L'AACC jette un pavé dans la mare en publiant la 1re édition de la «Notation des compétitions», un classement nominatif peu flatteur. Objectif: lancer un Grenelle des appels d'offres.

«Malgré les nombreuses discussions que nous avons pu avoir avec les annonceurs sur les dysfonctionnements des compétitions d'agences, finalement, peu de choses ont changé», lance d'emblée Frédéric Winckler, président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC). Un constat qui a incité l'organisation à taper du poing sur la table en réalisant la «Notation AACC des compétitions». Une petite bombe sur le marché!

En février dernier, l'AACC a envoyé à ses membres un questionnaire leur demandant de noter par un barème de 0 à 5 les appels d'offres auxquels ils ont participé au cours des douze derniers mois. Cinq critères ont été retenus: le nombre d'agences consultées, celui des agences en finale, la divulgation de l'identité des agences participant à la compétition, le dédommagement des agences non retenues et l'annonce préalable du montant du budget (lire l'encadré méthodologie). «Avec ce classement, nous allons plus loin que lors de notre baromètre des compétitions publié en 2008 et 2011. Nous sortons des “on dit que” avec une étude quantitative précise et factuelle», déclare Catherine Michaud, présidente interdélégation de l'AACC.

Mais ce classement – nominatif – ne risque-t-il pas d'être contre-productif ? «La démarche paraît choquante avec ce listing qui outrepasse la confidentialité scellant la relation agence-annonceur. Certains seront inévitablement agacés par le procédé», prévoit Didier Beauclair, responsable médias et relations agences à l'Union des annonceurs (UDA), qui estime ne pas avoir le recul nécessaire pour juger des critères retenus et de la représentativité de l'échantillon. 

Quoi qu'il en soit, les résultats sont très décevants (voir tableaux): la moitié des deux cents appels d'offres notés n'obtient pas la moyenne. Seulement sept compétitions décrochent la note maximale, et quartoze se voient carrément attribuer un zéro (1). On est donc loin de l'épiphénomène. A noter que seules 20% des agences non retenues ont été dédommagées.

Le secteur de la santé sort du lot

Etonnamment, un même annonceur peut être capable du meilleur comme du pire. Exemple: La Poste, dont la compétition pour sa communication financière a été très bien gérée, à l'inverse de ses appels d'offres de veille en ligne en corporate et de référencement d'agences en événementiel.

Mais certains se distinguent par leur bien piètres performances quel que soit le secteur. C'est notamment le cas du groupe Crédit agricole, qui oscille entre 0 et 1,5 pour des compétitions allant du référencement d'agences corporate à la création du site Monsofinco.fr en passant par la communication interne et le lancement de la marque Crédit agricole Private Banking.

«Une procédure à suivre pour les compétitions existe à l'UDA, mais tous nos textes n'ont pas force de loi, sans compter que chaque compétition est spécifique et ne peut rentrer dans un moule unique, avec une grille de notation inévitablement caricaturale», répond Didier Beauclair.

Seul métier de la communication à sortir du lot: la santé. Avec 24 notes égales ou supérieures à 3 points, pour 34 compétitions dont 6 notes maximales et 13 à 4 points, ce marché est quasiment exemplaire. «Ce secteur a l'avantage d'avoir mené en amont un travail d'éducation auprès de ses annonceurs et de s'être doté de régles de fonctionnement claires. Par ailleurs, le marché du conseil en communication santé étant très concentré, les dérives sont moins fréquentes», commente Catherine Michaud.

L'événementiel offre également un profil plus vertueux que la moyenne, avec seulement 4 compétitions en dessous de la moyenne sur 44 répertoriées et 19 qui obtiennent 4 points sur 5. «L'événementiel compte quelques très gros donneurs d'ordre, notamment dans l'automobile et les sociétés de réseaux, qui montrent une plus grande maturité dans ce genre d'exercice du fait de la fréquence des appels d'offres, note Catherine Michaud. Mais le problème de ce métier est justement le trop grand nombre de compétitions, il n'existe quasiment pas de relation à long terme entre une agence et un annonceur

Or, selon Frédéric Winckler, «quel que soit le secteur, une relation pérenne est très souvent gage d'efficacité. Il n'y a qu'à regarder les campagnes distinguées aux Prix Effie.» Ce à quoi Didier Beauclair rétorque: «Ce coup de communication de l'AACC pose aussi la question de la capacité des agences à fidéliser leurs clients.» 

