communication éditoriale
ONG, institutions, ministères et même quelques marques s’emparent du webdocumentaire pour concevoir du «brand content» d’un nouveau genre. Un secteur en devenir, où de jeunes agences de contenu s’imposent.

La famille Leffler, dans une caravane, espérant une «belle maison». Pierre, berger et intérimaire à Pau. Ouarda, lycéenne dans un appartement insalubre à Nancy. En visualisant ce documentaire hybride sur le Web, on croirait presque à un reportage journalistique. Sauf qu'il s'agit ici d'un webdocumentaire institutionnel, commandé par la Fondation Abbé Pierre à l'agence de communication éditoriale Textuel (BDDP Unlimited).

 

Un format immersif et pédagogique

Forme de narration multimédia mêlant son, image et vidéo, initialement adoptée pour des récits d'investigation (lire encadré), le webdocumentaire séduit agences de publicité et annonceurs. Pour ces derniers, parfois à l'étroit dans les formats courts du Web, c'est pain béni. Logique: l'heure est au contenu de marque, au «storytelling», où il s'agit de raconter l'histoire d'une marque, de l'humaniser en images et en mots.

 

«Cela permet de communiquer sur des valeurs, en alliant entertainment et contenu éditorial réel», résume Marie Combaluzier, directrice générale de BDDP Unlimited. Parfait pour une campagne corporate d'un nouveau genre. «On sort du cadre vidéo classique pour incarner des marques de manière plus attachante, dans un format immersif», ajoute Michel Dolbec, directeur du développement éditorial d'Havas Productions.

 

Les institutions et les ONG ont d'ailleurs été les premières à s'emparer du webdocumentaire. Le format est idéal pour faire œuvre de pédagogie, voire de militantisme. Le dernier en date, À l'abri de rien, lancé par la Fondation Abbé Pierre le 11 mars avec un budget de 70 000 euros, vise à sensibiliser le grand public à la cause des 3,4 millions de Français mal-logés. Douze témoignages sonores sont ainsi illustrés par des photoreportages pudiques.

 

«On voulait montrer en images une réalité humaine, pour interpeller. Et ce en respectant les personnes qui témoignent», résume Yves Colin, directeur de la communication. Premier bilan: 24 300 visites en près de deux mois de diffusion.


Combler un déficit d'image

D'autres ONG se sont emparées de ce format, telle Médecins sans frontières avec La Vie à sac, et La Croix-Rouge, qui a conçu en interne un webdoc, Haïti - Regards sur un an d'action,pour présenter le bilan de ses activités humanitaires sur place.

 

Institutions et ministères testent aussi ce format élégant. La Grande Muette lançait dès 2009 un webdoc sur le redéploiement du dispositif militaire français en Afghanistan, sujet délicat à aborder et justifier. Le Quai d'Orsay a suivi, en janvier, avec huit webdocumentaires pour mettre en valeur son action à l'étranger (au Pérou, en Algérie, etc.) et les métiers de la diplomatie.

 

Autres candidats à ce nouveau format, les branches et organes professionnels, qui souffrent d'une image parfois raide. Exemples: l'Agence pour l'emploi des cadres (Apec) avec Chacun cherche son job - Les jeunes diplômés face au premier emploi, la CGPME avec Changer ma PME, sur la formation professionnelle au sein des PME, ou encore, en mars dernier, Nos instants resto, webdoc commandé par neuf syndicats de la restauration à Havas Productions. «Cela montre les différents types de restaurants, la journée type d'un propriétaire, les métiers du secteur...», explique Michel Dolbec.

 

Quelques premières marques s'y essaient également. Avec toujours pour idée d'incarner des valeurs. SFR avait ouvert le feu dès 2009 avec Homo numericus (BDDP Unlimited), qui raconte la vie de natifs du numérique. La marque et les produits n'y sont jamais évoqués: «On voulait montrer que, au-delà de la téléphonie, on veut accompagner nos clients dans le monde numérique», précise Julien Villeret, directeur de la communication de l'opérateur.

 

De même, en décembre dernier, la Française des jeux lançait son webdoc (conçu par Megalo & Company et Upian) pour mettre en avant ses actions caritatives, ses salariés ou encore des champions qu'elle soutient.


Même une marque d'alcool s'y met. Clan Campbell devrait sortir son webdocumentaire fin mai. «On voulait raconter l'histoire de la famille fondatrice, son processus d'élaboration, donner des recettes, montrer visuellement ses origines, l'Écosse», résume Michaël Mérolli, directeur marketing de Pernod Ricard. Pratique pour réhausser l'image haut de gamme de la marque... en contournant la loi Evin.

 

Terrain des jeunes pousses

Un secteur naissant où de nouveaux acteurs avancent leurs pions, dont des photojournalistes. Tel Samuel Bollendorf, issu du collectif L'Œil public, qui collabore depuis peu avec BDDP Unlimited. «Le webdoc est pour moi une nouvelle manière de raconter l'histoire de personnes, et je contrôle le récit de bout en bout», explique-t-il.

 

Côté agences, BDDP Unlimited s'est très vite positionnée sur le webdocumentaire et devrait en sortir quatre cette année. Havas Productions annonce aussi quelques projets, et imagine même y greffer d'autres formats innovants, tels les «serious games» (des jeux vidéo adaptés à des fins pédagogiques). Capa Entreprises (agence Capa TV) s'y met aussi, elle en a par exemple concocté un pour les trente ans de Médecins sans frontières.

 

Dans la lignée d'Upian, des jeunes pousses de la production en ligne s'imposent. Quitte à damer le pion à des «grands». C'est en binôme que l'agence Megalo & Company et Upian ont ainsi décroché, en septembre 2009, l'appel d'offres pour le webdoc de la Française des jeux, face aux agences Bees Net, Lowe Stratéus et Isobar.

 

La société de production Honkytonk a remporté en avril 2010 l'appel d'offres du Quai d'Orsay: «On proposait à nos interlocuteurs du ministère un transfert de compétences, pour qu'ils puissent enrichir eux-mêmes leurs webdocs», précise Arnaud Dressen, fondateur de Honkytonk. Maligne, elle propose à ses clients son outil de montage de webdocs sous licence. Dans ses cartons, un webdoc commandé par la Fondation Caisses d'épargne sur les conséquences sociales du vieillissement, et un autre commandé par l'ONG WWF sur la déforestation.

 

Le webdocumentaire, un format d'avenir? En espérant qu'il ne souffrira pas d'un manque d'audience, d'une image élitiste et aux formats longs. Tout «en ne pervertissant pas le fond, en gardant une veine documentaire», relève Simon Loubris, directeur éditorial de l'agence de production Modedemploi et auteur d'un billet sur le sujet.

 

 

 

[encadré]

Séquences à la demande

 

Le webdocumentaire, qui mêle photo, audio, vidéo et texte, voire infographie ou blog, est une forme de récit journalistique. L'idée: un documentaire de 15 à 30 minutes (une durée très longue pour le Web), séquencé par des tags (mots-clés) permettant au lecteur-internaute d'adopter une lecture délinéarisée, en allant directement à la séquence qui l'intéresse. Les précurseurs: La Cité des mortes (2006, Upian), Le Corps incarcéré (Arte.tv et Upian), sur la vie en prison en France, Rapporteurs de crise (2011, Honkytonk), etc.

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