Présidentielle 2012
Retour sur l’élection présidentielle qui a vu la victoire de François Hollande. Stratégies a demandé à neuf experts, dont certains ont participé à la campagne, d’analyser cette longue séquence politique. Entretien à plusieurs voix.

On a beaucoup dit que l'élection présidentielle était un référendum anti-Sarkozy. Alors, est-ce plutôt Nicolas Sarkozy qui a perdu ou François Hollande qui a gagné?

Régis Lefebvre (Blue). C'est d'abord Nicolas Sarkozy qui a perdu. Il a fait une mauvaise campagne. Alors qu'il était l'homme du volontarisme et qu'il a surmonté des crises majeures, son erreur est de ne pas avoir fait une campagne de président de la République, mais de challenger. De plus, l'insincérité lui colle à la peau depuis les premiers mois de son mandat. Alors qu'il invoque le mérite et la France qui se lève tôt, il fête sa victoire au Fouquet's, part se reposer sur le yacht de Bolloré et augmente son salaire de 175%.

Emmanuel Rivière (TNS Sofres). Son impopularité se manifeste dès mars 2008. Et s'il regagne du crédit lors des crises financières de l'automne 2008 et 2011, en étant sur une ligne de président protecteur à dimension internationale, il ne tiendra pas ce cap, révélant son inconstance. Car il abandonne ce qui ne marche pas immédiatement. Mais si 2012 est avant tout la défaite de Nicolas Sarkozy, François Hollande a su construire sa victoire avec trois temps forts: sa préparation courant 2010, le hors-jeu de DSK en mai 2011 et le meeting du Bourget où il démontre qu'il a la stature d'un chef d'Etat.

 

Si la campagne avait duré plus longtemps, le résultat final en aurait-il été modifié si on en juge par le resserrement de l'écart, François Hollande gagnant par 51,6%?

Emmnanuel Rivière. Non. Le résultat correspond à la réalité des clivages entre les deux blocs.

Régis Lefebvre. Il est très facile de faire 48% pour un candidat de droite. C'est au dessus de 50% que c'est l'Himalaya.

 

Au-delà du fait que les dés semblaient jetés depuis un an, quelles sont les erreurs de Nicolas Sarkozy? Quelle est la responsabilité de son conseiller opinion, Patrick Buisson?

Régis Lefebvre. Il a testé tout et son contraire: demande du soutien de Merkel, puis appel à renégocier le traité de Schengen; appel au peuple et candidat des riches. Dans une présidentielle, quels que soient les conseils, c'est un homme seul qui fait ses choix.

Emmnanuel Rivière. Patrick Buisson n'est qu'un GPS qui dirait toujours de tourner à droite. Mais c'est le choix de Nicolas Sarkozy de maintenir François Fillon à Matignon pendant cinq ans et d'opter pour la ligne Buisson. D'ailleurs, au final, cette campagne d'entre deux tours a relativement fonctionné sur les électeurs Le Pen et Bayrou. La question, ce sont les conséquences pour les législatives.

Frank Tapiro (Hémisphère Group). Nicolas Sarkozy s'est trompé sur la méthode. On peut réformer la société, pas la fonction présidentielle. Sur le plan stratégique, ses appels vers les voix du FN sonnent faux. Il s'est trompé sur l'analyse de sa victoire en 2007, qui n'est pas due à son discours droitier mais à une volonté de rupture avec Chirac et à de l'anti-«Ségolénisme». Il a oublié qu'une élection se gagne au centre et a préféré jouer les clivages.

Stéphane Rozes (Cap). Nicolas Sarkozy s'est expliqué trop tard sur le Fouquet's sans comprendre le ressenti des Français. Il a par ailleurs tenté de mener deux orientations, le capitaine dans la tempête (option Guaino) et le peuple contre les élites (option Buisson). Et étonnamment, au second tour, au lieu de rassembler, il mène une campagne de premier tour!
Robert Zarader (Equancy & Co). Nicolas Sarkozy a été trop marketing et pas assez politique. Il est entré dans des processus qui n'étaient pas les siens et qui ont nui à son intuition politique en cherchant à gagner des parts de marché sur tous les segments: UMP, centristes, frontistes. Il a suivi la ligne Buisson, qui a sous-estimé les effets d'éviction et le vote blanc. Il a cherché à opposer deux France et a fait l'erreur de ne pas défendre son bilan.