«Ce problème des compétitions, dont beaucoup d'annonceurs n'ont pas conscience, est un énorme gâchis dans notre profession, pour qui les budgets gagnés en compétition représentent chaque année de 20% à 80% du volume d'affaires selon les métiers», remarque Frédéric Winckler, qui tire la sonnette d'alarme sur les menaces que cela fait peser sur la rentabilité et la pérennité des agences. «Ce système du tout offert, tout gratuit n'est plus possible», ajoute le patron de l'AACC, qui rappelle que «les agences, consultées sur des compétitions de plus en plus complexes ne se résumant plus à un spot de 30 secondes ou à la création d'un événement, travaillent généralement sur des propositions très abouties avec des films parfois déjà shootés et des sites Internet actifs.» Catherine Michaud renchérit: «En CRM, il n'est pas rare, lors d'une compétition, de voir des agences élaborer le modèle économique du programme de fidélisation de l'annonceur pour les cinq ans à venir

Provoquer une prise de conscience

C'est bien là où le bât blesse: à la fin d'une compétition, l'essentiel du travail de l'agence (l'idée, le concept, etc.) est fait, mais il n'est pas rémunéré. L'agence est en fait payée sur la production, la réalisation. Or, le coût d'une compétition, rappelle l'AACC, est en moyenne de 60 000 euros par agence consultée, soit pour cinq agences 300 000 euros, l'équivalent de la profitabilité pour une agence d'un budget annuel de 700 000 euros sur trois ans. «C'est autant d'argent qui n'est pas investi dans nos agences en planning, création, recherche et développement…», estime Frédéric Winckler. «Sans compter un paramètre très important: les problèmes de motivation interne que peuvent générer les inévitables échecs à répétition dans les compétitions quand elles sont trop nombreuses et comportent trop de participants», regrette Catherine Michaud.

Cette «Notation AACC» dresse donc un tableau plutôt sombre qui tend à renvoyer la balle dans le camp des annonceurs. «Nous avons le code de la route, mais nous n'avons pas encore trouvé le moyen d'éviter les chauffards», lance Marie-Pierre Bordet, vice-présidente déléguée générale de l'AACC qui constate que si les compétitions d'agences orchestrées par les cabinets de choix d'agences sont généralement mieux gérées, cela n'évite pas toujours les dérapages. Et de citer le cas de Vichy début 2011, le cabinet VT Scan ayant décidé de se retirer en cours de consultation. A noter que ce dernier a géré trois des six compétitions publicitaires les mieux notées.  

«Avec ce classement que nous comptons renouveler, nous voulons provoquer une prise de conscience chez les annonceurs et ouvrir le Grenelle des compétitions sur un problème crucial pour nous, mais qui a été trop pris à la légère jusqu'ici», déclare Frédéric Winckler, qui souhaite «juste faire respecter un contrat de base». Pour, Didier Beauclair, de l'UDA, «nous devons poursuivre le dialogue, sans doute différemment, afin de trouver une façon de faire évoluer d'un cran nos principes communs». 

 

(encadré)

Méthodologie

La «Notation AACC des compétitions» couvre 200 compétitions auxquelles 45 agences membres de l'association ont participées au cours des douze derniers mois. Elles ont noté les appels d'offres à partir d'une dizaine de critères. Cinq, très factuels, ont été retenus pour établir le classement: le nombre d'agences consultées (3 agences = 1 point, 4 ou 5 = 0,5 point, plus de 5 = 0), le nombre d'agence en finale (plus de 2 = 0), la divulgation de l'identité des agences participant à la compétition (1 ou 0), le dédommagement des agences non retenues (1 ou 0) et l'annonce préalable du montant du budget (1 ou 0). Parmi les autres critères: délai de la compétition, qualité du brief, présence du (des) décisionnaire(s), changement du brief en cours de consultation, débrief personnalisé pour les agences non retenues…

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