Livre
Les slogans sont-ils une nouvelle forme de littérature ? Ils font en tout cas appel aux mêmes procédés stylistiques. Hilario Silvio, professeur de français, les a recensés dans un dictionnaire de style, Publittératus. Commentaire composé.

Strasbourg, sa Petite France, sa cathédrale en grès rose, ses 560 kilomètres de pistes cyclables… Tous les matins, sans faute, Hilario Silvio en arpente à bicyclette les tours et les détours, pour se rendre au collège où il enseigne le français. Un jour, il y a trois ans, au cours d’un énième trajet, une constatation: «Je me suis aperçu qu’en dix minutes de vélo, j’étais quotidiennement exposé à trente messages en moyenne.»

Armé de son calepin, le professeur commence à inventorier chacun des messages publicitaires qu’il rencontre. Déformation professionnelle : dans «Sortez du troupeau, roulez en Polo» (VW), Hilario Silvio repère une césure à l’hémistiche (coupe rythmique à la moitié d’un vers), dans «Williams gel prend soin de votre peau et de votre portefeuille», il voit un zeugma (attelage de deux termes hétéroclites), dans «Quand c’est trop, c’est Tropico!», une antanaclase (répétition à l’intérieur d’une même phrase, d’un même mot pris dans des sens différents)…

«Au départ, je me servais des slogans pour apprendre les procédés littéraires à mes élèves», raconte Hilario Silvio. O rage! O désespoir! «Les élèves comprennent mieux les figures de style lorsqu’elles sont illustrées par des exemples publicitaires plutôt que par des passages de Corneille ou de Racine. Et lorsqu’on leur demande de citer des slogans, ça mitraille!»

En trois ans, les carnets d’Hilario Silvio se noircissent de 850 exemples, glanés sur les panneaux d’affichage mais aussi dans la presse écrite. Au fil des collectes, le projet d’un ouvrage voit le jour: Publittératus – Petit dictionnaire d’analyse littéraire des slogans publicitaires (L’Harmattan). Le titre est un clin d’œil à un ouvrage que les étudiants en lettres connaissent bien: le Gradus, dictionnaire des procédés littéraires. Le livre, lui, entend explorer ce que Silvio appelle «la publittérature» et donner «des outils pour analyser le tsunami langagier qui chaque jour déferle sur nous».

Mode impératif

De cette néo-littérature, le prof de français a extrait des constantes stylistiques. «Sur 850 slogans, plus de 100 ont recours à l’impératif, qui est la manière la plus basique, la plus directe, la plus brutale aussi, de demander à quelqu’un de faire quelque chose: “Essayez cinq minutes de pure douceur” (Perle de lait); “Libérez vos mobiles” (Free); “Choisis le goût” (Coca-Cola); “Roulez suréquipé” (Citroën C3); “Demandez plus à votre banque” (LCL)…» souligne Hilario Silvio qui écrit dans son ouvrage que «l’impératif est au publittérophage ce que le riz est à l’Asiatique, la semoule de blé à l’Oriental, la pâte à l’Italien et la patate à l’Alsacien: l’aliment de base, le pain quotidien, le vaste et gras pâturage où l’indolent bovidé se repaît à volonté, sans jamais douter de l’éternelle abondance de cette céleste manne». Serait-ce de l’ironie?

Victor Hugo disait de lui qu’il était un «pet de l’esprit»: le jeu de mot arrive néanmoins en deuxième position des procédés les plus prisés des publicitaires. «Citons “Re-belle” (Smart), pour l'homophonie (mots qui se prononcent de la même manière, mais qui n’ont ni le même sens ni la même graphie),  “À prendre ou à lécher” (Oréo), pour la paronymie (rapport lexical entre deux mots dont les sens sont différents mais dont la graphie ou la prononciation sont proches, de sorte qu'ils peuvent être confondus à l'audition) ou encore “Mettez vos pieds dans les étoiles” (Converse) qui joue sur sens propre et sens figuré», énumère Hilario Silvio. Suivent les anglicismes: «Passe le fun autour de toi» (Fanta), «Sodebo, c’est so good», «Et vous, êtes-vous 4G ready?» (SFR).

Elle marche souvent main dans la main avec l’impératif: l’exclamation, «manière de marquer l’urgence», souligne le professeur de collège, constituerait-elle, s’interroge-t-il, la «ponctuation du bonheur»? La litanie donne en tout cas la sensation d’une conversation avec un cocaïnomane très excité: «Le barbecue à prix Leclerc!», «La qualité moins chère!» (Lidl), «Ambiance!» (Casa), «Vive les bon plans! Vive les bonnes affaires!» (Conforama), «On a avancé Noël!» (La Poste mobile)… Fatigue!

Travail de mémoire

«De manière générale, sont privilégiés les procédés qui favorisent la mémorisation, comme la rime (“Kiabi, la mode à petits prix”, “T'as pas d'amis? Prends un Curly!”…)», note Hilario Silvio. L’anaphore, chère à François Hollande, et son coup de maître oratoire du «Moi, président…», fait également florès: «Pizza Hut, trop bon, trop hut», «T'as faim? T'as soif? T'as Yop!», «Auchan, Vivons mieux, vivons moins cher»…

Dernier roulé de hanche dans la danse des sept voiles publicitaires, la personnification, pour tous ceux qui ont gardé leur âme d’enfant, et son cortège de Père Dodu, Mamie Nova, Mr Bricolage, ou encore l’affriolante Gillette («Gillette, la grande amoureuse de votre peau») ou cette petite coquine d’Arte («Arte, la télé qui vous allume»). «La solitude du publiphage est parfois grande dans les villes modernes, et il est rassurant pour lui de savoir que non, il n’est pas seul, ses amis les marques, les grands magasins et les produits de consommation sont là pour lui tenir compagnie», s’amuse le professeur de français.

Lequel bénéficie d’un terrain d’observation de choix: ses élèves, consommateurs adultes de demain. La recette qui fonctionne le mieux sur nos chères têtes blondes? «Ça leur plaît surtout quand ça parle de sexe (“Intimy, ça donne envie”; “Love, sex, Durex”). Ce sont des cinquièmes...». Le vert paradis des amours enfantines…

Le climat, star du slogan?

Incendie du hashtag? En 2015, le signe propre à Twitter commence à ponctuer les signatures publicitaires, remarque Jean-Luc Gronner, qui pour Sous le logo a étudié les 90 000 slogans contenus dans sa base dans 800 secteurs d’activité afin de concevoir son nouvel Observatoire des slogans publicitaires , en ligne le 20 janvier. «On constate aussi une progression du mot “climat” entre 2014 et 2015: l’effet COP 21» , souligne-t-il. Jean-Luc Gronner, qui note que les anglicismes «restent une tendance lourde» comme dans «Orangina: shake the world», rappelle que «la publicité récupère les mots utilisés par les nouvelles technologies de l’information: il ne serait pas étonnant de voir apparaître un slogan avec le mot “programmatique”» . On a connu plus sexy.

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