Régis Lefebvre. Son déplacement houleux à Bayonne, où il doit se refugier dans un café, est un tournant. La politique, c'est comme la Formule 1: une erreur et on se retrouve dans le décor. Après Bayonne, il n'y aura plus d'images de Nicolas Sarkozy se promenant dans le pays, alors que François Hollande va continuer de se balader à la rencontre des Français. Cela donnera ses 48 heures dans les banlieues pour les 48 minutes à Drancy du président sortant sur la défensive.

 

On dit que la campagne d'Hollande s'est faite sans communicants. Ce qui ne veut pas dire sans maîtrise de la communication et de l'image…

Marc Saint-Ouen (Meanings). C'est une campagne politique avant d'être une campagne de communication politique. Mais sur le plan de la communication, tout à été très encadré pour éviter les faux pas. François Hollande a retenu les leçons de l'échec de Jospin, notamment qu'il y a un premier tour avant le second et qu'il ne faut pas attaquer son adversaire ad hominem. Et celui de Segolène Royal: il faut l'unité du parti derrière le candidat. De Mitterrand, il a retenu qu'il ne faut jamais répondre aux attaques.

Régis Lefebvre. Une bonne communication, c'est celle qui ne se voit pas. François Hollande a d'abord une stratégie politique qui lui correspond et c'est pour cela qu'il a la bonne communication. Quand il y a de la cohérence, l'anecdotique s'efface. Ce qui n'empêche pas de travailler son image et de mettre en scène sa stratégie. Donné gagnant, il ne devait prendre aucun risque. Nicolas Sarkozy a une campagne illisible faite de coups.

Robert Zarader. François Hollande prend des conseils, mais il est lui-même son premier communicant. C'est surtout un politique. Il a développé un discours de rassembleur, cohérent et constant et a trouvé un ou deux marqueurs – les 75 % de tranche d'impôt et les 60 000 emplois dans l'éducation nationale – qui lui ont permis de consolider son propre camp et d'élargir au centre. Et il veillé à ne pas commettre de fautes.

 

N'y a-t-il pas une forme de paradoxe entre le fait de se présenter comme le président normal et de changer son image en modifiant son apparence physique et son style?

Régis Lefebvre. Je ne le crois pas. Le storytelling de François Hollande est simple, c'est un homme normal – il revendique sérénité, simplicité et proximité dans l'exercice du pouvoir – en opposition à DSK, son concurrent à la primaire, et à Nicolas Sarkozy. Mais c'est un homme normal qui fait des efforts sur lui-même pour embrasser une fonction hors normes. Il va donc faire un régime et afficher une posture présidentielle grave, lui réputé rond, mou et jovial. L'histoire qui nous est racontée est que sa transformation physique induit une transformation psychologique qui témoigne de sa volonté et de sa détermination à gagner. Nicolas Sarkozy n'a pas d'histoire à raconter.

Robert Zarader. Dans une compétition sportive, vous devez entrer dans la peau de celui qui va gagner. Il a maigri parce que la condition physique est importante pour une telle campagne. Durant toute la campagne, il va montrer sa pugnacité. Le meeting du Bourget est à cet égard fondateur.

Emmanuel Rivière. Je pensais que ne pas avoir été ministre était rédhibitoire pour briguer la présidence. Or, fin 2010, la cote d'avenir de François Hollande augmente et cela coïncide avec son régime. Ce qui suggère que tout en étant normal, il ne fallait pas juste rester soi-même. Cette espèce d'ascèse, de maîtrise de soi, par contraste avec un président qui semblait modérément capable de le faire, a produit quelque chose dans les sondages qui relève du storytelling. La structure de sa popularité se rapproche alors de celle de DSK et d'un candidat de second tour. Comme il le dit lui-même, il est le président d'un moment.

Jean-Christophe Alquier (Ella Factory). «The man is the message»: cette formule résume la cohérence de la campagne de François Hollande face à une campagne opportuniste et tactique de Nicolas Sarkozy qui réactive la matrice de départ et révèle son inconsistance.

Arnaud Dupui-Casteres (Vae Solis). Nicolas Sarkozy a été bling-bling, puis zig-zag face à un François Hollande sans stratégie géniale, mais constant. Et la constance est une valeur clé de la communication.

