A.B. Il faut communiquer en chinois et très bien connaître les particularités de ce pays avant de se lancer. Ainsi, les consommateurs sont différents selon leur ville de résidence, que l'on peut classer en trois groupes: Canton, Shenzhen, Shanghai et Pékin dans le premier, Chengdu, Chongquing dans le deuxième, et les autres grandes villes de province dans le troisième tiers (Harbin, Shenyang...). Le consommateur du premier groupe tend à se sophistiquer. Pour convaincre une Shanghaienne de 30 ans d'acheter un produit, on pourrait presque copier/coller la stratégie utilisée à Paris, Londres ou New York. Le consommateur des deuxième et troisième groupes est plus simple: une image, un logo, un nom, un message. Avec lui, inutile de faire dans l'implicite, il faut être percutant.

 

Les entreprises chinoises du Net vont-elles s'exporter?

A.B. La Chine n'est plus seulement un marché pour l'Occident. Certaines entreprises digitales chinoises ont entamé un mouvement vers l'Ouest. Ainsi, 360buy, deuxième e-marchand derrière Alibaba, a ouvert un site en anglais en octobre dernier et commence à livrer des produits fabriqués en Chine dans les pays occidentaux. Ctrip, le leader de l'e-travel, est coté au Nasdaq et il est disponible en huit langues. Wechat lancé par Tencent est la première application mobile disponible en neuf langues. Elle est d'ores et déjà très populaire au-delà de la «Grande Chine».

 

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Chiffres clés

564 millions. Nombre d'internautes en Chine, soit 42% de la population.

72%. Taux d'équipement des internautes en haut débit.

91%. Pourcentage d'internautes utilisant les réseaux sociaux, contre 67% aux États-Unis.

83%. Nombre d'internautes chinois utilisant la messagerie instantanée, leur activité préférée devant l'écoute de la musique en ligne (77%) et le visionnage de vidéos (66%).

Source : We Are Social Singapour

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