Dossier
Le RTB révolutionne le marché et ses organisations avec l'intégration des datas, la poussée de la vidéo et le potentiel du mobile.

Souvent assimilée à une approche low cost de la vente de publicité en ligne, l'ad-exchange profite aujourd'hui d'avancées technologiques incessantes qui séduisent agences médias et annonceurs. «L'achat programmatique est efficace, pas parce qu'il est moins cher, relève Pierre Calmard, président d'Iprospect, le trading desk d'Aegis Media, d'autant que le système des enchères se révèle généralement inflationniste. Simplement parce qu'on peut, pour la première fois, en un clic, acheter des contacts utiles, sans déperdition et avec un message adapté.»

Le RTB (vente aux enchères en temps réel en ligne) permet donc d'importants gains de productivité, avec l'automatisation de l'achat et du traitement des données, à un prix fixé par le jeu de l'offre et de la demande. La performance ne porte donc pas forcément sur une dépréciation de l'espace publicitaire, comme peut le laisser croire la notion d'invendus, qui a prévalu dans la création des places de marché.

D'autant que «les médias numériques génèrent des tonnes et des tonnes d'inventaires, explique Stéphane Bodier, président de Médiabrands. Et comme un site Internet de presse fait 80% de ses recettes publicitaires avec 20% de ses inventaires premium, il reste largement de quoi faire.» Les éditeurs se montrent d'ailleurs attentifs. «On cherchera toujours à maîtriser ce qu'on peut mettre à disposition de nos clients et à aller vers le haut de gamme», prévient Robin Leproux, vice-président du directoire en charge de M6 Publicité, présent sur Audience Square. Amaury Médias, qui travaille sur un ad-exchange destiné à la presse, «gère les inventaires au cours du mois, explique sa présidente Marianne Siproudhis, ce qui amène à estimer, au fur et à mesure qu'on libère des impressions, ce que La Place Media va vendre sur des profils ou des contextes».

Des éditeurs rejettent même l'idée de déstockage. «Orange n'est pas dans une logique d'écoulement des invendus, bien que la régie continue à vendre une partie de l'inventaire en direct, affirme sa directrice, Sophie Poncin. Le RTB donne l'opportunité de mettre de la valeur, après des années de vente à l'aveugle par les ad-networks.» Après neuf mois, elle constate que le CPM augmente en général, et a été multiplié par 3 et jusqu'à 5 pour certains formats.

Pour ce faire, la vente s'est déplacée vers d'autres stratégies que le reciblage, qui «représentait 80% des achats du display», selon Romain Job, directeur stratégie et nouvelles activités de Smart Ad Server. Le recours croissant aux datas ouvre de multiples horizons, avec les croisements de bases de données, et notamment celles des annonceurs. «On peut injecter du CRM dans le système, adresser un message de fidélisation... On ne part pas de la requête d'un internaute mais de son comportement», détaille Pierre Calmard.

D'une manière générale, le marché est «passé d'un achat de placement à un achat de cible», analyse Luc Tran-Thang, président de Starcom France. Ce qui n'est pas sans avoir quelque incidence sur les métiers et les organisations des sociétés concernées. «Il s'agit d'une rupture analogue à celle qu'a connue la finance, estime Stéphane Bodier, qui s'est traduite par la désertion du Palais Brogniart pour un traitement en ligne.» Les structures ont donc besoin de gens au profil différent car la valeur n'est plus dans l'achat et la vente. Ainsi, «les agences doivent savoir choisir aujourd'hui les meilleures technologies pour être le plus efficace possible pour les marques», admet Luc Tran-Thang.

20 à 25% de la vidéo passe par l'ad-exchange

Un rôle de conseil utile alors que de nouveaux leviers de croissance sont apparus ces derniers mois. Le marché de la vidéo, qui est en forte croissance, avec 68 millions d'euros investis au 1er semestre 2013, contre 51 sur les six premiers mois 2012, soit une progression de 33% selon le SRI, s'est développé sous l'impulsion de You Tube (avec Doubleclick, la structure de Google) ou Dailymotion (en contrat avec Rubicon Project), et des chaînes TV.