 

Un mot sur les slogans et les affiches…

Régis Lefebvre. Si Hollande n'avait pas gagné, on aurait sans doute admis que son affiche et son slogan «Le changement c'est maintenant» sont du niveau de la réclame. Idem pour Sarkozy: «La France forte» n'a pas «décollé» du brief. Mais le plus surprenant, c'est d'avoir repris le slogan de VGE perdant en 1981. L'affiche et le premier spot TV expriment la première stratégie du capitaine dans la tempête, qui protège, mais cette ligne n'a pas été tenue.

 

Meetings à la télévision, porte-à-porte organisé par Internet. Les nouveaux médias ont-ils réhabilité la politique traditionnelle?

Régis Lefebvre. Oui, c'est le retour de la politique à l'ancienne. L'année 2012 restera marqué par l'avènement des chaînes d'information, qui en retransmettant les meetings en direct ont augmenté leur public de 300 000 à 1 million de personnes. Les images des meetings en plein air sont devenues des éléments de communication très travaillés: fond bleu de la République, drapeaux rouges à la Bastille pour Mélenchon, tricolores au Trocadéro pour Sarkozy. A Tulle, le soir du 6 mai, l'image est professionnelle: c'est la Corrèze, devant la cathédrale, avec le drapeau européen et tricolore, les accordéons, le bouquet de roses, le couple présidentiel sur scène qui repartira en Scénic, et pas en cortège officiel.

Jean-Christophe Alquier. Sarkozy tuait notre métier en montrant par l'usage qu'il en faisait que la communication avait une finalité cynique, les signes se substituant aux idées. Cette élection a réhabilité les valeurs, les idées, la cohérence et la conviction politique. Dans cette campagne, le marketing et la communication ont été remis à leur place au profit des mécaniques démocratiques traditionnelles revisitées: d'abord, la primaire citoyenne du PS; ensuite, les meetings; enfin, les débats à la télévision et les programmes qui ont joué pleinement leur rôle.

 

Et le rôle d'Internet?

Benoît Thieulin (La Netscouade). 2012, c'est la normalisation d'Internet, qui n'a été négligé par aucun des candidats. Tous y ont consacré entre 5 et 10% de leur budget avec un site Web, Facebook, Twitter et des contenus. Mais, aujourd'hui, on ne peut plus parler de Net campagne. On est dans du transmédia: on regarde un débat télévisé tout en faisant du «live tweet», ce qui permet de faire du «factcheking» et du débat augmenté avec des infographies. 2012, c'est aussi le poids des contenus et le retour des journalistes, en lieu et place des blogueurs de 2007. La grande innovation, c'est aussi le porte-à-porte organisé par l'équipe Web de François Hollande, qui a permis de gagner de 0,5 à 1,5 point selon certains bureaux tests. En 2008, Obama avait démontré qu'Internet est le bon outil managerial pour organiser la mobilisation militante sur le terrain et mener une campagne municipale à l'échelle du pays.

 

Cette campagne a aussi confirmé l'importance de la gestion du temps…

Robert Zarader. Cela s'est avéré en effet une variable essentielle et un des points forts de la stratégie de François Hollande. Qu'il s'agisse de la primaire ou de la présidentielle, Martine Aubry, première secrétaire du PS, et Nicolas Sarkozy, président sortant, sont entrés tardivement en campagne, pensant capitaliser sur leur fonction. C'est une erreur. On assiste à une accélération de l'information, mais la complexité des sujets est telle qu'elle demande du temps et de la pédagogie pour installer les idées dans l'opinion.

 

François Hollande affiche son intention de voyager en train, de rester vivre dans son appartement du 15e. Jusqu'où le président de la République pourra-t-il tenir ce récit de la normalité?

Régis Lefebvre. Quand on est élu, il faut savoir embrasser l'imaginaire présidentiel, lequel se situe quelque part entre de Gaulle et Mitterrand.

Stéphane Rozes. Un président doit être normal, c'est-à-dire échapper à l'ubris du pouvoir, mais pas commun. Il doit porter la fonction présidentielle au-dessus de lui. Nicolas Sarkozy a appris à ses dépens ce qu'il en coutait d'abaisser la fonction. François Hollande doit veiller à ne pas la banaliser. Dans les périodes d'inquiétude, les Français ont besoin de se retrouver dans la symbolique présidentielle.

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