Audiovisuel
Jusque-là dominé par l’offre de replay des stations de radio, le marché du podcast en France s’apprête à connaître un nouvel élan avec l’arrivée de pure players destinés à ce format. Reste à voir quel en sera le modèle économique.

This American Life, Serial, WTF with Marc Maron: ces noms ne vous disent peut-être rien mais ces programmes s’arrachent aux États-Unis. Bienvenue dans le monde du podcast, ces émissions ou séries radiophoniques mi-documentaires, mi-fictions, que les internautes, mobinautes en tête, téléchargent ou écoutent en streaming par centaines de milliers, parfois même par millions. Et si la France reste encore en retard dans ce domaine, ce ne sera peut-être plus le cas pour longtemps.

«Outre-Atlantique, le marché radiophonique est très fragmenté, ce qui explique la ruée des Américains vers les podcasts car ils leur permettent d'écouter des programmes beaucoup plus longs que ce qui est diffusé sur le réseau. À l’inverse en France, le marché de la radio est très dynamique, avec beaucoup de programmes de stock, d’où un marché du podcast dominé à 95% par les émissions en catch-up des radios généralistes», estime Joël Ronez, ancien directeur des nouveaux médias de Radio France, aujourd’hui à la tête de Binge Audio, un projet de média autour du podcast.

Selon les derniers chiffres publiés par Médiamétrie (octobre 2014-juin 2015), 6 millions de personnes ont écouté la radio en replay sur internet chaque mois, soit 14% des internautes, que ce soit en streaming différé ou en podcast. Parmi eux, près de deux millions de personnes seraient des utilisateurs réguliers. Ces cinq dernières années, le nombre de téléchargements aurait lui été multiplié par quatre, à près de 70 millions par mois début 2016, concentrés essentiellement sur les émissions de Radio France, Europe 1 et RTL.

«La première étape consistait à proposer nos contenus en délinéarisé. Aujourd’hui, ce n’est plus suffisant. Comme pour tous les médias, la nécessité de créer des contenus ad hoc sur le digital se fait sentir, d’où une réflexion engagée afin de proposer de nouveaux schémas narratifs à d’autres audiences», explique Thomas Doduik, ‎directeur numérique d’Europe 1, qui revendique plus de 10 millions de téléchargements de podcasts en avril, en hausse de 15% sur un an.

Nouvelle génération d'auditeurs

Aux côtés des radios hertziennes, de nouveaux acteurs promettent un enrichissement conséquent de l’offre dans l’Hexagone. Parmi eux, Joël Ronez donc, mais aussi la journaliste de France Inter Pascale Clark, qui prépare pour la fin de l’année un média lui aussi centré sur le podcast, baptisé Box Sons. «Nous sommes aujourd’hui à un point de bascule avec l’arrivée sur le média de la génération des 12-24 ans, qui sont sur un mode de consommation à la demande et qui recherchent des choses très anglées, avec de l’aspérité, à l’inverse de la logique fédératrice des médias traditionnels», estime Joël Ronez. C’est dans ce contexte qu’il a bâti l’offre de Binge Audio à destination des 18-35 ans, avec déjà quatre émissions: No ciné, No fun (sur la musique), No game (sur les jeux vidéo) et Badass (un talk pop-culture féministe). Pour la rentrée, il prépare trois nouveaux programmes –sur la justice, le sport et la cuisine– et espère boucler d’ici l’automne une levée de fonds de 500 000 euros.

Autres entrants sur le marché des podcasts, des médias installés qui ne viennent pas du monde de l’audio et qui voient dans ce type de format une diversification intéressante à moindres coûts. Aux États-Unis, le New York Times a annoncé au printemps qu’il constituait une équipe à cet effet, avec pour projet de lancer plusieurs émissions dans les mois qui viennent. Avant lui, le Wall Street Journal et le Guardian avaient déjà constitué une offre de podcasts, tout comme le groupe Slate, qui a créé il y a un peu plus d’un an la plateforme Panoply.

Liberté de ton

La version française de Slate s’inscrit dans la même tendance avec le lancement le 16 juin prochain de deux programmes, une émission mensuelle sur la parentalité et un format narratif quinzomadaire proche des séries radiophoniques américaines, lancés en partenariat avec l’éditeur de livres audio Audible. «Nous sommes ici dans le défrichage de nouveaux territoires. Il faudra du temps pour que les habitudes se prennent», souligne Boris Razon, directeur de la rédaction. «Nous voulons apporter au podcast la liberté de ton et d’écriture inhérente au web. Ce format s’inscrit dans la même veine que les blogs, qui informent d’une manière très personnelle en contournant les marques média installées», ajoute Charlotte Pudlowski, rédactrice en chef adjointe. À l’occasion de sa refonte cet été, le site Atlantico va lui aussi développer une offre de podcasts, moins chers à produire que la vidéo.

Reste à savoir quelle peut être la monétisation de ces nouveaux formats. «À quelques exceptions près, le modèle du podcast est gratuit pour l’utilisateur. La monétisation de nos podcasts reposera sur le parrainage et le contenu de marque, qu’il s’agisse de cobranding ou de contenus produits en marque blanche», avance Joël Ronez. À l’étranger, le magazine britannique Monocle a par exemple développé pour les marques BMW et UBS deux émissions en podcast, The Urbanist et The Bulletin. «Nous ne sommes pas ici dans une logique de reach mais d’opérations spéciales, pour des marques qui cherchent à s’approprier un territoire et travailler sur la proximité de valeurs, avec un objectif d’engagement», estime Julien Féré, directeur des stratégies chez KR Media. «La monétisation par pré-roll ou sponsoring est un modèle archaïque. Les marques doivent créer des contenus autour de leurs centres d’intérêt et le podcast peut en faire partie», juge pour sa part Daniel Bô, PDG de l’agence Quali Quanti.

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