Alexis Marcombe, directeur général d'Audience Square, évalue entre «20 et 25% la part de la vidéo passant par l'ad-exchange». La demande dépasse même ce qui peut être proposé, et des places de marché ad hoc sont apparues, comme Sticky Xchange, lancée en novembre 2012. «Les gens du display ont fait le travail d'évangélisation, assure Hervé Brunet, PDG de Sticky Ads. Le marché progresse très vite, avec une prévision de 25 à 35% d'achat des vidéos programmatiques via le RTB d'ici 2015.» Mais il est confronté à l'arbitrage des éditeurs «qui veulent se protéger et vendent facilement en direct», prévient Jean-Claude Muratore, directeur commercial de Turn. Canal + Régie refuse ainsi de «confier à des tiers sa commercialisation de produits qui représenteront 30% de notre audience à terme», estime Roger Coste, son directeur général.

Le lent essor du mobile

Le mobile est confronté, quant à lui, à une situation inverse. L'usage des mobiles est en pleine explosion et génère 31% des audiences, selon le Syndicat des régies Internet (SRI), pour seulement 6% d'investissements publicitaires du digital. La Grande-Bretagne est à 17%, les USA à 14% et l'Italie à 8%. Un sous-investissement qui s'explique, selon Olivier Mazeron, coprésident de Group M Interaction, par «un marché où rien n'est structuré, c'est-à-dire où deux régies peuvent vendre la même marque; où les standards ne sont pas uniformisés; où se pose un problème de mesure - avec des chiffres qui varient d'un acteur à l'autre - et de déduplication des audiences.»

Pourtant, sur Facebook par exemple, «60% des 28 millions de connectés le sont depuis leur mobile», avance Véronique Bergeot, directrice générale de Social Moov. Dont l'un des clients, Deezer, «consacre déjà l'essentiel de son budget au mobile». Mais l'autre écueil réside dans les problèmes technologiques. «Il existe deux catégories d'inventaires, dans le Web mobile et dans les applications, explique Sébastien Robin, directeur des opérations du trading desk de Havas Global, Affiperf. Or, les deux répondent à des normes technologiques très différentes. Cela manque encore d'unité technologique pour connaître le même développement que les autres secteurs.»

Cela n'empêche pas une majorité d'acteurs de croire en l'explosion de ce marché. Tous ont relevé par exemple le récent rachat par Twitter de la société Mopub. Et Rubicon s'est lancé dans ce chantier il y a plus d'un an, avec l'acquisition de la société américaine Mobsmith. «On est capable de gérer sur les mobiles tout ce qu'on fait sur le Web, affirme Julien Gardès, directeur général France de Rubicon Project. Mais côté demande, c'est la phase d'attente.» Quant à App Nexus, il a annoncé le mois dernier un partenariat avec Millenial Media pour créer une offre premium d'adexchange sur mobile au niveau international. 2014 sera-t-elle enfin l'année des investissements dans le mobile? Le RTB, qui instaure une automatisation, sera peut-être la solution pour lancer le processus de vente dans ce cinquième média. 

 

(sous-papier)

 

RTB: Le cas français

La France se distingue des autres pays, non seulement par la loi Sapin (lire en pages 44-46) mais aussi par ces groupements d'éditeurs dans la vente d'espace publicitaire en ligne. Une singularité qui inspire l'étranger, puisque le modèle a été repris au Danemark, au Canada et en République tchèque et est à l'étude en Italie, en Espagne... «L'initiative est sans équivalent dans le monde et montre que les éditeurs croient au RTB», approuve Jean-Claude Muratore, directeur commercial de Turn. L'autre particularité française se situe dans le nombre de trading desks indépendants, qui approcheraient la quinzaine, contre seulement trois en Grande-Bretagne par exemple. Ils ont su se positionner avant les agences médias, mais certains ont déjà été rachetés (Gamned en mars par Makazi, ex-Lead Media Group, Matiro en juillet par 1000 mercis), d'autres ont été poussés à se spécialiser pour survivre. Conséquence de cet engouement, la France et ses 15% de part d'achat du display via le RTB figure derrière les 20% des USA et les 16% en GB, mais devant les 12% de l'Allemagne. Ce marché encore émergent se montre dynamique «avec une volonté d'innover encore plus forte qu'en Allemagne», constate Romain Job, directeur stratégie et nouvelles activités de Smart Ad Server. D'ailleurs, «des sociétés apparaissent chaque jour, avec de nouvelles solutions technologiques», remarque Sébastien Robin, directeur des opérations du trading desk de Havas Global, Affiperf.

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